Séquences Document généré le 23 avr. 2017 18:50 Séquences Le cliché au cinéma :
Séquences Document généré le 23 avr. 2017 18:50 Séquences Le cliché au cinéma : Du côté de Gilles Deleuze Maxime Labrecque Numéro 281, Novembre–Décembre 2012 2 1 9 2 Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La revue Séquences Inc. ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique) 2 1 9 2 Découvrir la revue Citer cet article Maxime Labrecque "Le cliché au cinéma : Du côté de Gilles Deleuze." Séquences 281 (2012): 30–33. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 2012 SÉQUENCES 281 | NOVEMBRE — DÉCEMBRE 2012 ÉTUDE | Le cliché 30 Le cliché au cinéma Du côté de Gilles Deleuze Le cliché n’a pas la vie facile : souvent critiqué, dénoncé et parodié, il s’immisce dans tous les arts, spécialement au cinéma. Cependant, il a plusieurs avantages. Son efficacité, par exemple, est enviée par plusieurs. Il peut rejoindre un très grand nombre de gens à la fois, bien que parfois certaines barrières culturelles l’en empêchent. Mais, règle générale, le cliché déclenche une réaction immédiate, convenue, spontanée. Les artistes, écrivains, critiques et réalisateurs n’ont plus à se forcer afin de trouver des images nouvelles, puisque les clichés sont toujours là, universellement compris et prêts à être utilisés. Son utilisation est-elle un signe de paresse ? Pas nécessairement, car résister aux clichés est extrêmement difficile, puisqu’ils sont omniprésents, véritables fantômes qui hantent notre inconscient. Le cliché préexiste à l’œuvre, voilà pourquoi il est important d’engager le combat contre lui, afin qu’une véritable image d’art surgisse. Comment s’y prendre ? Gilles Deleuze, à ce sujet, propose quelques idées. MAXIME LABRECQUE D ’abord, tâchons de déterminer quelles formes peut prendre un cliché. Généralement, il s’agit d’une expression toute faite et trop souvent utilisée, bref, une image usée. Prenons les stéréotypes: la jolie blonde, l’intellectuel aux grosses lunettes, le prince charmant et vaillant, etc. Ce sont des clichés maintes fois repris dans les films. Nous portons un jugement sur les personnages en fonction de leur apparence; nous sommes conditionnés à réagir ainsi, c’est un véritable mode d’assujettissement. Cela dit, bien que le cliché soit condamnable à plusieurs égards, son efficacité est indiscutable. Au théâtre, par exemple, principalement dans le burlesque, des personnages clichés communiquent implicitement au spectateur toutes les informations nécessaires dès leur entrée en scène. On n’a pas besoin d’entrer dans de longues explications, car le costume et l’attitude du personnage, avant même qu’il ait prononcé un mot, suffisent à le catégoriser. De plus, chaque genre au cinéma a son propre système de lois qui regorge de clichés. Prenons le western, le film noir, le film de science- fiction…c’est tout un univers bien souvent prévisible tant les clichés sont aberrants. Un western doit contenir un duel au revolver, un personnage de shérif, un truand, etc. Les spectateurs s’attendent à retrouver ces éléments, et les producteurs, fidèles au genre, n’oseraient jamais troubler cette belle quiétude. Mais, au final, c’est au lecteur ou au spectateur à qui appartient le choix de se laisser convaincre ou non par les clichés. Il peut être réduit «à un rôle de récepteur passif (s’il admet le cliché), ou [hissé] à celui de critique intransigeant (s’il refuse le cliché)»1. Il y a un parallèle intéressant à faire entre le cycle de vie du cliché et le lancement d’un produit dans une perspective de marketing. Tout d’abord, quelqu’un fait une trouvaille audacieuse dont la qualité poétique est reconnue, jusqu’à devenir une référence. Ensuite, des créateurs de moindre rayonnement réutilisent cette fameuse trouvaille, si bien qu’elle devient commune, attendue, déclassée. Cela explique peut-être pourquoi la poésie est loin d’être accessible à tous, car elle tente de trouver des images nouvelles qui exigent réflexion et ouverture de la part des lecteurs. Lecteurs qui, par ailleurs, sont souvent réticents à sortir du cliché pour explorer de nouvelles avenues… PHOTO : Gilles Deleuze 31 31 Le cliché | ÉTUDE 31 SÉQUENCES 281 | NOVEMBRE — DÉCEMBRE 2012 Ainsi, selon l’acception générale, le cliché consiste en une image usée à force de répétition. Or, chez Gilles Deleuze, le cliché n’a pas tout à fait la même signification. Pour le philosophe, il s’agit d’« une image sensori-motrice de la chose »2. On pense alors aux perceptions, au mouvement. Les clichés sont donc de mode réactif, ce sont «des images prescriptives, qui déclenchent immédiatement une réponse. Elles s’adressent directement à nos muscles et à nos jarrets, et nous ont déjà poussés à réagir avant même qu’on ait pu “sentir”»3. Le protagoniste, et le spectateur qui s’identifie à lui, perçoit quelque chose, mais au lieu de prendre le temps de comprendre, de sentir ce qui se passe, réagit immédiatement. Nous avons donc une perception qui se mute en action, par le biais du lien sensori-moteur. Ce sont nos schèmes sensori-moteurs qui sont responsables de cette réponse convenue, apprise, et qui incarnent notre habitus. Par exemple, lorsque nous faisons la vaisselle, nous allons l’essuyer immédiatement après. Ou lorsque nous prenons un timbre postal, c’est pour l’apposer sur une enveloppe. C’est un automatisme. Ces exemples, plutôt triviaux, démontrent tout de même, de manière succincte, l’idée du cliché chez Deleuze. Dans le cinéma hollywoodien classique et même contemporain, il faut éviter de troubler ce bel ordre des choses, cet habitus! Ce genre de cinéma utilise machinalement les clichés, «il participe à leur fabrication et à leur propagation»4. Tout cela s’inscrit dans une suite d’événements logiques qui ne perturbent pas le bon déroulement du récit, car pourquoi bouleverser la formule du cinéma classique qui s’avère encore si efficace de nos jours? Cet automatisme, qui déclenche immédiatement une réaction convenue, apaise le spectateur, docile devant tant de clichés… mais est-il possible de troubler cette torpeur? Et si nous collions le timbre sur le mur au lieu de l’apposer sur l’enveloppe? Selon la pensée de Deleuze, pour mettre fin à ce fléau, il faut nécessairement une rupture avec le lien sensori-moteur. Il faut troubler notre habitus pour entrer dans une nouvelle sorte d’image: une image optique-sonore pure. Cette image, ou situation, peut être perçue différemment selon les gens. Et ce qu’il y a de fascinant, c’est qu’une situation limite, de même qu’un événement tout à fait banal, peut provoquer une grande perturbation chez un personnage. Deleuze emploie l’exemple du film Stromboli (1950) de Rossellini pour mettre en relief une situation optique-sonore pure devant une situation limite, en l’occurrence l’explosion d’un volcan. Dans ce film, Ingrid Bergman incarne Karin, une jeune femme mariée à un pêcheur qui habite sur une île, dans un petit village nommé Stromboli. Elle n’est pas chez elle sur cette île, ce monde ne lui appartient pas et, à plusieurs reprises, elle erre sans but, complètement déconnectée de la réalité. L’épisode de la pêche au thon la déconcerte : elle ne veut pas toucher à ces gros poissons qui lui répugnent. De plus, sur l’île se trouve un volcan et le paroxysme du film est atteint lorsque ce dernier entre en éruption. Karin, désarçonnée, ne sait comment agir devant cette situation, perdant ainsi tous ses repères. Ses schèmes sensori-moteurs sont brisés : elle est devant un événement intolérable et insupportable, mais en même temps un événement trop beau qu’elle est incapable de saisir de façon normale. Or, pour les habitants de l’île, cette situation est prévisible et ils savent comment agir. Pour eux, aucune rupture sensori-motrice ne s’opère, car ils sont habitués, et ce depuis des générations, aux manifestations du volcan. Il est donc possible que, pour une même situation, les personnages ne réagissent pas tous de la même manière. Leur réaction dépendra de leur habitus, car ce qui est intolérable pour un personnage ne le sera pas nécessairement pour un autre. Lors de l’éruption, Karin, l’étrangère, subit un effondrement de ses certitudes et baigne en situation optique pure. Par le fait même, le spectateur du film, qui, traditionnellement, s’identifie au personnage, sera lui aussi dans une situation semblable. Il convient cependant de nuancer : il ne sera pas dans une situation aussi insupportable, mais sa compréhension des événements sera sans doute troublée. Karin court dans le village, en n’ayant aucune idée de sa destination, Stromboli Vivement dimanche ÉTUDE | Le cliché 32 SÉQUENCES 281 | NOVEMBRE — DÉCEMBRE 2012 puis elle fait face à un mur. Il y a quelque chose de puissant, d’indescriptible, que Deleuze tente d’analyser lors d’un cours à l’université Paris 8: «Elle court, et elle court jusqu’à ce qu’elle arrive à un petit mur. Elle est toute seule, et elle lance sa grande phrase, sa grande phrase qui est quelque chose comme “je suis finie, j’ai peur, mon Dieu, c’est trop beau, c’est trop violent”. J’ai fini, j’ai peur, le mur l’arrête: “je uploads/Litterature/ cliche-au-cinema-deleuze 2 .pdf
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- Publié le Jan 11, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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