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A partir de l’œuvre lue et des textes étudiés mais aussi en vous appuyant sur votre culture personnelle, vous vous demanderez à quoi sert d’examiner la nature humaine. Quand La Bruyère estime devoir « corriger » la nature humaine, que Molière reprend à son compte la formule « castigat mores ridendo » ils entreprennent de poser sur l’homme un regard tout à la fois critique, satirique et moralisateur. Le Grand Siècle est d’ailleurs celui qui, avec le philosophe Descartes, veut définir l‘homme par son esprit d’examen, conditionnant son identité de sujet à sa faculté de juger (« cogito ergo sum »). Mais est-ce que le projet didactique formé signifie pour autant une réforme en profondeur de la nature humaine ? Est- ce la seule ambition de la démarche ? Nous, lecteurs, sommes-nous alors divertis ? Glacés et tétanisés par ces mises en garde et ces avertissements doctes ? Sommes-nous obéissants et prompts à changer sur l’injonction sur la seule autorité d’un auteur ? Nous verrons d’abord qu’examiner la nature humaine vise son amélioration. Puis qu’à défaut d’une modification effective, cela a au moins la vertu de nous faire réfléchir. Puis parfois même, simplement de nous divertir, ce qui n’a pas d’impact social ou politique mais agit pour commencer, sur notre bien-être et de là, notre capacité à vivre. La Bruyère comme Molière comme Socrate nous raconte des histoires, des anecdotes et des paraboles, en espérant agir sur nos défauts et nos vices. C’est le projet que se donnent les Caractères, la galerie de portraits de ses contemporains visant, pour la Bruyère qui en est conscient dès sa préface, l’homme dans ce qu’il a de plus permanent et constant au fil des époques ; les premiers fragments du livre XI renvoient d’ailleurs à l’homme pris dans sa généralité. Les tempéraments d’Alcippe le mondain calculateur, d’Irène la coquette hypocondriaque ou Antagoras le plaideur procédurier se retrouvent aussi bien au 17e siècle (Le plaideur se retrouve dans une pièce de Racine, l’hypocondriaque est peut-être inspirée au Malade imaginaire et Alcippe n’est pas sans rappeler les gesticulations d’un Oronte dans le Misanthrope) ; pourtant, par-delà l’âge classique, jusqu’à notre époque, nous trouvons des personnages excessifs, que leur défaut finit par isoler ou perdre : la manie acheteuse de Bouvard et Pécuchet chez Flaubert, la vantardise du pharmacien dans Madame Bovary du même auteur, la mondanité ridicule des Verdurin ou d’Odette de Crécy chez Marcel Proust au 19e siècle. Ces personnages comment autant de contre-exemples, sont censés nous prémunir de tomber dans certains pièges de l’existence ; parfois cela fonctionne : ainsi la naïveté du Père Goriot ou l’avarice maladive d’Harpagon chez Molière en auront-elles dissuadé plus d’un. L’effet-miroir que les artistes attendent en exposant des tempéraments outranciers nous font réfléchir à nos propres préjugés, ou facilités. C’est bien l’exemple de mme de Tournon que prend m. de Clèves pour mettre en garde sa femme contre les tourments de l’abandon de soi à une passion amoureuse incontrôlable. Quant au lecteur sommé par madame de la Fayette, il comprend que le sort du Vidame de Chartres, très dépendant des aléas de la cour et de ses affinités, n’est guère enviable : un jour promu, un jour disqualifié. Le projet didactique marche-t-il à tous les coups ? Parfois le message est plus brouillé, ainsi, l’examen de la nature humaine au travers du cas de la Princesse de Clèves pose problème : si l’héroïne consumée par une passion irréalisable finit par mourir (sa vie fut « brève » dit le roman) elle peut aussi nous séduire, car avant de rendre l’âme au couvant, l’héroïne aura éprouvé un amour parfait. Même ambiguïté avec le roman épistolaire de Laclos, qui déclarait bien dans la Préface des Liaisons dangereuses écrire une leçon de morale : si la fin de madame de Merteuil est censée nous remettre dans le droit chemin, le fait est qu’une nouvelle génération de malfaisants et de marionnettistes retors a été formée (Cécile et D’Anceny), les initiés étant promis à leur tour à une belle carrière d’initiateurs. Est-ce à dire que la nature humaine immuable est plus forte que nos résolutions et est vouée, malgré la connaissance que nous avons des mécanismes psychosociaux qui lient les êtres, à reproduire les mêmes comportements ? Est-ce parce que nous sommes avisés que nous sommes assagis ? Le snobisme, l’avarice, la vulgarité sont ainsi parodiés et tournés en dérision depuis Aristophane, en passant par Plaute, Térence, Molière, la Fontaine… et parviennent jusqu’à nous, avec les portraits décapants de Lison Daniel sur instagram ou les sketches de Florence Foresti et Gad Elmaleh. De nouvelles générations de comiques s’emparent régulièrement de nos travers, universels et transhistoriques, comme la couardise ou la bêtise, preuve peut-être s’il faut éduquer les hommes, que ce sont de mauvais élèves auxquels refaire la leçon n’est pas de trop … Le fait est que la nature humaine ne change pas fondamentalement : les mondains ont été successivement dénoncés par J. du Bellay, Molière, Voltaire, Balzac ou Proust et cela n’a pas empêché Jean d’Ormesson (qui divertissait les puissants et a passé sa vie à faire publicité de lui-même -et cela a marché puisque Galimard a fini par le faire entrer dans la prestigieuse collection de La Pléiade), Jacques Séguéla et GM Benhamou (deux conseillers de princes) d’exister. Dénoncer l’obscurantisme et le fanatisme depuis Voltaire n’a empêché ni les intifada ni les allégeances au fascisme italien. De la même façon, un article « Guerre » ans le dictionnaire philosophique ou Paix par Damilaville dans L’Encyclopédie n’a pas désamorcé les conflits successifs entre la France et l’Allemagne ni ceux de l’ex-Yougoslavie ou encore du Rwanda etc. Parfois même le rire moqueur touche tant et si bien ses cibles qu’il se retourne contre le dénonciateur : drame de Charlie Hebdo en 2015 où des esprits indociles ont payé de leur vie l’esprit d’examen au bout du stylo (Wolinski, Cabu, Charb et d’autres). Pour autant, la prise de conscience collective a un peu opéré et jeté le discrédit sur les méthodes mais aussi le discours d’Al-Qaïda et de tous leurs épigones islamistes : des prédicateurs à un époque admis sur les plateaux de télévision sont désormais personae non gratae, comme Tariq Ramadan parce qu’une vigilance collective a tout de même émergé. Examiner la nature humaine au sens d’en pointer les abus et les dangers est reconnu comme une utilité publique, et apparaît majoritairement comme un bienfait ; on ne songerait plus aujourd’hui à exiler un Sénèque trop critique envers l’Empereur mais plutôt à organiser les moyens de sa protection. Sans parler de révolution de la mentalité humaine, il y a tout de même, au fil des années et des œuvres artistiques, politiques, médiatiques produites pour examiner la nature humaine, une évolution des connotations : l’esprit critique que le pouvoir et une époque ressentaient comme une menace (on pense à la très normative société de la seconde moitié du 19e s. marqué par le pouvoir autoritaire et censorial de Napoléon III en France) est plutôt vu désormais comme une chance. Examiner la nature humaine et critiquer, parfois même par le rire satirique, permet au moins de divertir : un dessin de presse (comme les caricatures de Daumier), une image spirituelle (comme les croquis de Sempé) ou un sketch pourfendant les médiocrités des uns et des autres (on songe aux apparitions décapantes d’Alison Wheeler dans le programme télévisuel Le quotidien qui contrefait à merveille les cagoles, les racistes qui s’ignorent ou les bobos de la première ceinture parisienne1). Examiner la nature humaine peut simplement nous valoriser ou nous faire sourire au détriment du « moqué », comme lorsque nous nous associons au Cardinal de Retz pour médire sur le Duc de la Rochefoucauld. Néanmoins qui peut affirmer qu’il n’a pas à l’occasion de ce portrait corrosif, réfléchi ne serait-ce qu’une seconde à ses propres « irrésolutions », à son propre manque de courage ou sa propre vanité ? Ainsi, même quand nous nous rions des Argan, Orgon, Harpagon ou Arnolphe, nous les comprenons car nous avons quelque chose à voir avec eux ; chacun veut préserver ce qu’il a ou obtenir ce qu’il n’a pas. Examiner la nature humaine ne consiste-t-il pas avant tout travailler à affiner son propre autoportrait ? L’esprit d’examen, promu par les Lumières et calqué sur la méthode scientifique de mise à l’épreuve des préjugés et présupposés, n’a pas été abandonné ; il perdure, preuve de sa nécessité, puisqu’en France par exemple, l’enseignement de la philosophie n’est pas menacé, il se confirme, demandant parfois même au gré des politiques ministérielles à s’étendre (voir le BO du 9-13 mars 20112). Un rapport de l’UNESCO paru en 2011 montre que la philosophie (PPE) pour les enfants est étudiée et encouragée, tandis que la philosophie au niveau secondaire (collèges et lycées), loin d’être une spécificité française comme on l’en tendu souvent dire, est majoritaire dans les pays de l’Union Européenne3. 1 2 https://www.education.gouv.fr/bo/2011/09/mene1100064c.htm 3 https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000214090 uploads/Litterature/ corrige-essai.pdf

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