Le chrysanthème et le sabre – fiche de lecture Pierre Lugan 1/7 Séminaire de So
Le chrysanthème et le sabre – fiche de lecture Pierre Lugan 1/7 Séminaire de Sociologie Ecole Polytechnique 3e année Pierre Lugan 11 Janvier 2003 Ruth BENEDICT Le chrysanthème et le sabre The chrysanthemum and the sword, 1946 Nota : la pagination se réfère à la traduction française parue en 1987 aux éditions Picquier. A titre d’exemple, la mention [P173L-5] renvoie à la cinquième ligne en partant du bas de la page 173. Introduction Dès 1943, date du revirement dans la guerre du Pacifique, les Américains créent des cellules de spécialistes, économistes et sociologues, chargées de dégager des clés de compréhension de cette société japonaise que l’on connaît si mal. On cherche évidemment dans un premier temps à comprendre quels sont les leviers du pouvoir, les modes de pensée, dans des perspectives militaire et diplomatique, mais on songe également petit à petit à l’après-guerre : comment aborder le Japon après le défaite, comment les Japonais réagiront-ils, comment le pays évoluera-t-il ? Nul doute que ces travaux ont servi au SCAP - le commandement des troupes alliées qui pendant l’occupation et sous la direction du Général Mac Arthur a d’abord dicté puis supervisé les premières années de la renaissance du Japon - directement, par l’instruction des occupants, ou indirectement, par l’information des politiques américains, qui à défaut auraient peut-être dénié leur soutien à Mac Arthur par manque de connaissance des subtilités de la société japonaise. En 1944, l’Office of War Information américain commande ainsi une étude poussée à la brillante sociologue Ruth Benedict (1887-1948). Celle-ci s’acquitte de sa tache avec les moyens du bord, en se référant à quelques rares commentaires occidentaux des années 20, en interrogeant des prisonniers de guerre et des expatriés japonais, mais sans maîtriser le japonais ni, évidemment, pouvoir jamais se rendre sur place ! Elle s’appuie sur des textes officiels, comme la déclaration de guerre co-signée par le Japon, l’Allemagne et l’Italie. Elle rapporte des particularités linguistiques (par exemple en P57L7), qui traduisent la pensée japonaise… Le résultat, l’essai Le chrysanthème et le sabre, a un succès instantané, auprès du grand public aussi, et sert aujourd’hui encore de référence, qui s’agisse de compléter le propos de R. Benedict, de le réfuter, ou d’en tirer des éléments concrets. Ce livre n’a pas vocation de démonstration d’une thèse, bien que Ruth Benedict, à l’instar d’autres auteurs mais aussi des japonais sujets de l’étude eux-mêmes, interprète les comportements des Japonais à la lumière d’un unique système d’obligations morales. Ce livre n’a pas vocation de description définitive du Japon telle que l’attend, pour des raisons pragmatiques, l’Office of War Information. R. Benedict dresse un large tableau sociétal, en étudiant les coutumes japonaises dans des domaines aussi divers que la hiérarchie, la bienséance, les plaisirs et jouissances, la vertu, l’éducation des enfants… Certes, la trame du tableau est grosse : l’analyse de R. Benedict analyse toutes ces coutumes comme manifestations plus ou moins directes du système d’obligations très particulier des japonais. De nombreux auteurs ont critiqué le travail de Benedict pour ce réductionnisme. Il demeure cependant que l’analyse de Benedict entre suffisamment dans les détails et se réfère Le chrysanthème et le sabre – fiche de lecture Pierre Lugan 2/7 suffisamment à la perception que les Japonais ont eux-mêmes de leurs comportements, pour que cette critique soit à relativiser, d’autant plus que le message principal de l’œuvre, celui qui est au fondement de toutes sociologie véritable, est qu’il faut abandonner une partie de sa propre rationalité, c’est-à-dire remettre en question les préjugés culturels et coutumiers qui la fonde, afin de pouvoir comprendre une culture étrangère, laquelle est bâtie sur d’autres fondements et qui relève par conséquent d’une autre rationalité. Je cite : « les ethnologues ont aussi à s'accoutumer aux différences énormes entre leur propre culture et une autre » [P20L15]. R. Benedict, auteur de ce message de modestie, ne peut donc être taxée de systématisme. La sociologie n’est féconde qu’à partir du moment où, après avoir déconstruit des préjugés, elle essaie de discerner, non pas nécessairement une, mais des logiques, des permanences dans le fonctionnement d’une société, ce qui n’équivaut pas nécessairement à nier aux individus leur personnalité, leur pouvoir d’influence en retour sur la société. La théorie des patterns développée par R. Benedict (Patterns of Culture, 1934, son autre œuvre majeure), des schémas qui sous-tendent un certain isomorphisme entre les préjugés fondamentaux d’une culture et les comportements adoptés par ses membres, ne doit pas être lue comme la thèse d’un déterminisme culturel total. Le titre original complet, The chrysanthemum and the sword : Patterns of Japanese Culture, offre évidemment plus le flanc à la critique que ses traduction en japonais ou en français… « Chacun à sa place » Comment R. Benedict procède-t-elle dans son analyse ? Après avoir évoqué ses méthodes de récolte de l’information en introduction, nous allons maintenant nous attacher à montrer comment, dans son essai, elle organise son propos. Il ne s’agit pas ici de livrer un résumé équilibré de toute la matière de l’œuvre, mais davantage de rendre compte des articulations logiques, ce qui sera ne se fera évidemment pas sans présenter aussi quelques éléments du fond. R. Benedict part tout naturellement de la problématique qui lui a été posée, celle de la guerre. Comment le Japon se comporte-t-il dans la guerre et, en particulier, pour quelle raison profonde le Japon a-t-il entamé une guerre d’agression en Asie orientale ? Le chapitre 2 – premier véritable chapitre d’analyse car, dans le chapitre 1, R. Benedict présente le cadre de son travail et justifie ses méthodes – décortique ainsi l’éthique de guerre des Japonais, bien différente des us occidentaux. Elle relève deux valeurs japonaises fondamentales, l’ordre et l’allégeance. Je cite : « Le Japon, lui, voyait ailleurs la cause de la guerre. Le monde serait en proie à l'anarchie aussi longtemps que chaque nation disposerait d'une absolue. Il était donc nécessaire que ce pays combattît pour établir une hiérarchie dominée, cela va de soi, par le Japon puisque c'était le seul pays à avoir une société vraiment hiérarchisée de haut en bas et par conséquent à comprendre que chacun devait rester à sa place » [P30L5] ; « le peuple se battrait à mort avec des pieds de bambou aussi longtemps que l’Empereur l’ordonnerait, de même il accepterait pacifiquement la défaite et l’occupation si l’Empereur le lui commandait » [P41L-15]. Allégeance totale à l’Empereur et déférence à la hiérarchie au point d’en vouloir l’exportation belliqueuse : deux symptômes d’une société qui ne se concevrait que dans le respect d’un leitmotiv « chacun à sa place » ? C’est là le titre et l’objet du chapitre suivant, dans lequel R. Benedict plus précisément les origines de ce besoin de hiérarchie, qu’ « il ne faut pas assimiler […] à l’autoritarisme tel qu’il a été pratiqué en Occident » [P52L22]. Avant de poursuivre, R. Benedict entreprend donc de déconstruire la connotation péjorative que l’occidental y attache. La hiérarchie Le chrysanthème et le sabre – fiche de lecture Pierre Lugan 3/7 japonaise signifie pour les haut placés autant de devoirs que de pouvoirs vis-à-vis de leurs subordonnés ; enfin, la hiérarchie de façade, institutionnalisée, celle que l’on doit respecter dans les formes, peut se distinguer des jeux de pouvoir véritables, en arrière plan. R. Benedict montre que la hiérarchie japonaise est surtout un système d’allégeances et de rapports interpersonnels, dans la famille comme dans la société, forgé par le Japon féodal des castes, des daimyôs et shôguns, et maintenu au-delà. Formant une éthique à part entière, ces conceptions se sont déclinées en code, dont tout membre du groupe apprend la pratique dès le plus jeune âge. « Ce code garantissait la sécurité du moment qu’on en suivait les règles ; il autorisait à protester contre les abus et on pouvait le manipuler dans son propre intérêt. Il impliquait qu’on honorât des obligations réciproques. Quand le régime de Tokugawa s’effondra dans la première moitié du XIXe siècle, aucun groupe dans la nation n’était partisan de se débarrasser du code. » [P73L-9] Deux leçons : la hiérarchie est un échange, à l’image du respect que doivent au fils aîné d’une famille ses cadets et ses sœurs, qui est la contrepartie de la responsabilité qui incombe à l’aîné de perpétuer l’héritage (nom et biens) de la famille ; le code social trouve en tous des partisans car il assure la sécurité de tous. « Ainsi les Japonais organisent leur monde en se référant constamment à la hiérarchie. Dans la famille et dans les relations d'individu à individu, l'âge, la génération, le sexe et la classe vous indiquent la conduite à tenir. Dans les affaires du gouvernement, dans la religion, dans l'armée, dans l'industrie, les champs d'intervention sont répartis entre les membres d'une hiérarchie dont aucun, qu'il soit en haut ou en bas de l'échelle, ne peut outrepasser ses prérogatives. Du moment que chacun reste à sa place, les Japonais acceptent sans protester. Ils se sentent en sécurité » [P91L17]. La moderniste réforme Meiji abolit certaines prérogatives, certaines relations d’interdépendance – allégeance, ces uploads/Litterature/ chrysabre.pdf
Documents similaires










-
33
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0359MB