CM 1998 GRAND FORMAT France-Brésil : le roman du 12 juillet 1998 (première part

CM 1998 GRAND FORMAT France-Brésil : le roman du 12 juillet 1998 (première partie) La France et son équipe de football ont vécu du 10 juin au 12 juillet 1998 une histoire d'amour qui n'a pas débuté par un coup de foudre, mais qui s'est achevée sur quelques heures de bonheur fou. Voici racontée par les acteurs cette fameuse journée du dimanche 12 juillet qui a permis aux Bleus de se hisser sur le toit du monde. Première partie (sur quatre). Patrick Dessault, avec la rédaction de France Football mis à jour le 12 juillet 2018 à 13h17 partager UN MATIN EN COUP DE VENT Ce 12 juillet, lorsque Zinédine Zidane ouvre un œil dans la chambre de Clairefontaine qu'il partage avec son ami de toujours, Christophe Dugarry, encore profondément endormi, le ciel est bas, les premiers rayons de soleil percent à peine le maigre rempart de nuages qui protègent Paris et ses environs. Dehors, il fait doux. Un peu plus de 15 °C, avec un vent de sud-sud-ouest, indique le centre interdépartemental météorologique de Montsouris, avec des pointes pouvant aller jusqu'à 58 km/h. À l'intérieur, les lève-tôt ont déjà avalé leur petit déjeuner ou sont en passe de le faire. Zizou, qui s'est endormi vers 1 heure du matin en rêvassant, bercé par les songes éveillés de son coéquipier de chambrée, attaque un bol de corn-flakes avec du lait rempli à ras bord, sirote un verre d'eau puis un jus d'orange et grignote quelques tartines. Le staff technique a depuis longtemps déserté la salle à manger pour se réfugier dans la chambre d'Aimé Jacquet afin de bien asseoir le programme de cette journée peu ordinaire. «Après le café, Mémé m'a demandé de l'accompagner pour vérifier ensemble s'il n'avait rien oublié, se rappelle Philippe Bergeroo. Je me souviens encore de ses paroles : “Quatre yeux valent mieux que deux.” Sur le tableau, écrit au feutre noir, il y a la compo de l'équipe, les points forts et les points faibles du Brésil, notre plan de jeu et tout ce qui a trait aux coups de pied arrêtés, offensifs et défensifs. Tout est O.K. Ensuite, j'ai fait un tour d'horizon de la presse du jour, et je me souviens d'avoir lu que Romario pariait sur un succès du Brésil, 3-0.» LE SALADIER DE THURAM Exceptionnellement, le sélectionneur a prévu un petit décrassage dans la matinée. Rendez- vous donc dans les vestiaires du centre vers 10 h 30. «Pour éviter la routine et bien remplir la journée», explique Didier Deschamps. Avant, c'est quartier libre. Certains reculent le plus longtemps possible l'instant du réveil et d'autres ne peuvent pas démarrer le jour sans un solide petit déjeuner. Frank Lebœuf, qui a demandé au docteur Jean-Marcel Ferret un Myolastan pour mieux dormir, est réveillé par le service hôtelier de Clairefontaine avant de filer retrouver les quelques pères de famille qui ont l'habitude de ce premier repas quotidien. Au thé, forcément anglais, avec un nuage de lait, Frank ajoute deux ou trois crêpes, «car, ici, elles sont bonnes ; il n'y a qu'avec les Bleus que j'en mange». Stéphane Guivarc'h, sans doute le plus impatient de tous à quitter son lit, fonce devant la glace, comme tous les matins, «voir la tronche que j'ai», avant de dévaler l'escalier et de s'apercevoir qu'il est le premier occupant des lieux, toujours après Aimé Jacquet. Le sélectionneur les inaugure avec une belle constance depuis le début du Mondial, après son footing de 6h30, en compagnie de sa garde rapprochée, Henri Émile, Roger Lemerre et Jean- Marcel Ferret ; Philippe Tournon, chef de presse, se réservant plutôt pour la séquence des crêpes. Sur le buffet, il y a un peu de tout : les kiwis de Deschamps, les oranges de Lemerre, que l'adjoint de l'époque pèle patiemment, les céréales de Barthez, mais le jus d'orange, tout seul, reste majoritaire, surtout chez les plus jeunes. «Moi, je ne prends rien du tout, avoue Emmanuel Petit, même si je sais parfaitement que pour un sportif c'est important. De toute façon, cela faisait bien une semaine que je n'arrivais plus à bien dormir la nuit ou à me reposer l'après-midi, je retardais donc au maximum l'instant où je devais sortir du lit.» Ce n'est pas le cas de Marcel Desailly. Il partage la «suite présidentielle», dixit Didier Deschamps, numéro 24, du château, au premier étage, avec celui-ci justement. «On a besoin de beaucoup de place tous les deux, d'une grande table aussi, surtout lui, pour y poser tous ses portables et ses trois attachés-cases, ainsi que les piles de fax qu'il reçoit. C'est un homme d'affaires. Alors, pour faire tout ça, le Black doit manger. Il commence par quatre baguettes et trois kilos de beurre», explique en se marrant le capitaine des Bleus. Ce dernier, dit «Blanchard», exagère à peine, admet son pote. «Mais c'est surtout le midi, car j'aime être plein, vraiment très plein, pour la sieste. Manger me berce et m'aide à mieux m'endormir. En tout cas, Dédé me dit souvent qu'il vaut mieux m'avoir en photo qu'à table.» Lilian Thuram aussi est un gros dévoreur, d'espaces et de laitue, il a même besoin d'un saladier tout entier pour manger. C'est plus pratique et ça évite de se servir trente-six fois. «Le lendemain de la demi-finale contre la Croatie, lorsque Tutu a inscrit les deux buts de la qualification, dit en rigolant Robert Pires, on s'était tous donné le mot et, à table, on avait tous posé un saladier devant nous, persuadés que c'était manifestement le secret de sa réussite.» Aux alentours de 10 heures, le tout-Clairefontaine se met lentement en action. Les uns multiplient les coups de fil : Deschamps a déjà téléphoné à Claude, sa femme. «C'est ma première préoccupation en me réveillant, car elle me raconte tout. Je ne peux pas commencer la journée sans l'entendre.» Christophe Dugarry n'est pas un fou du portable et ne le branche guère en général. Et ce dimanche n'y fait pas exception. «Seulement, concède- t-il, j'ai dû appeler mes parents, qui sont encore derrière le zinc de leur bar-tabac près de Bordeaux. Ils montent à Paris en voiture, et comme ils n'ont jamais dû venir plus de cinq fois à eux deux dans la capitale, je m'assure qu'ils ont bien tout compris, qu'ils savent comment aller chercher les places du match au siège de la FFF. Je m'inquiète plus pour eux que pour moi. » D'autres préparent déjà leurs bagages. Pour deux mois de vie loin de chez soi, c'est long à rassembler. Roger Lemerre vérifie tout, «surtout si mon porte-bonheur, enfin je crois que c'en est un, est là. C'est une pierre percée qu'un copain d'école, sourd et muet, m'a donné lors du stage de Tignes, sur le glacier, avant la Coupe du monde. C'est un bout de granit troué par l'érosion. C'est à lui que je pense quand je fais ma valise.» DJORKAEFF FAIT TOUT À L'ENVERS Aimé Jacquet a senti la nécessité de ne laisser personne dans son coin. Si le patron des Bleus a toujours conservé son groupe sous tension, jusqu'à la dernière minute, il change de stratégie pour cette finale et officialise la composition de l'équipe très tôt dans la matinée : Barthez - Thuram, Desailly, Lebœuf, Lizarazu - Karembeu, Deschamps, Petit - Zidane - Guivarc'h, Djorkaeff. Sans surprise. «Pourtant, raconte Bernard Diomède avec une pointe de regret, la veille, le coach avait donné l'impression qu'il pourrait y avoir du changement. Il a été très fort car chacun s'est accroché à l'idée qu'il pouvait jouer cette finale. Moi, en tout cas, j'y ai pensé, même si l'équipe était en place depuis plusieurs matches déjà.» Un sentiment partagé par Alain Boghossian. «Je m'attendais à être sur le banc, mais c'est quand Aimé a rendu la chose publique que je m'en suis imprégnée. Dans la vie, on ne sait jamais, il faut toujours y croire. Mais là, c'est fini. Le coach a parlé aux titulaires, et je me suis rendu compte que je passais à côté de quelque chose de grand.» Une déception vite ravalée, avant que le plaisir d'être ensemble à courir après une cause commune ne reprenne le dessus. «C'est curieux comme sentiment, décortique Thierry Henry. Alors qu'en Championnat, si je n'en suis pas, je suis prêt à m'énerver, à râler, là, très vite, je me suis replongé dans l'idéal collectif.» Le Monégasque baigne dans l'euphorie positive des ondes de Clairefontaine. Si Jacquet a souhaité casser la monotonie du jour de match lorsque chacun poireaute dans sa chambre en attendant le soir, il n'est pas le seul qui rompt ses petites habitudes. Youri Djorkaeff a décidé de tout faire à l'envers ce dimanche. «Avant, je me suis toujours attaché à accomplir les mêmes gestes, par superstition. Et là, pour me prouver que nous étions forts, au-delà de tout, j'ai cassé le cérémonial. J'ai mis la chaussette droite avant la gauche, j'ai enfilé un short que je ne mettais jamais à l'entraînement, un haut de survêt de compète, etc. Je pensais très fort que je n'avais pas uploads/Litterature/ cm-1998.pdf

  • 29
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager