8 | 2012 Insulte, violence verbale, argumentation La « marmitte renversée » : c

8 | 2012 Insulte, violence verbale, argumentation La « marmitte renversée » : construction discursive et fonctionnement argumentatif d’une insulte dans les polémiques des guerres de religion (1560-1600) The “Overturned Pot”: Discursive Construction and Polemic Use of an Insult during the French Religious Wars (1560-1600) Caroline Mellet et Paul-Alexis Mellet https://doi.org/10.4000/aad.1273 Résumé | Index | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteurs Résumés FRANÇAIS ENGLISH L’article propose de montrer comment le motif de la marmite, courant dans la culture de la Renaissance, se spécialise dans un sens politique pour constituer une insulte dans le contexte précis de la polémique opposant pamphlets catholiques et protestants pendant les guerres de religion. En effet, le motif de la marmite, objet central de la cuisine, condense héritage biblique (Ezechiel XI et XXIV), tradition littéraire (Plaute) et culture populaire (telle que Rabelais s’en fait l’écho), pour constituer une critique des présumés péchés du clergé (concupiscence, gourmandise, pacte avec le diable, etc.). A travers l’étude de plusieurs pamphlets (Thomas Beaux-Amis, Théodore de Bèze, etc.) se répondant dans le cadre d’une polémique centrée sur les rites chrétiens, nous mettons en évidence la dynamique discursive permettant la réappropriation du motif dans une valeur d’insulte. Nous étudions en particulier les processus argumentatifs utilisés au fil des pamphlets par chaque camp pour renvoyer l’insulte à l’autre. Il est alors possible de suivre le cheminement discursif de la construction d’une insulte. Il s’agit enfin de souligner la force argumentative de l’image satirique dont la fonction est bien sûr pour les deux Eglises de conforter la confession et pour les catholiques d’éviter la conversion au protestantisme. Haut de page Entrées d’index Mots-clés: eucharistie, guerres de religion, insultes, marmite renversée, pamphlets Keywords: eucharist, French religious wars, insult, overturned pot, pamphlets Haut de page Plan Introduction 1. Le contexte historique de la polémique 1.1. Le contexte religieux des années 1560 1.2. Le motif de la marmite dans les écrits polémiques entre catholiques et réformés 1.3. La constitution du corpus 2. La construction discursive de l’insulte 2.1. Trois étapes dans la construction discursive de l’insulte 2.1.1. Les Satyres chrestiennes comme matrice possible de la marmite comme insulte 2.1.2. Les autres occurrences du mot « marmite » dans le corpus : le déploiement de l’insulte 2.1.3. Le retournement de l’insulte : le texte de Thomas Beaux-Amis 2.2. Les variations dans la mise en texte du nom « marmite » 2.2.1. « marmite » + expansion adjectivale ou complément de nom 2.2.2. « marmite » + structure passive 3. Insulte et argumentation 3.1. L’utilisation du terme « marmite » au service d’une entreprise de démystification 3.2. Les ressources argumentatives de la marmite comme métaphore et métonymie 3.3. Retournement de l’insulte et argumentation Conclusion Haut de page Texte intégral PDFSignaler ce document Introduction 1 On trouvera dans son ouvrage La notion de « formule » en analyse du discours les principaux traits (...) 2 Par exemple l’édit de Saint-Germain-en-Laye (août 1570), article 2 : « Deffendant à tous noz subje (...) 1L’article présenté ici propose d’étudier une insulte au sein de la sphère religieuse et politique pendant les guerres de religion en France entre 1562 et 1598. Il s’agit de mettre en évidence les relations étroites entre les conditions historiques et discursives précises et la construction d’une insulte afin d’en cerner l’efficacité argumentative spécifique. Nous précisons néanmoins que nous laissons de côté ici l'étude, encore à faire, de la relation entre insulte et passage à l’acte. Nous étudions davantage un énoncé insultant en tant que « formule » selon la définition qu’en donne Alice Krieg-Planque1, fonctionnant comme un référent social discuté et favorisant les violences religieuses. Le contexte des guerres de religion est en effet très riche pour qui étudie les insultes. De fait, les tensions confessionnelles, particulièrement fortes dans l’Europe du 16e siècle, au moment même où se développe l’imprimerie, révèlent différents usages polémiques plus ou moins complexes. Il suffit de voir avec quelle insistance les édits de pacification interdisent l’usage des injures pour comprendre l’importance de leur diffusion2. 2Nous proposons ainsi de rendre compte rapidement du contexte politique et religieux des années 1560 au sein duquel va se développer le motif de la marmite. Cet aperçu justifiera la constitution du corpus. L’étude portera alors plus précisément sur la construction discursive du terme « marmite » comme insulte, ce qui permettra de rendre compte de certains aspects de son fonctionnement argumentatif. 1. Le contexte historique de la polémique 1.1. Le contexte religieux des années 1560 3A partir de la réforme de Luther (vers 1520), suivie par celles de Zwingli, Bullinger et Calvin (vers 1530), les critiques à l’encontre du clergé séculier (prêtres, évêques) et du clergé régulier (ordres monastiques) se multiplient. On choisira ici d’exclure les polémiques vis-à-vis des juifs, des musulmans, des luthériens ainsi que des différents groupes minoritaires (antitrinitariens, anabaptistes, etc.), pour se concentrer sur celles opposant les catholiques aux calvinistes en France et dans certaines terres du Saint-Empire (Saxe, Palatinat, cantons suisses). On voit alors apparaître les années 1559-1562 comme cruciales. Comment expliquer ce phénomène ? 3 « Par ces inventions et autres sembables, Satan s’est efforcé d’espandre et mesler les ténèbres en (...) 4 Paul-Alexis Mellet 2007 : 238. 4Deux partis opposés s’organisent dans l’entourage du roi et cherchent à peser sur les décisions des fils d’Henri II, d’abord François II (qui hérite de la couronne en 1559 à 15 ans) puis Charles IX (qui lui succède en 1560 à dix ans). Les conflits sont vifs avec ceux des catholiques qui refusent la politique de concorde prônée par Catherine de Médicis. Mais c’est la question de la messe qui va progressivement cristalliser toutes les tensions. L’eucharistie devient le cœur de la différence théologique entre les confessions en présence : contre la doctrine catholique de la Cène, Calvin rejette la transsubstantiation (la présence réelle du corps et du sang du Christ), qui n’est à ses yeux qu’une invention de la papauté3 (Calvin 1536). Le différend est à son comble quand Théodore de Bèze, futur successeur de Calvin à Genève, lors d’un colloque organisé à Poissy (septembre 1561) pour tenter de trouver une solution à la crise, déclare dès l’ouverture que le corps et le sang du Christ sont totalement étrangers au pain et au vin. C’est la fin de l’espoir de conciliation entretenu par Catherine de Médicis et le chancelier Michel de L’Hospital4. 1.2. Le motif de la marmite dans les écrits polémiques entre catholiques et réformés 5Se développe alors une culture complexe de l’imprimé, comprenant des genres aussi variés que des catalogues de martyrs (Histoire des martyrs de Jean Crespin, 1564), des recueils de prières mais aussi des satires croisées. Certains pamphlétaires catholiques comme Artus Désiré sont devenus célèbres en moquant la « singerie huguenotique » de « Monsieur de Baise » - la gueunon de Bèze - (Le Contrepoison, 1560). Mais le motif qui retient ici notre attention est celui de la marmite, qui est fondamental dans le cadre de la polémique liée à l’eucharistie. Il traduit en effet pour les protestants la gloutonnerie de ces moines cannibales, qui osent affirmer que la chair et le sang du Christ sont distribués rituellement et consommés collectivement tous les dimanches. 5 Voir par exemple les Songeries drolatiques de Pantagruel (Genève : Droz), 2004, planches XXIII et (...) 6Si ce motif de la marmite a connu une si grande diffusion dans les années d’affirmation de la Réforme protestante, c’est aussi parce qu’il est l’héritier d’une longue tradition sacrée et profane. Il apparaît à trois reprises dans les sources vétérotestamentaires, quand Jérémie a la vision d’un chaudron (Jérémie 1, 13-16), quand une marmite cuit la viande du peuple (Ezechiel 11, 1-12) et quand Jérusalem est comparée à une marmite rouillée (Ezechiel 24, 1-14). Mais, comme nous le verrons, seul le texte de Thomas Beaux-Amis s’appuie largement sur ces sources. D’une façon plus générale, le chaudron incarne les enfers dans les représentations chrétiennes, qu’il s’agisse par exemple de la Divine Comédie de Dante (vers 1310) ou du Jugement dernier de Fra Angelico (vers 1430). A partir de la Renaissance, le thème de la marmite se détache de la problématique du Salut (la purification) pour retrouver celle de l’eucharistie (la souillure papale) : il apparaît alors dans des textes profanes (les contes du géant Gargantua), et il est parfois associé à la critique traditionnelle du moine, comme dans les Songeries drolatiques de Pantagruel (1565)5. Dans le cadre des conflits confessionnels, ces deux héritages convergent pour faire du moine un glouton insatiable, un être hypocrite qui scandalise la divinité en détournant les préceptes chrétiens à son profit terrestre (pauvreté, piété, charité). 6 Par exemple Gargantua (1534), éd. Mireille Huchon (Paris : Pléiade), chap. 39-45, p. 106-121. 7Cet anticléricalisme, bien représenté par les textes de Rabelais6, n’est pas incompatible avec la croyance chrétienne, et c’est bien là toute la difficulté : la critique des clercs peut venir tant de l’évangélisme (Erasme, Lefebvre d’Etaples) que du calvinisme (Théodore de Bèze, Simon Goulart). C’est ce qui explique que chaque camp ait pu s’en emparer, en retournant la critique uploads/Litterature/ construction-discursive-et-fonctionnement-argumentatif-d-x27-une-insulte-dans-les-polemiques-des-guerres-de-religion.pdf

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