André Tournon André Thevet, Cosmographie de Levant In: Bulletin de l'Associatio
André Tournon André Thevet, Cosmographie de Levant In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°21, 1985. pp. 89-92. Citer ce document / Cite this document : Tournon André. André Thevet, Cosmographie de Levant. In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°21, 1985. pp. 89-92. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1985_num_21_1_1494 89 Renaissance et surtout ceux qui seraient tentés de s'en faire les éditeurs, de fréquenter ce modèle. Université de Rennes Michel SIMONIN André THEVET, Cosmographie de Levant, édition critique par Frank Lestringant, 1 vol. (CXXII+374 p.), Genève, Droz, coll. Travaux d'Humanisme et Renaissance n°2O3, 1985. Thevet a de la chance. Voici sa Cosmographie de Levant reproduite selon la meilleure formule : le fac-similé (de la seconde édition, complète, de J. de Tournes, 1556) en un format légèrement agrandi qui en facilite la lec ture. Qui plus est, elle bénéficie d'un appareil exégétique qui non seulement l'éclairé, mais en fait un exemple remarquable des techniques de rhapsodie propres à l'encyclopédisme de la Renaissance. Dans le travail du «Cordelier d'Angoulême» et/ou de son acolyte Belleforest, F. Lestringant trouve matière, sur ce point, à des considérations qui peut-être en dépassent parfois la portée; ce n'est que mieux. Le premier chapitre de l'Introduction situe ce voyage au Levant dans la carrière du cosmographe, et surtout en précise la chronologie, sans escamot er les zones d'ombre. Prudemment, F. Lestringant ne donne que pour pro bables ses conclusions sur le principal problème — la durée du séjour à Cons tantinople, à partir de Décembre 1549, évaluée à plus d'un an et demi ; elles ne semblent guère contestables. Une seule réserve, sur un argument subsidiaire: rien ne paraît indiquer que la promenade en Mer Noire avec «Jean Chaneau» (ou Chesneau) ait eu lieu «au printemps ou à l'été de 1551» (p. XVII) ; le texte la situe en 1550 (p. 78-79 ; cf. la note 82/31, p. 280). Mais ce n'est là qu'un détail, qui ne saurait infirmer l'ensemble de l'argumentation. L'histoire du texte est inaugurée, au ch. II, par celle de la collabora tion entre Thevet et Belleforest, suivie de leur querelle sur la paternité de l'ouvrage, revendiquée par le second dans un passage de son Histoire des Neuf Roys Charles. Etude détaillée, qui fait clairement apparaître les enjeux et les stratégies des deux rivaux. Dans la péripétie judiciaire, le succès obtenu par Thevet est fortement surévalué, p. XXXVI et XXXVII .- l'arrêt du Parle ment, retrouvé et transcrit par F. Lestringant p. LXXXVII, n'interdit pas l'im pression ni la vente du livre de Belleforest, et ne condamne pas davantage celui-ci à faire amende honorable ni à verser «aux pauvres» des dommages et intérêts pour avoir diffusé son livre avant règlement du litige ; ces sanctions ne sont prévues que par la requête de Thevet, résumée dans les considérants au premier alinéa du texte ; la décision de la Cour, au second alinéa, se borne 90 à suspendre l'impression et la divulgation de l'unique feuillet incriminé, com me le constate d'ailleurs F. Lestringant, p. XXXVIII. Faut-il ajouter que l'in térêt de la question n'est pas là ? F. Lestringant, en conclusion, le définit exactement : ce débat «engendre deux conceptions antagonistes et complé mentaires du métier de géographe» (p. XLII) : compilation livresque des témoignages autorisés, selon Belleforest ; enquête sur le terrain selon Thevet, frauduleusement complétée par des emprunts multiples sous couvert de pseudo-voyages. Une fois ces deux pratiques séparées par la querelle et livrées à leurs abus respectifs, «l'une et l'autre sont menacées d'emblée de perdre tout crédit» (p. XLIII). L'affaire n'en était pas à ce point, à l'époque de la Cosmographie de Levant ; aussi, après avoir esquissé un partage plausible entre les deux col laborateurs (la compilation, prépondérante, attribuée à Belleforest, le recen sement des curiosa et les anecdotes, à Thevet), F. Lestringant préfère-t-il les regrouper sous le seul nom de «Thevet» (p. XLVI) pour en venir (ch. III) aux questions essentielles : le montage textuel, et les rapports entre le témoignage et la masse stratifiée des emprunts avec lesquels il se combine. L'analyse des deux modèles avoués par Thevet (le Grant Voyage de Hierusalem de Breyden- bach et le Polyhistor de Solin) donne le principe générateur du texte : crois ement d'une relation de voyage émaillee de leçons de dogmatique, et d'un ré pertoire méthodiquement disparate des «aspects innombrables et complé mentaires de la Création» (p. XLVIII). Pour caution théorique, le regard indi viduel (1' «autopsie») qui «sert de garant à l'hétérogénéité du savoir» et «ramène à l'unité (...) la polyphonie des textes premiers qui trament l'épais seur de l'œuvre» (p. LU). F. Lestringant montre comment ce leurre épisté- mologique, qu'il nomme fort bien «autopsie compilatrice», autorise l'effac ement des «soubassements textuels» (ibid.), et en particulier des documents de seconde main, commentaires, leçons et dictionnaires, qui servent de relais commodes entre l'écrivain et les autorités invoquées à l'appui de son témoi gnage. Peut-être lui accorde t-il une prééminence excessive sur ces dernières : dans les rares cas où Thevet se hasarde à leur opposer son expérience, il fait état de celle-ci sous forme d'une simple réserve, après avoir docilement répété l'assertion reçue (ex. p. 82 , sur la santé des poissons, et 193, sur les vins de Syrie) ; il n'est péremptoire que pour confirmer (ex. p. 150-151, sur les Pygmées) ; la hardiesse devait venir plus tard : dans la Cosmographie du Levant, le regard est émerveillement plutôt que contrôle fictif. Comparant à juste titre ce récit de voyage, dispositif spatial d'un inventaire du savoir, aux itinéraires mentaux desartes memoriae, F. Lestringant précise ensuite l'utilisa tion des sources. Il distingue les «sources-matériaux» qui remplissent les «cases d'une sorte de «jeu de l'oie» géographique déployé sur tout le pourtour de la Méditerranée» (p. LVIII), et les «sources-cadres» qui structurent le texte 91 en ses «lieux stratégiques», transitions, introductions, conclusions, «car refours topiques» (p. LX). Le récit apparaît donc tributaire des textes anté rieurs à la fois quant à son contenu et quant à ses articulations ; ce qui le rapproche du «mythe» (p. XIX, par anticipation). La «religion de Thevet» (ch. IV) se calque ainsi, curieusement, sur la topographie de «retour aux origines» du réformé Vadianus — une de ses principales «sources-cadres» — expurgée de ses considérations hétérodoxes (par exemple sur le culte des images, p. LXV). En garde-t-elle toute la portée spirituelle ? F. Lestringant semble bien généreux, à cet égard, envers le cordelier ; mais sa conclusion rétablit la perspective juste, en opposant à la sévère topographie scripturaire de Vadianus la «galerie bigarrée des singularités qui agrémentent la Cosmograp hie de Levant» (p. LXVI) et substituent la curiosité du polyhistor à l'effort d'évocation in situ de l'histoire sacrée. Le ch. V analyse donc les «figures et pourtraits» qui soutiennent la «pédagogie visuelle» (p.LXIX) dont se réclame Thevet : leur rapport au texte apparente ces gravures aux emblèmes (p. LXX); leur disparate se conforme au «propos polyhistorique» pour restituer «par l'incongruité même de leur rencontre, l'image hétéroclite et inépuisable du cosmos selon Thevet» (p. LXXII). Une étude méthodique des trois éditions de la Cosmographie de Levant achève cette Introduction, à laquelle sont annexées, outre le texte de l'arrêt de 1568, une «topographie» de deux sources-cadres (B. de la Borderie et Vadianus) et une bibliographie abondante et précise. Enfin, il faut insister sur le rôle primordial des 90 pages d'annotations qui suivent le texte (p. 249-338, après le relevé des variantes, p. 235-245). Elles identifient, ligne par ligne, les innombrables emprunts de Thevet, précisant leur fonction et commentant les écarts ; la plupart des chapitres sont en outre présentés par des notes de synthèse, qui en indiquent les principales sources et stratifications. Le lecteur peut ainsi vérifier par le menu les analyses générales proposées dans les ch.III et IV de l'Introduction ; l'effet est démonstratif. Quelques vétilles seulement sur le glossaire, p. 341-346. La traduction de «diviner» (p. 97) par «deviner, jouer les devins», prête à équivoque : il s'agit plutôt de «se prévaloir d'une inspiration surnaturelle» pour se sous traire au magistère de l'Eglise (caricature du réformé). Le mot «estofes» (p. 61) ne signifie pas «pierreries» : il désigne dans le contexte ce type d'objet, mais garde son sens général de «matériaux». Les «gomenes» (p. 47), en dépit de l'autorité de la Stolonomie, sont dans le contexte, comme les «gumenes» de Rabelais, les gros câbles du gréement, maintenant le mât. «Surengendrer» (p. 115) ne peut signifier simplement «concevoir de nouveau» (le contexte, alléguant Pline, donne le cas pour surprenant) ; il s'agit sans doute de super- fœtatio... Remarque superfétatoire : il fallait bien trouver quelques défauts à cet ouvrage en tout point remarquable, où l'érudition soutient constamment 92 les subtilités de l'analyse textuelle et épistémologique, clairement exposées en un style aisé que relève souvent, pour le plaisir du lecteur, un discret humour. Université de Provence André TOURNON Suzanne TROCME SWEANY, Estienne Pasquier (1529-1615) et nationalisme littéraire, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1985, 1 vol. in 8°, 150 pages. Ce modeste volume vise à rendre à Estienne Pasquier uploads/Litterature/ cr-cosmographie-de-levant-critique 2 .pdf
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- Publié le Apv 07, 2021
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