Archives de sciences sociales des religions 147 | juillet-septembre 2009 Tradui

Archives de sciences sociales des religions 147 | juillet-septembre 2009 Traduire l’intraduisible Les premières traductions françaises du Coran, ( XVIIe-XIXe siècles) Sylvette Larzul Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/assr/21429 DOI : 10.4000/assr.21429 ISSN : 1777-5825 Éditeur Éditions de l’EHESS Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2009 Pagination : 147-165 ISBN : 978-2-7132-2217-7 ISSN : 0335-5985 Référence électronique Sylvette Larzul, « Les premières traductions françaises du Coran, (XVIIe-XIXe siècles) », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 147 | juillet-septembre 2009, mis en ligne le 01 octobre 2012, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/assr/21429 ; DOI : 10.4000/assr.21429 © Archives de sciences sociales des religions Sylvette Larzul Les premières traductions françaises du Coran (XVIIe-XIXe siècles) Considéré en islam comme Parole de Dieu, et donc inimitable, le Coran ne peut théoriquement être traduit. Très tôt cependant, pour des raisons pragma- tiques, des gloses et des traductions plus ou moins littérales ont été composées – en persan et en turc notamment – à destination des musulmans non arabo- phones pour les éclairer sur la signification du texte sacré original. Quand, au XIIe siècle, en est réalisée pour la première fois en Occident une traduction éten- due, à l’initiative de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, le projet est radicalement différent puisqu’il s’inscrit dans une entreprise de réfutation, qui se veut fondée sur une meilleure connaissance de la religion adverse. Exécutée en Espagne, en 1142-1143, par l’Anglais Robert de Ketton entouré d’une équipe de collabora- teurs, cette version inaugurale est incluse dans un ensemble de textes et de traduc- tions à visée apologétique (Collectio toletana). Depuis longtemps condamnée pour son style paraphrastique ainsi que pour sa tendance au résumé et à l’omis- sion, la traduction latine de Robert de Ketton est également considérée comme gauchie par des traducteurs prompts à en déformer le sens 1. C’est dans cette version, éditée en 1543 à Bâle par le protestant Bibliander, puis traduite en italien, en allemand et en néerlandais, que, jusqu’au milieu du XVIIe siècle, l’Occident connaît le Coran 2. En 1647 paraît en français une traduction nouvelle due à André Du Ryer et, avant que de nouvelles perspectives ne s’ouvrent aux traducteurs 1. Norman Daniel (1993 : 194) écrit que « Ketton, assurément, est toujours capable de rehausser la couleur ou d’exagérer le ton d’un texte inoffensif afin de lui donner un ton désagréable ou licencieux, ou de préférer une interprétation improbable mais déplaisante du sens à une interprétation vraisemblable mais normale et décente ». 2. Contrairement à celle de Robert de Ketton, les versions médiévales dues à Marc de Tolède (vers 1209) et à Jean de Ségovie (milieu du XVe siècle) n’ont connu qu’une diffusion restreinte, même si elles sont généralement considérées comme supérieures. La première traduc- tion en italien, publiée en 1547, n’a pas été réalisée à partir de l’arabe, comme l’a affirmé son commanditaire, l’imprimeur vénitien Andrea Arrivabene : Silvestre de Sacy a montré qu’elle avait été faite d’après la version Ketton (Notices et extraits des Manuscrits de la Bibliothèque impériale et autres bibliothèques, IX, 1813, p. 103). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS 147 (juillet-septembre 2009), pp. 147-165 148 - Archives de sciences sociales des religions avec la naissance de l’école historico-critique 3, deux autres versions françaises voient le jour, celle de Savary en 1783 et celle de Kazimirski en 1840. C’est ce corpus des premières versions françaises que j’examinerai ici pour étudier l’évolution de la traduction du Coran en Occident, du milieu du XVIIe au milieu du XIXe siècle. Outre une appréciation des différentes versions, il sera montré comment s’y manifeste le rapport de traducteurs occidentaux non musulmans avec le texte fondateur de l’islam. Fixé sous forme de Vulgate, à une date toujours discutée – au plus tard au début du VIIIe siècle selon les hypothèses les plus fréquemment admises aujourd’hui –, le texte coranique, qui représente pour les musulmans les révélations reçues par Muhammad entre 610 et 632, renferme maintes allusions historiques et se révèle d’une lecture difficile. Pour fournir au lecteur quelques repères, le traducteur annote plus ou moins abondamment son travail et le fait précéder de textes introductifs comprenant souvent une « biographie de Mahomet ». En rapport très étroit avec les traductions proposées, ce paratexte ne peut être écarté de notre étude. La version Du Ryer (1647) En comparaison avec le volumineux recueil Bibliander, qui ajoute à la Collectio toletana nombre d’écrits polémiques plus récents, l’ouvrage de Du Ryer paraît bien modeste, les textes joints à la traduction du texte coranique s’y trouvant réduits à quelques pages seulement. André Du Ryer, Sieur de la Garde Malezair (fin du XVIe s.-1672) n’est en effet nullement un théologien ni même, à l’instar des orientalistes érudits de son temps, un hébraïsant dont l’intérêt pour les langues orientales trouve son origine dans l’étude de la Bible. Du Ryer possède une expérience directe du Levant où il a été envoyé par Savary de Brèves, peu avant 1616, pour apprendre le turc et l’arabe. Après avoir exercé en Égypte les fonc- tions de vice-consul, de 1623 à 1626, il est choisi, en 1631, pour accompagner à Istanbul, comme interprète et conseiller, le nouvel ambassadeur, Henri de Gournay, comte de Marcheville. Apprécié des autorités ottomanes, il est ensuite nommé ambassadeur extraordinaire en France par le sultan Murat IV, en 1632. À partir de la fin des années 1630, il passe de plus en plus de temps dans sa propriété de Bourgogne et c’est là vraisemblablement qu’il effectue en grande partie sa 3. L’ouvrage de Nöldeke, Geschichte des Korâns, paru en 1860, est l’un des textes fonda- teurs de l’école historico-critique dont les travaux sont à l’origine d’une compréhension du message coranique qui ne se fonde plus exclusivement sur l’exégèse musulmane. Dans la traduc- tion anglaise du Coran, publiée en 1861 par Rodwell, les sourates sont classées, non par ordre décroissant de longueur comme dans la Vulgate, mais chronologiquement suivant les quatre grandes périodes établies dans la révélation coranique par les orientalistes. Le même type de présentation se retrouve dans la première édition de la version française de Blachère (1949- 1950). Les premières traductions françaises du Coran - 149 traduction du texte fondateur de l’islam. Il est aussi l’auteur de l’une des premières grammaires turques imprimées en Europe (Rudimenta grammatices linguæ turcicæ, 1630) et un pionnier dans le domaine de la littérature persane (Gulistan, ou l’Empire des Roses, Composé par Sadi, 1634). Lorsqu’il paraît, en 1647, L’Alcoran de Mahomet translaté d’arabe en françois par André du Ryer fait figure d’œuvre pionnière. C’est en effet la première fois qu’est réalisée dans une langue vernaculaire européenne une traduction origi- nale exhaustive du texte. Basée sur la version de Ketton, les publications anté- rieures en langue vulgaire ne répondaient nullement à ces exigences, et le texte coranique continuait d’être traduit en latin sous forme d’extraits (Hamilton, Richard, 2004 : 91-92). Héritière des pratiques textuelles nouvelles promues par la Renaissance et la Réforme, la version française intégrale de Du Ryer fait ainsi date dans l’histoire de la traduction du Coran en Occident. C’est elle également qui, pour la première fois, rend accessible à un public élargi un texte sacré non biblique. Le choix de la langue vulgaire par du Ryer détermine aussi une autre des caractéristiques de son ouvrage qui rejette la traduction-réfutation. Précédem- ment, le texte coranique traduit ne constituait qu’un élément au sein d’un vaste dispositif de textes conçu comme une arme pour combattre l’islam ou comme un viatique pour des missionnaires appelés à convertir les musulmans. L’ouvrage de Du Ryer est, à l’inverse, entièrement consacré à la traduction du texte cora- nique. Outre une épître dédicatoire au Chancelier Séguier et une adresse « Au lecteur », il ne renferme qu’un bref « Sommaire de la religion des Turcs 4 » dans lequel l’auteur expose sur un ton neutre les croyances et les rites musulmans 5. Cette volonté de se dégager de la polémique religieuse est à mettre en relation avec le type de lectorat auquel Du Ryer destine son travail, des marchands dans le Levant 6 et sans nul doute, de manière plus générale, des lettrés curieux de l’Orient ainsi que des voyageurs. Cependant, si l’auteur s’éloigne de l’apologétique traditionnellement associée à la traduction uploads/Litterature/ corao-primeiras-traducoes-francesas.pdf

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