COMPTE RENDU DE LECTURE L’Invention des classiques. Le “siècle de Louis XIV” ex

COMPTE RENDU DE LECTURE L’Invention des classiques. Le “siècle de Louis XIV” existe-t-il ?, Stéphane Zékian L’Invention des classiques. Le « siècle de Louis XIV » existe-t-il ?, Paris, CNRS éd., 2012, 384 p. Stéphane Zékian, agrégé de lettres modernes, est chargé de recherches en histoire littéraire au CNRS. Ses travaux portent sur les emplois idéologiques d’héritages littéraires et culturels. Il se concentre plus précisément sur la politisation de la mémoire littéraire en France au XIXème siècle et sur la représentation de la France comme nation littéraire. Sa thèse, qui portait sur l’instrumentalisation de la référence au XVIIe siècle dans l’espace public postrévolutionnaire, a été publiée sous le titre L’Invention des classiques. Le « siècle de Louis XIV » existe-t-il ? Il développe également une enquête historique sur la séparation des champs littéraires et scientifiques depuis le dernier tiers du XVIIIème siècle, sujet déjà présent dans cet ouvrage. Celui-ci s’inscrit dans une critique littéraire tournée vers le versant de la réception et de la lecture des œuvres. Toutefois à la différence de Jauss, Zekian ne propose pas de s’intéresser au lecteur individuel face à un texte mais plutôt à la réception globale d’un vaste corpus, celui du XVIIème siècle par le XIXème siècle naissant. Une approche plus large donc, qui confère à ce texte une dimension historiographique forte puisqu’il vise à étudier la constitution d’une tradition littéraire. En interrogeant les rapports complexes entre la société, la politique, l’histoire et la littérature, Stéphane Zékian participe d’un renouveau de la recherche littéraire qui s’efforce d’écrire l’histoire de la perception des textes et de leur transmission. * * * Cette étude prend la forme d’une enquête qui entend montrer le devenir de l’héritage classique dans la France post-révolutionnaire, comme le confirme son sous-titre sous forme de question : “Le “siècle de Louis XIV existe-il ?”. Sous-titre volontairement provocateur qui pousse à la lecture de cet ouvrage très riche et très informé. La grande quantité de sources primaires mises à jour et exposées constituent un corpus bibliographique complet qui regroupe des journaux, des périodiques, des écrits politiques, académiques, critiques et historiques, des réceptions théâtrales et éditoriales, des réécritures de textes classiques, … Une variété de sources à l’image du livre qui tient tout autant de la critique littéraire, que de l’histoire littéraire ou de l’historiographie. Son intérêt principal est de révéler des débats longtemps masqués par la querelle romantique et de souligner l’existence d’une ligne de front au sein même du camp classique. Cette étude s’articule en quatre parties divisées chacune en trois chapitres qui approfondissent certaines étapes du raisonnement de manière plus thématique. L’introduction s’ouvre sur une épigraphe de Paul Valéry : « Le plaisir ou l’ennui causé à un lecteur de 1912 par un livre écrit en 1612 est presque un pur hasard. Je veux dire qu’il y entre des conditions si nouvelles en nombre si grand que l’auteur de 1612 le plus profond, le plus fin, le plus juste n’aurait pu en avoir le moindre soupçon. La gloire d’aujourd’hui dore les œuvres du passé ​avec la même intelligence qu’un incendie ou un ver dans une bibliothèque en mettent à détruire ceci ou cela. » Stéphane Zékian s’inscrit en faux contre cette affirmation de Valéry et montre au contraire que la constitution de la gloire littéraire des classiques ne tient pas du hasard mais d’une construction. Dans son introduction, l’auteur met en parallèle notre début de siècle et celui du XIXème et entend éclairer notre lecture des classiques par celle du XIXème siècle. Les deux périodes sont en effet pour lui caractérisées par une accélération du temps, visibles dans la peur de l’oubli doublée d’une injonction mémorielle, qui remet en question les classiques considérés justement comme tels car intemporels. Dès l’introduction, Zekian choisit de limiter son étude au tournant des années 1820 parce que c’est cette période où la référence aux classiques est à la fois la plus massive, comme le montre son analyse éditoriale, et la plus mouvante. Il s’agit également pour lui d’éviter le parasitage romantique et de proposer une approche différente en recherchant les fractures internes du camp classique. Loin de la querelle romantique, il explique comment des argumentaires violemment contradictoires ont été au service d’un corpus sinon identique, du moins semblable. Ainsi, Zekian s’efforce de dessiner un XIXème siècle lecteur du XVIIème siècle et de montrer ce que celui-là fait dire à celui-ci ? La première partie développe le sous-titre en proposant une historiographie de l’expression “Siècle de Louis XIV” dans son premier chapitre. Expression utilisée et promue par Voltaire, elle est employée par Napoléon pour mettre en valeur “le siècle de Napoléon”. Cette même partie montre la ligne de front qui oppose la vision libérale des classiques à celle des ultras. Ceux-ci sacralisent les classiques en les opposant aux Lumières et discréditent du même coup les libéraux considérés comme héritiers des lumières. Les libéraux quant à eux, à travers La Minerve française, veulent arracher les classiques aux ultras et en proposent une autre périodisation visant à réunir le XVIIème et le XVIIIème siècle. En vain comme le démontre Stéphane Zékian. La deuxième partie vise à expliquer la temporalisation progressive et conflictuelle des classiques, temporalisation qui engendre des ré-appropriations diverses de l’historiographie à la réécriture mais qui confirme que le rapport aux classiques n’est plus évident. Zekian le synthétise avec un sens de la formule en expliquant qu’il s’agit d’un “triple processus de mise en histoire, de mise à jour et de mise en fiches” (p. 126). Il complète cette triade de trois verbes “commencer”, c’est-à-dire fixer une borne initiale, “durer”, soit les modalités de réécriture et “refroidir” ou le recours nécessaire à l’érudition. Il consacre un long chapitre aux réécritures qu’il intitule joliment : “ L’atelier des métamorphoses” et qui montre que cette réécriture a pu être motivée à la fois par la censure impériale, par la réactualisation ou par une paradoxale consécration ultime. Les classiques, au terme de cette temporalisation appartiennent définitivement au passé mais gardent toute leur aura et imposent donc des nouvelles conditions pour dialoguer avec le passé, ce qui est l’objectif des philosophies de l’histoire littéraire. La troisième partie suit donc les lectures différentes du “siècle de Louis XIV”. Zekian organise ces lectures autour de trois personnalités marquantes (trois chapitres) qui incarnent chacune une orientation idéologique et une vision de l’histoire littéraire. Au pari de la perfectibilité, il associe Mme de Staël qui rend hommage aux classiques dont la mémoire doit toutefois s’inscrire dans l’action et s’accomplir dans un projet. Guizot incarne la foi dans le progrès : les classiques sont un exemple de perfection, ils ne sont pas pour autant un modèle à suivre à la lettre. Bonald, a contrario, est convaincu d’une décadence générale et résiste à la temporalisation des classiques qu’il sacralise. C’est cette sacralisation des classiques que Zekian s’emploie à décrire et à analyser dans la quatrième et dernière partie. Il ouvre alors le sujet et l’inscrit dans une perspective nettement plus large, celle de deux grands cadres doctrinaux : la projection idéalisée de la Nation française et la conception catholique immuable de l’Homme. D’une part, les auteurs sont idéalisés, plus particulièrement par le théâtre à visée populaire qui tend à les représenter comme des icônes laïques par leur vie, leur œuvre ou les deux. Dans cette vision moralisante, le classique devient selon Zekian un moraliste sacré sans aspérité. D’autre part, le discours apologétique tend à se transformer en une religion des classiques s’articulant surtout autour de La Bruyère, de La Rochefoucauld et de Bossuet. Celui-ci sert de contre-figure à Voltaire dont Le siècle de Louis XIV demeure un problème pour les lecteurs du XIXème siècle. Un chapitre complet, le dernier de l’ouvrage, y est consacré pour mieux comprendre la réception de cette oeuvre et sa modification qui permettent de débarrasser l’expression même de “siècle Louis XIV” de ses ambiguïtés et de faire de l'héritage classique un monument national où convergent les “quêtes identitaires de la fille aînée de l’Eglise et de la Nation littéraire.” * * * La conclusion montre bien la défaite de la vision libérale des classiques qui ne réussit à s’imposer nulle part et qui fut oubliée de l’histoire littéraire. On perçoit la faveur que Zekian a pour ces écrivains et pour leur pensée, bien qu’il s’en défende quelque peu. Cette réception des classiques s’inscrit dans la reconfiguration disciplinaire du premier XIXème siècle puisqu’elle oppose le XVIIème siècle, celui des Belles Lettres au siècle des Lumières, perçu comme celui des sciences dures. C’est ce conflit qui, selon Zekian, détermine les contours institutionnels du monde savant qui sont illustrés par l’échec de Lacretelle et la restauration de l’Académie française. Dans un dernier tour de force rhétorique, il montre que finalement les romantiques ne s'opposent pas tant à la version de la tradition classique dont nous avons hérité mais plutôt à la version vaincue. En effet, les romantiques, tout en la laïcisant, participent également au sacre national de la figure de l’écrivain , processus déjà engagé par le culte du classique qui amorce l’avènement d’une religion littéraire uploads/Litterature/ compte-rendu-de-lecture.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager