J. Joosten – La critique textuelle 1 La critique textuelle I La recherche du te

J. Joosten – La critique textuelle 1 La critique textuelle I La recherche du texte original A. Les témoins du texte de l’Ancien Testament 1. Le Texte Massorétique a) Les consonnes b) Les points voyelles c) Autres éléments Les accents massorétiques Les ketiv – qeré La massore 2. Le Pentateuque Samaritain 3. Les textes retrouvés près de la Mer Morte 4. La Septante 5. La Peshitta 6. Les Targums 7. La Vulgate 8. Autres témoins a) Traductions anciennes de la Septante b) Révisions de la Septante c) Citations dans la littérature juive B. La méthode de critique textuelle 1. Les causes de l’évolution textuelle a) Les erreurs de copiage b) L’influence de passages parallèles c) Les changements intentionnels 2. Lectio brevior et lectio difficilior 3. Cas décidables et cas indécidables 4. Critères externes et internes 5. Les conjectures C. La critique textuelle et l’histoire de la rédaction II Le texte, miroir de l’histoire de l’interprétation A. L’intérêt pour le phénomène du Targum B. Une révolution dans l’approche de la Septante C. Tendances exégétiques dans les rouleaux de Qumran D. Les corrections des scribes et la révision théologique du Texte Massorétique E. Conclusion J. Joosten – La critique textuelle 2 La critique textuelle La critique textuelle en tant que discipline scientifique est née de la reconnaissance de ce que les textes anciens ne nous sont pas parvenus de façon inaltérée. Nous ne disposons pas, pour les textes littéraires anciens, des « autographes » originaux, mais de copies écrites à la main. La transmission manuscrite crée des changements, accidentels ou voulus : une copie manuscrite n’est jamais entièrement identique à son modèle. La discipline s’applique aussi bien aux textes classiques qu’aux textes bibliques, aussi bien à l’Ancien qu’au Nouveau Testament. Cependant, chaque texte pose des problèmes spécifiques. Le point de départ sera donc le constat que « le » texte de l’Ancien Testament n’existe pas. On est plutôt confronté à une pluralité textuelle. Chaque manuscrit ancien diffère sur certains points de tous les autres ; les manuscrits se regroupent en « familles » textuelles qui, elles, divergent souvent de façon importante. Les traductions anciennes apportent également leur lot de variantes. Cette pluralité a sa pertinence pour l’exégèse : selon que l’on se fonde sur l’une ou l’autre tradition textuelle, l’exégèse peut s’infléchir différemment. Traditionnellement, la critique textuelle s’est donné pour objectif « d’identifier les erreurs et de les corriger ». Dans cette perspective, la pluralité est considérée comme secondaire. Tous les témoins textuels — manuscrits, traductions, citations — descendent d’un texte unique. Par la confrontation des différences entre les témoins, on peut espérer remonter le courant et établir un texte plus ancien, plus proche de l’original. Les éléments de ce texte ne se trouveront pas toujours dans le même manuscrit, ni dans la même famille. Le texte reconstruit par les critiques sera donc un texte « éclectique », empruntant à chaque tradition ce qu’elle a de meilleur, et rejetant le reste. La critique textuelle traditionnelle montre peu de respect pour ce qui n’est pas jugé original. Depuis une trentaine d’années, les chercheurs réalisent toutefois que ce qui relève de l’altération secondaire n’est pas forcément de moindre valeur. Tous les changements textuels ne sont pas des « erreurs » ; et même les erreurs, à l’instar de lapsus freudiens, peuvent avoir un sens. Ainsi, les critiques textuels apprennent le respect pour la cohérence de chaque tradition textuelle, pour chaque manuscrit ancien. Les variantes textuelles montrent souvent comment un passage biblique a été interprété dans tel milieu, par telle communauté. Les témoins textuels — les traductions anciennes avant tout, mais les traditions hébraïques également — se révèlent être autant de jalons de l’histoire de l’interprétation. On a parfois opposé l’ancienne critique textuelle à la nouvelle : la polémique fait rage. Mais à tout bien considérer, les deux approches se complètent. C’est à travers l’histoire du J. Joosten – La critique textuelle 3 texte qu’on peut espérer remonter à un stade plus ancien de la tradition ; en même temps, l’histoire du texte témoigne du foisonnement des interprétations. Dans ce qui suit, nous présenterons d’abord la critique textuelle dans son acception traditionnelle. Ensuite, nous consacrerons une section aux nouveaux questionnements. En pratique, les deux approches se combinent souvent et s’interpénètrent presque toujours. Sur le plan théorique, elles gagnent toutefois à être distinguées. Bibliographie D. Barthélemy, Critique textuelle de l’Ancien Testament 1 (OBO 50/1), Fribourg/Göttingen, 1982, p. *1-*114. D. Barthélemy, Critique textuelle de l’Ancien Testament 3 (OBO 50/3), Fribourg/Göttingen, 1992, p. i-ccxxxvii. E. Tov, Textual Criticism of the Hebrew Bible, Minneapolis/Assen, 1992. I La recherche du texte original Les fragments les plus anciens du texte vétérotestamentaires remontent au début du IIe siècle avant J.-C. Pour les manuscrits complets, il faut attendre le IVe siècle après J.-C. pour la traduction grecque, le XIe siècle pour les manuscrits hébreux. Les écrits eux-mêmes sont notoirement difficiles à dater. Il est cependant raisonnable de supposer que la plupart des livres de l’Ancien Testament ont été composés bien avant le IIe siècle av. J.-C. Il existe donc une grande intervalle entre la rédaction des livres et leur attestation la plus ancienne. Durant un, deux, trois ou jusqu’à dix siècles (selon les hypothèses), les textes ont été transmis par écrit sans laisser de traces. Il faut penser que, durant cette période, des changements, accidentels ou voulus, se sont introduits dans la tradition manuscrite. Même le caractère sacré des textes n’a pas pu les préserver des erreurs humaines de transcription. Au contraire, le caractère sacré a pu pousser certains copistes à changer le texte, afin de le conformer aux idées religieuses de leur temps. La probabilité théorique de ce que le texte biblique aurait été altéré se confirme par les divergences entre les témoins. Les textes hébreux les plus anciens, retrouvés depuis 1947 à Qumran et environs, diffèrent entre eux et diffèrent des textes hébreux du Moyen Age. Tous ces manuscrits viennent d’un milieu où primait le respect pour le texte de l’écriture. Et pourtant il y a des différences. On peut décider d’ignorer ce problème, mais on ne peut pas le résoudre d’une façon simple. Il n’y a aucune raison de privilégier une tradition textuelle aux J. Joosten – La critique textuelle 4 dépens des autres, ni, a fortiori, de préférer un manuscrit unique. Les erreurs de transcription, comme les ajustements doctrinaires, ont pu affecter le Texte Massorétique autant que les textes de Qumran, le Pentateuque Samaritain, ou le modèle hébreu de la Septante. Il convient donc de dresser une comparaison entre les témoins textuels, d’inventorier les variantes et de sélectionner dans chaque cas la leçon la plus ancienne, pour autant qu’on puisse l’identifier. Parfois même, il sera nécessaire de proposer des amendements textuels purement conjecturaux. Le « point de fuite » de ce travail est le texte original, concept idéal qui ne correspond à aucune réalité concrète. Pour de nombreux livres bibliques, les choses se compliquent encore du fait qu’il est difficile de dire où s’arrête l’histoire de la rédaction, et où commence l’histoire du texte. Dans ce qui suit, les principaux témoins du texte seront d’abord présentés brièvement. Ensuite, les grandes lignes de la méthode seront dessinées. Finalement, une section sera consacrée aux cas où la critique textuelle empiète sur le domaine de la critique rédactionnelle. A. Les témoins du texte de l’Ancien Testament 1. Le Texte Massorétique La forme textuelle la mieux connue de la Bible hébraïque est celle qui est devenue traditionnelle dans le Judaïsme depuis le Ier siècle de l’ère chrétienne environ. On l’appelle couramment Texte Massorétique. Au sens restreint, cette appellation s’applique aux manuscrits vocalisés et pourvus d’accents et notes marginales ; ces manuscrits forment une minorité. Au sens large, le terme désigne le type de texte transmis dans le judaïsme jusqu’à nos jours, qu’il soit vocalisé ou non : la plupart des manuscrits « massorétiques » n’offrent que le texte consonantique. La « Massore », du mot hébreu t®rOsDm (interprété comme « tradition »), englobe tout ce qui a trait à la transmission du texte reçu par les juifs : la transcription du texte consonantique, la notation des voyelles et des accents, l’apparat critique portant sur l’orthographe et la fréquence des formes. Le Texte Massorétique (TM), au sens large, est représenté par plusieurs milliers de manuscrits, dont les plus anciens — ceux que l’on a retrouvés dans la Geniza du Caire1 — sont fragmentaires. A travers la multiplicité des manuscrits, on décèle une très grande homogénéité de la tradition : les variantes touchant le texte consonantique sont infimes, celles qui concernent la vocalisation ou l’accentuation, peu nombreuses. Cette unité est due au fait 1 Pour la Geniza, voir l’excursus ci-dessous. J. Joosten – La critique textuelle 5 que le texte biblique adopté par le Judaïsme après les catastrophes de 70 et de 135 après J.-C. a été entouré d’un soin absolument remarquable. En effet, les découvertes faites à Qumran ont montré que le TM transmet de façon fidèle un type de texte remontant au moins à la fin de l’époque du second Temple (voir ci-dessous). uploads/Litterature/ critique-textuelle-joosten.pdf

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