CHRISTIAN JACQ LE MOINE ET LE VÉNÉRABLE © Éditions Robert Laffont, S. A., Paris
CHRISTIAN JACQ LE MOINE ET LE VÉNÉRABLE © Éditions Robert Laffont, S. A., Paris, 1985 Le Moine et le Vénérable est un roman, une œuvre de fiction où l’imaginaire entre pour une part considérable. Mais il m’est apparu nécessaire de préciser que ce récit se fonde sur des faits réels dont certains aspects peuvent être éclairés. Le Moine et le Vénérable se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale. L’idéologie nazie voulut fonder une nouvelle forme de religion et de culture. C’est pourquoi elle décida de supprimer toutes les croyances qui l’avaient précédée en leur arrachant ce qu’elles possédaient, à ses yeux, de meilleur. Les nazis confièrent à un service spécial, l’Aneherbe, dépendant directement de Himmler, le soin de « s’occuper » des sociétés secrètes et de leurs adeptes, censés posséder des pouvoirs d’une quelconque étendue. Ce service peu connu et encore mal étudié fit procéder à l’arrestation de voyants, d’astrologues et de magiciens afin de leur extirper leurs techniques et de vérifier si elles étaient efficaces. L’Aneherbe considérait, en effet, que les pouvoirs psychiques pouvaient devenir des armes performantes contribuant à asseoir la suprématie du Reich. On incarcéra également des prêtres et des religieux soupçonnés de posséder des connaissances intéressantes. Les malheureux furent déportés dans des camps dont certains avaient des sections spécialisées dans le traitement de ces « surdoués » d’un genre très particulier. De plus, dès que le régime nazi s’imposa en Allemagne, il procéda à la fermeture des loges maçonniques et à l’arrestation de ceux qui les fréquentaient. Il semble bien, pourtant, que des francs-maçons aient favorisé l’ascension de Hitler, jouant aux apprentis sorciers, rapidement incapables de contrôler le monstre qu’ils avaient contribué à susciter. Le nazisme créa sa propre société secrète, « l’Ordre noir ». Elle ne pouvait tolérer l’existence d’aucune autre organisation ésotérique sur les territoires du Reich. Himmler ordonna la destruction de la Franc-Maçonnerie, non sans avoir récupéré ses trésors utilisables. En France, le SD, service de contre-espionnage allemand, reçut la mission d’investir les immeubles où se réunissaient les francs-maçons, de s’emparer de leurs archives et de leurs rituels. Il obtint la collaboration de sinistres personnages, tels que Bernard Fay, administrateur général de la Bibliothèque nationale, mais n’aboutit qu’à des résultats relativement décevants. La raison de cet échec était l’existence d’un courant secret à l’intérieur même de la Franc-Maçonnerie institutionnelle et tout à fait indépendant d’elle. Derrière la façade affairiste des organisations maçonniques survivaient des loges dites « sauvages » héritières des connaissances initiatiques transmises de Vénérable en Vénérable depuis l’Antiquité. L’une de ces loges était notamment dépositaire de la Règle d’origine des bâtisseurs de temples et du secret du Nombre qui permet, dit-on, de tout créer et de tout construire. Dans notre récit, nous avons donné à cette loge appartenant au Rite Écossais Ancien et Accepté le nom de « Connaissance ». Elle fut dirigée, pendant de nombreuses années, par un Vénérable hors du commun qui me fit part de l’aventure exceptionnelle vécue par un franc-maçon et un moine bénédictin dont les chemins se croisèrent en déportation. Tout les séparait, tout les opposait, et, pourtant, il leur fallut vivre et survivre ensemble dans l’enfer d’un camp de concentration. L’un avait le Grand Architecte de l’Univers pour seul soutien, l’autre le Dieu des chrétiens. Ils apprirent à se connaître mais s’affrontèrent au nom de leur foi respective ; on verra, au cours du roman, par quel défi authentique, concrétisé par ce que d’aucuns nommeront « pari » et d’autres « vœu », ils se soumirent à la plus exigeante des épreuves. Tout ce qui est ici révélé sur les rites, les grades et les symboles maçonniques est conforme à la réalité. Le fonctionnement même d’une « loge sauvage », dont il n’a jamais été fait mention à ma connaissance, est évoqué autant que faire se peut. L’extraordinaire rencontre du Moine et du Vénérable a bien eu lieu dans un cadre analogue à celui décrit dans ce récit ; la loge « Connaissance » a bien existé, sous un autre nom ; l’Aneherbe, de triste mémoire, a bien constitué le plus horrible service de renseignements de l’ère moderne. Le travail du romancier a consisté à rassembler des éléments épars et à fournir les précisions en sa possession pour raconter l’histoire de deux êtres confrontés à la plus impitoyable des réalités. J’ai eu l’immense privilège de connaître le Moine et le Vénérable qui ont servi de modèle à mes personnages. L’un et l’autre sont aujourd’hui disparus. C’est pourquoi le silence peut être rompu. CHAPITRE PREMIER Paris, une petite rue du XVIIIe arrondissement, une nuit de mars 1944. Il pleuvait. La lune était cachée par des nuages. François Branier, après avoir vérifié qu’il n’était pas suivi, pénétra sous le porche d’un immeuble lépreux. À cinquante-cinq ans, le médecin aux cheveux argentés avait conservé son allure massive et tranquille qui faisait de lui un personnage rassurant, à la fois sévère et chaleureux. Il laissa la porte cochère se refermer et attendit plusieurs minutes dans l’obscurité. Impératif de sécurité. Branier vivait la plus dangereuse des aventures. Pour la première fois depuis plusieurs semaines, il réunissait ses Frères pour célébrer une réunion de travail maçonnique, ce que les initiés appelaient « une tenue ». Ils avaient de nombreuses décisions à prendre, à l’unanimité, selon la Règle. Ces derniers temps, plusieurs Frères de la loge « Connaissance », œuvrant à l’Orient de Paris, avaient été arrêtés pour subversion ou faits de Résistance. Ils n’étaient plus que sept pour continuer à travailler à la gloire du Grand Architecte de l’Univers, obligés de se cacher, de changer de lieu de réunion à chaque « tenue ». Lorsque le nazisme avait triomphé en Allemagne, les francs-maçons avaient compté au nombre des premiers persécutés. Les loges avaient été dissoutes, jugées dangereuses pour la sécurité de l’État. De nombreux Frères allemands avaient été emprisonnés, exécutés sans jugement, déportés. « Connaissance » n’était pas une loge comme les autres. Elle possédait même une caractéristique unique. C’est elle qui détenait le secret du Nombre, le seul secret essentiel de l’Ordre qui avait été transmis de génération en génération. Quelques rares Frères, disséminés à travers le monde, avaient reçu ce trésor en héritage. Beaucoup étaient morts depuis le début de la guerre. François Branier, Vénérable Maître de la loge, était peut-être le dernier survivant à connaître le Nombre à partir duquel tout pourrait être reconstruit. Encore fallait-il qu’il puisse, à son tour, le transmettre et ne point mourir en emportant son secret dans la tombe. L’immeuble était silencieux. Branier quitta l’abri du porche et s’engagea dans une petite cour intérieure plongée dans l’obscurité. Sur sa gauche, une porte métallique. Le médecin frappa trois coups espacés. Une voix dit « entrez ». Branier sut aussitôt qu’il avait été trahi. Ce n’était pas un Frère qui lui avait répondu. Il se serait exprimé autrement. Il fallait déguerpir sans réfléchir davantage. Branier se rua sous le porche, ouvrit la porte cochère. Sa tentative de fuite s’arrêta là. Sur le trottoir l’attendaient cinq hommes en imperméable vert sombre. La Gestapo. Des voitures noires bouchaient les extrémités de la rue. Branier serra les poings. Une rage froide l’envahit. Se battre était inutile, suicidaire. Il demeura figé, espérant un impossible secours. — Mes félicitations, monsieur Branier, dit l’un des policiers allemands, au visage lisse, très blanc, animé par de petits yeux mobiles. Vous êtes raisonnable. Votre réputation n’est pas usurpée. La lumière de la lune, qui brillait entre deux nuages, permettait à Branier de dévisager son interlocuteur. Il n’y avait qu’une seule question à poser. — Où sont mes… mes amis ? — En sécurité, comme vous, monsieur Branier. N’ayez aucune inquiétude. Si vous voulez bien monter dans ma voiture… Le policier, au ton obséquieux, parlait un français sans accent. François Branier se faisait une tout autre idée d’une arrestation par la Gestapo : menottes, coups, ordres impérieux… Pourquoi cette politesse presque affectée, ce respect incompréhensible ? Ce qu’il croyait entrevoir lui tordait le ventre d’angoisse. Au moment de monter dans la Mercedes noire, le Vénérable leva la tête. Au troisième étage de l’immeuble en face, une fenêtre faiblement éclairée. Dans le coin gauche, un visage d’homme, derrière le rideau soulevé. Surpris par le regard de François Branier, le guetteur baissa brusquement le rideau, éteignit la lumière. Branier s’adressa au policier allemand qui, comme lui, avait observé la scène. Rien ne lui échappait. — C’est celui-là qui m’a donné ? — Exact. — Qui est-ce ? — Je ne sais pas, mentit l’Allemand, presque amusé. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il est franc-maçon. Il vous a rencontré dans une autre loge. Il nous a permis de retrouver votre trace. Montez. Quand la voiture démarra, le Vénérable sut qu’il boirait le calice jusqu’à la lie. — Vite, bon Dieu ! Le frère Benoît, de l’Ordre des bénédictins, avait juré une fois de plus, sans même s’en apercevoir. Le temps n’était pas aux élégances de langage. Il était trop préoccupé par la fuite de deux jeunes juifs qui devaient impérativement monter dans le camion uploads/Litterature/ christian-jacques-le-moine-et-le-venerable.pdf
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- Publié le Nov 04, 2021
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