[p. 159] LE CORAN : TROIS TRADUCTIONS RECENTES1 par Claude Gilliot (Aix-en-Prov

[p. 159] LE CORAN : TROIS TRADUCTIONS RECENTES1 par Claude Gilliot (Aix-en-Provence) in Studia Islamica, LXXV (1992), p. 159-77 [Remarks of Claude Gilliot for this PDF version done in August 2014. The original pagination is betwen square brackets in texto. The addenda to the original paper version are in smaller characters between square brackets] Dans un article paru il y a quelques années, on souhaitait une «traduction exemplaire du Coran en français», mais on ajoutait qu’une [p. 1. Le Coran. Essai de traduction de l’arabe annoté et suivi d’une étude exégétique par Jacques Berque, Paris, Sindbad, 1990, 840 p., sur papier bible, calligraphies de Ghani Alani, index; 14,5x23,5, 380 F; plein cuir, frappé à l’or 23 carats, 3000 F.; Le Coran. L’Appel. Traduit et présenté par André Chouraqui, Paris, Robert Laffont, sur papier bible, calligraphies et enluminures de Ghani Alani, 1990, 1434 p., index; 14x20, 198 F.; Le Qoran, texte intégral, traduction sur la vulgate arabe par René R. Khawam, Paris, Maisonneuve et Larose, 1990; 14x21, 441 p., index, 144 F. Dans ce qui suit, ces traductions sont respectivement désignées par les sigles : B., C. et Kh. Traductions mentionnées ci-après : Mahomet, le Coran, trad. Albin de Biberstein Kazimirski, Paris, 1840, souvent réimprimée, dont : Le Coran, chronologie et préface par M. Arkoun, Paris, Garnier-Flammarion (coll. «GF», 237), 1970, 511 p, et Le Coran, avec notice préliminaire et notices sur Mahomet et Le Coran par Maxime Rodinson, Paris, Garnier (coll. «Classiques Garnier»), 1981, XLI+646 p. [La notice sur Mahomet est reprise d’Encyclopædia Universalis, 1971; celle sur le Coran, de la Grande Encyclopédie Larousse; toutes deux, écrites par M. Rodinson, sont d’une grande qualité. La trad. est également précédée de la Vie de Mahomet par Abº l-Fidæ’, traduite par Noël Desvergers, en 1837]. Trad. O. Pesle et Ahmed Tidjani, 1936; Paris, Larose, 19543, XVI+458 p., avec un dictionnaire juridique et un dictionnaire historique et géographique. Trad. Régis Blachère, Le Coran, traduction selon un essai de reclassement des sourates, I-III, Paris, G. P. Maisonneuve (coll. «Islam d’hier et d’aujourd’hui», III-V), 1947-51, LIX+273 p. et XIII+1240 p., le vol. I, étant une Introduction au Coran. Cette trad. a paru aussi en un vol. à part, avec moins de notes : Paris, G. P. Maisonneuve, 1957, 748 p., index. Trad. de Si Hamza Boubakeur, I-II, Paris, Fayard/Denoël (coll. «Le Trésor spirituel de l’humanité», 1972, XIX+1389 p., index, avec un commentaire du traducteur basé sur un choix d’interprétations des exégètes classiques. Trad. Denise Masson, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1967. Nous citons, quant à nous, d’après le texte de cette traduction édité avec le texte arabe, pourvu de l’imprimatur de Sobhi El-Saleh : Essai d’interprétation du Coran inimitable, Beyrouth, Dar al-Kitab allubnani, 1977, LXIX+892 p., index. Trad. Sadok Mazigh, Le Coran. Essai d’interprétation du Coran inimitable, Paris, Les Editions du Jaguar, 1985, CXLIV+30+827 p.; précédemment paru à Tunis, Maison tunisienne d’édition, 1980, en 2 vol., 566+608 p. (avec des coquilles ou des fautes d’orthographe en français). 160] grande traduction «doit être l’œuvre d’un groupe qui conjuguerait les efforts de spécialistes de toutes les disciplines»2 Il sera surtout question ici des traductions de A. Chouraqui et de J. Berque. Celle de R. Khawam, qui ne comporte guère de notes justificatives, sera évoquée à l’occasion. , ce qui a d’ailleurs été fait à plusieurs reprises pour la Bible. Cette fois encore, les trois traductions sorties récemment en France sont l’œuvre d’individus; nonobstant, sont-elles exemplaires? I. L’exemple de la sourate liminaire Pour donner au lecteur une idée de quelques-unes des caractéristiques de ces trois traductions, nous reproduisons ci-après le texte de la première sourate en deux tableaux synoptiques, avec la traduction de Kazimirski : 2. J. E. Bencheikh, « Sourate d’al-Kahf. Neuf traductions du Coran », Analyses/Théorie (Université Paris VIII), 1980/3, p. 2. Khawam Kazimirski 1. Au nom de Dieu, le Maître de miséricorde Au nom de Dieu clément et miséricordieux. 2. Louange à Dieu, Maître des mondes Louange à Dieu, Souverain de l’univers, 3. Le Maître de miséricorde, la Source de Le clément, le miséricordieux, miséricorde 4. Celui qui garde en son pouvoir le jour du Souverain au jour de la rétribution. jugement 5. C’est Toi que nous adorons, c’est à Toi que C’est toi que nous adorons, c’est toi dont nous nous demandons secours implorons le secours. 6. Montre-nous le chemin droit. Dirige-nous dans le sentier droit, 7. Le chemin de ceux à qui Tu as accordé Tes Dans le sentier de ceux que tu as comblés de faveurs, différent du chemin de ceux qui ont bienfaits. De ceux qui n’ont point encourus ta encouru Ta colère et du chemin de ceux qui sont De ceux qui n’ont point encourus ta égarés. colère et qui ne s’égarent point. [p. 161] Chouraqui Berque 1. Au nom d’Allah, le Matriciant, le Matriciel Au nom de Dieu, le Tout miséricorde, le. Miséricordieux 2. la désirance d’Allah, Rabb des univers, Louange à Dieu, Seigneur des univers 3. le Matriciant, le Matriciel le Tout miséricorde, le Miséricordieux 4. souverain du jour de la Créance : le roi du jour de l’allégeance 5. Toi, nous te servons, C’est Toi que nous adorons, Toi de qui le Toi, nous te sollicitons. secours implorons 6. Guide-nous sur le chemin ascendant, Guide-nous sur la voie de rectitude 7. Le chemin de ceux que tu as ravis,. la voie de ceux que Tu as gratifiés, non pas non pas celui des courroucés celle des réprouvés, non plus que de ceux ni des fourvoyés. s’égarent. 1) La traduction de Chouraqui Nous commencerons par le projet d’André Chouraqui qui repose, nous paraît-t-il, sur la conviction que la parenté linguistique entre l’arabe et le l’hébreu, ainsi qu’entre le Coran et la Bible, doit se manifester le plus possible dans la traduction. Personne ne songera à nier que parenté il y a, même si dans bien des cas précis, grandes seront les divergences. Bien plus, assez tôt en islam, un débat s’est instauré, à propos des termes d’origine étrangère que contiendrait le Coran3. Pour autant, cela doit-il conduire à des excès dans la surtraduction et à « restituer » à des termes arabes des significations ou des connotations qu’ils n’ont pas ? Que penserait-on d’un truchement qui, entendant l’expression française : «adieu!», la rendrait mot à mot en arabe par «li-llâh», se figurant que les Français pensent à Dieu, lorsque, ce disant, ils prennent congé de quelqu’un ? Ou encore, d’un drogman4 qui, sous prétexte que le français est une langue indo-européenne, réinventerait des sens à des termes français, en partant de [p. 162] racines sanscrites? Or C. donne souvent l’impression de rétablir le Coran dans une « Ursprache » sémitique, entendez hébraïque5 3. Cl. Gilliot, Exégèse, langue et théologie en islam L'exégèse coranique de Tabari, Paris, Vrin («Etudes musulmanes», XXXII), 1990, 320 p. [Désormais : Elt], cap. IV, p. 95- 110. . N. B. : on trouvera les réf. complètes (nombres de vol., lieu et date d’éd.) des sources mentionnées ci-après dans la bibliogr. et les abréviations de Cl. Gilliot, Elt, op. cit., p. 282- 308 4. La suite montrera que ce n’est pas par hasard que nous utilisons ici les termes «drogman» et «truchement»! 5. Encore une fois, il ne s’agit pas de nier l’influence du judaïsme sur le Coran, mais on ne peut en parler à coup de rapprochements aventureux. De ce point de vue, un ouvrage paru récemment représente l’aberration suprême, faute d’une science suffisante en arabe et en islamologie : Fr. Bruno Bonnet-Eymard, Le Coran, traduction et commentaire systématique, I, Saint-Parre lès-Vaudes, La Contre-Réforme catholique, 1988, 344 p., v. c. r. Michel Lagarde, Islamochristiana, 15 (1989), p. 262-63. Cette opération débute dès la sourate liminaire, où ar-raḥmān ar-raḥīm est rendu par le « Matriciant, le Matriciel », sous prétexte qu’en arabe ra?im (qui devient en note de C. : rahâm) signifie la matrice6. C’est là confondre deux domaines, celui de la parenté linguistique et celui de la morphologie; l’arabe, en effet, a lui aussi ses propres lois et constantes morphologiques qu’on ne peut ignorer, lorsqu’on traduit un texte écrit en cette langue. Raḥmān est sur le modèle fa‘lān, qui est un schème de quantité7 : celui qui a une grand miséricorde, le très miséricordieux. Ce terme, tout comme raḥīm, d’ailleurs, est à rattacher au verbe raḥima (avoir pitié, être miséricordieux). Il est licite de constater le lien étymologique avec la matrice8 ou de noter que raḥim désigne aussi le lien de parenté9 6. Un lexicographe arabe, au moins, a vu dans raḥmān un terme hébreu arabisé, il s’agit de Ṯa‘lab, v. Daniel Gimaret, Les noms divins en Islam, Paris, Cerf, 1988, p. 375-76, et l’ensemble de son dossier sur ces deux termes, p. 375-96. . Mais pour ce qui est de la traduction, 7. V. Lisān al-‘Arab, sub rad. Ṭabarī, Tafsīr [désormais : Tab], éd. Šākir, I, p. 126, qui remarque que le schème fa‘lān est fréquent avec les verbes du schème fa‘ila, yaf‘alu. 8. B. la relève p. 23. V. Gimaret, op. cit., p. 375-381. 9. Cela apparaît même dans des traditions prophétiques; ainsi uploads/Litterature/ claude-gilliot-le-coran-trois-traduction-pdf 1 .pdf

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