OUVERTURE DE LA DIVINE COMEDIE. La Divine Comédie depuis sa création, a fourni

OUVERTURE DE LA DIVINE COMEDIE. La Divine Comédie depuis sa création, a fourni l’occasion d’innombrables commentaires. De Boccace à Sollers, en passant entre autres par Voltaire, Balzac, Joyce ou Claudel, le « poème sacré » est source infinie de réflexion et d’inspiration. La Comédie paraît d’ailleurs se prêter à tous les modèles interprétatifs, à toutes les conceptions du monde. Insaisissable au point que près de sept siècles d’explications n’ont pu en épuiser la modernité, elle se présente toujours comme une énigme, un message dont le sens reste à déchiffrer. Comme si en elle toutes les interprétations, toutes les exégèses étaient déjà présentes au jour où Dante l’a écrite. Comme si la dimension prophétique que Dante s’attribuait lui-même était un obstacle absolu à toute tentative de saisir le texte de l’extérieur. L’extrême complexité de la Comédie favorise sans doute la multiplicité des lectures qui en sont faites. Lectures souvent érudites, parfois contradictoires, qui toutes visent à en fournir une interprétation globale. T elle ne sera pas l’ambition de cet article puisqu’il ne s’agit ici que d’étudier les trente premiers vers du poème, qui constituent une sorte de première partie, ou d’introduction, avant toute rencontre dans un texte dont les rencontres successives constituent la matière même de la progression. Cependant, et de manière tout à fait hérétique par rapport à l’une des règles immuables du commentaire littéraire, je serai parfois contraint de faire référence à d’autres extraits du poème afin d’éclairer le sens de certains éléments. C’est que l’écriture de Dante se prête assez mal à toute tentative de découpage; la Comédie se présente comme un tout, et les images qui s’y déploient, s’enchaînent, se nouent les unes aux autres, du début à la fin du récit. Dante donnait lui-même quatre niveaux de signification à tout ce qu’il écrivait: littéral, moral, allégorique, et anagogique. Aujourd’hui Jacqueline Risset (dernière traductrice en date de la Divine Comédie ) fait référence en matière d’études du poète italien1. Son approche révèle à l’intérieur du poème un certain nombre de principes difficilement repérables de prime abord. Cependant, elle n’évite pas toujours le mélange de ces différents niveaux dans la construction interprétative. A l’opposé de cette démarche, certains commentateurs ont décidé de ne retenir qu’un seul registre à l’exclusion de tous les autres. C’est le cas par exemple de Claudel pour le registre religieux, ou de Sollers s’intéressant à la langue de Dante, à la lettre même du texte. Mais Sollers traque autre chose : « la naissance continue du scripteur à l’intérieur de cette langue adressée à quelqu’un de constamment naissant, en même temps que celle du sens qui disposait d’eux partout, pour toujours2 ». S’en tenir au registre littéral, c’est également l’idéal de cet article. Idéal car la difficulté 1 L’ouvrage critique de Jacqueline Risset où seront puisées la plupart des références de cet article est le suivant : Dante Ecrivain, Paris, Ed. du Seuil, coll. Fiction & cie, 1982. 2 Philippe Sollers, « Dante et la traversée de l’écriture », in Logiques, Paris, Editions du Seuil, 1968, p.47. mentionnée plus haut, et qui concerne le découpage du texte, se retrouve ici. Les quatre strates de signification imposées par Dante sont en réalité bien peu indépendantes, et communiquent sans cesse entre elles3. Inferno, I Nel mezzo del cammin di nostra vita mi ritrovai per una selva oscura, ché la diritta via era smarrita. Ahi quanto dir qual era è cosa dura esta selva selvaggia e aspra e forte che nel pensier rinova la paura ! T ant’ è amara che poco è piu morte; ma per trattar del ben ch’i’ vi trovai, diro de l’altre cose ch’i’ v’ho scorte Io non so ben ridir com’i’ v’intrai, tant’ era pien di sonno a quel punto che la verace via abbandonai. Ma poi ch’i’ fui al piè d’un colle giunto, là dove terminava quella valle che m’avea di paura il cor compunto, guardai in alto e vidi le sue spalle vestile già de’ raggi del pianeta che mena dritto altrui per ogne calle. Allor fu la paura un poco queta, che nel lago del cor m’era durata la notte ch’i’ passai con tanta pieta. E come quei che con lena affannata, uscito fuor del pelago a la riva, si volge a l’acqua perigliosa e guata, cosi l’animo mio, ch’ancor fuggiva, si volse a retro a rimirar lo passo che non lascio già mai persona viva. Poi ch’èi posato un poco il corpo lasso, ripresi via per la piaggia diserta, si che ’l piè fermo sempre era ’l più basso. Enfer, I4 1. Au milieu du chemin de notre vie 2. je me retrouvai par une forêt obscure 3. car la voie droite était perdue. 4. Ah dire ce qu’elle était est chose dure 5. cette forêt féroce et âpre et forte 6. qui ranime la peur dans la pensée ! 7. Elle est si amère que mort l’est à peine plus; 8. Mais pour traiter du bien que j’y trouvai, 9. je dirai des autres choses que j’y ai vues. 10. Je ne sais pas bien redire comment j’y entrai, 11. tant j’étais plein de sommeil en ce point 12. où j’abandonnai la voie vraie. 13. Mais quand je fus venu au pied d’une colline, 14. où finissait cette vallée 15. qui m’avait pénétré le coeur de peur, 16. Je regardai en haut et vis ses épaules 17. vêtues déjà par les rayons de la planète 18. qui mène chacun droit par tous sentiers. 19. Alors la peur se tint un peu tranquille, 20. qui dans le lac du coeur m’avait duré 21. la nuit que je passai si plein de peine. 22. Et comme celui qui hors d’haleine, 23. sorti de la mer au rivage, 24. se retourne vers l’eau périlleuse et regarde, 25. ainsi mon âme, qui fuyait encore, 26. se retourna pour regarder le pas 27. qui ne laissa jamais personne en vie. 28. Quand j’eus un peu reposé le corps las 29. je repris mon chemin sur la plage déserte 30. et le pied ferme était toujours plus bas que l’autre. L’extrait se clôt avec le pied ferme toujours plus bas que l’autre. Sur la base de certains textes (Albert le Grand, saint Bonaventure) il s’agit du pied gauche qui reste immobile, et désigne les appétits de l’âme. Immédiatement après surgit la première créature de la Comédie : la lonza, une panthère. Le commentaire de Jacqueline Risset concernant ce passage insiste sur la présence d’une double métaphore: la forêt obscure du pêché, et la colline du bonheur terrestre. A la vue de cette colline, la 3 cf. Jacqueline Risset, op. cit. p.109: « ce qui n’est n’est pas indiqué par Dante est que la Comédie n’opère pas seulement la distinction des plans - des quatre plans - mais aussi leur entrecroisement, leur tressage, leur enchevêtrement, de telle sorte que ce caractère essentiel du texte, d’être, selon son propre système « polysème », est en réalité infiniment plus fort, et plus mystérieusement stratifié qu’il ne le signale. » 4 La traduction est de Jacqueline Risset (in Dante, La Divine Comédie, Paris, Ed. Garnier Flammarion, 1992). Le texte italien est celui établi par Giorgo Petrocchi (in Giorgo Petrocchi, Dante, la Commedia, Milano, Mondadori, 1966-67). peur s’apaise soudain dans le lac du coeur. [Puis] « Un élément purement métaphorique - la mer - envahit le contexte, et s’installe en tant qu’objet principal de la description. [Elle] devient, à cause de la précision gestuelle de l’analogie - le double regard en arrière - et à la faveur de la métaphore précédente le lac du coeur, élément intégrant du pré-Enfer5.» La mer se métamorphose ainsi en lieu réel traversé par Dante (cf. le vers 29 : je repris mon chemin sur la plage déserte ) sous les yeux du lecteur. Jacqueline Risset conclut alors de la manière suivante : « Alors que tous les autres récits [de voyage dans l’autre monde] décrivent des parcours « hors corps », la Comédie peut être lue comme l’épopée du corps de Dante. [...] Comme si tous les modes rhétoriques, toutes les références culturelles, tous les traits de « langage second » devaient passer par une vérification ultérieure, immédiate et foudroyante, par une traversée comme hallucinée de l’expérience corporelle6.» Par ailleurs la réalité physique du poète à l’intérieur même du texte est sans cesse martelée (cf. par exemple les vers 2, 10, 13, 16, 28, et 29). Seulement, tout ceci ne nous apprend rien concernant la nature même de ce corps omniprésent. Comment la mise en scène dont il est l’objet nous invite-t-il à l’appréhender ? Ou encore, quel traitement Dante lui fait-il subir dans la Comédie ? Pour répondre à ces questions, il faut un pas supplémentaire. Et à cette fin, un certain nombre d’éléments textuels nous serviront d’indicateurs que nous devrons considérer séparément dans un premier temps, puis dans leur nouage même entre eux. Mais, cet article n’ayant aucune prétention didactique, tout ne sera pas élucidé. T oute conclusion en particulier ne saurait avoir d’autre pertinence que subjective (la pluralité des uploads/Litterature/ dante 2 .pdf

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