Pascal Picq Darwin et l’évolution expliqués à nos petits-enfants Éditions du Se

Pascal Picq Darwin et l’évolution expliqués à nos petits-enfants Éditions du Seuil, janvier 2009 Mes enfants sont trop grands maintenant et ils ont été tellement nourris par mes histoires de paléoanthropologue, du chercheur qui s’intéresse aux origines de l’Homme, que ce livre les concerne moins. Ils ont grandi baignés par le plus grand des récits : l’évolution. Pour autant, ce livre s’inspire de leurs nombreuses remarques, parfois de leurs colères devant les incohérences de ce que leurs enseignants affirmaient sur l’évolution et tout particulièrement celle de l’Homme, depuis les petites chaises de l’école primaire hier, jusqu’aux bancs de l’université aujourd’hui. Il y a trop longtemps déjà, ma fille, l’aînée de mes trois enfants, me rapporte cette petite anecdote avec son institutrice qui termine la classe en disant aux enfants « demain nous verrons comment l’Homme descend du singe ». Ma fille lui répond : « Madame, l’Homme ne descend pas du singe ! » L’institutrice : « Tu ne crois pas à l’évolution ; tu penses que les hommes et les femmes descendent d’Adam et Ève… » Ma fille : « Pas du tout. L’Homme fait partie des singes et, parmi tous les singes, il y en a qui sont plus proches de nous, comme les chimpanzés, avec lesquels nous partageons un ancêtre commun. » Stupéfaction de l’enseignante et, finalement, c’est moi qui ai fait le cours. Un peu plus d’une décennie plus tard, maintenant étudiante en médecine, ma fille me relate les propos aberrants de mes collègues universitaires sur l’évolution, autrement dit sur l’Homme et la vie. Mes deux fils, plus jeunes, ne manquent pas de me rapporter toutes sortes de clichés erronés et de contresens sur l’évolution, mais, s’étant orientés vers des filières moins biologiques, ils sont moins confrontés à de telles situations, ce qui reflète aussi un changement marquant au cours des dernières années : les enseignants hésitent de plus en plus à aborder cette question. Deux raisons à cela : premièrement ils n’ont pas été bien formés et on ne saurait le leur reprocher ; deuxièmement, le petit dialogue évoqué ci-dessus entre ma fille et son institutrice a pris une tournure dramatique et parfois violente avec le retour des fondamentalismes religieux. Faits inouïs, il arrive que des parents interviennent, mais cette fois pour contester le cours de sciences, ce qui est une atteinte intolérable à la laïcité, ou qu’à l’université des étudiants, comme récemment encore à Lyon, protestent jusqu’à interrompre un cours de biologie. Pourquoi la plus magnifique des histoires suscite-t-elle autant d’incompréhensions et même de contestations ? Il y a encore quelques années, lorsque j’intervenais dans des classes, du primaire à la terminale, je voyais s’illuminer le regard des élèves qui commençaient à comprendre un récit scientifique à la fois simple et compliqué. Quand Jean-Marc Lévy-Leblond m’a proposé d’écrire un livre pour cette belle collection, me sont revenus tous ces moments de joie des jeunes élèves lorsqu’ils découvrent et commencent à comprendre ce qu’est l’évolution. Je suis émerveillé par la rationalité de ces jeunes lorsqu’ils refont spontanément le cheminement de la pensée des immenses savants qui ont patiemment contribué à bâtir la théorie de l’évolution. Car c’est simple : il faut observer, comparer, classer les espèces animales et ensuite chercher à comprendre. C’est un formidable exercice de liberté intellectuelle, de découverte et de discussion. Eurêka ! Qui a dit que la science désenchante le monde ? Assurément un ignorant, car toutes les peurs se nourrissent de l’ignorance et des ignorances entretenues. Pourquoi dédier ce livre à nos petits-enfants et pas seulement à mes (futurs) petits-enfants ? La réponse tient à l’évolution car, comme nous le verrons, l’évolution, ce n’est pas une longue série de catastrophes, ce n’est pas la survie du plus apte, c’est encore moins la loi du plus fort : il s’agit tout simplement de la « descendance avec modification ». Comment ? C’est l’objet de ce livre. Comprendre l’évolution, chers petits-enfants, c’est faire que vous ayez aussi des petits-enfants, puis eux aussi, jusqu’au jour où, peut-être au fil de la descendance avec modification, émergera une autre espèce d’Homme, ou plusieurs ou… plus aucune, car nul ne sait ce que sera notre évolution. Foulangues, octobre 2008. PROLOGUE — On m’a dit que tu es un paléoanthropologue. C’est quoi ton métier ? — Je suis chercheur et je m’intéresse aux origines et à l’évolution de l’Homme ou, pour être plus précis, de l’histoire naturelle de l’Homme. — Donc tu étudies les hommes préhistoriques. Alors la paléoanthropologie, c’est comme la préhistoire. — Pas tout à fait. Il est vrai qu’on a la mauvaise habitude d’appeler des animaux disparus comme les dinosaures, les tigres à dents de sabre ou les mammouths des « animaux préhistoriques », ce qui veut souvent dire « avant les hommes », mais n’est pas très précis puisque les mammouths vivaient à côté de nos ancêtres, les hommes de Cro-Magnon, sans oublier les tigres à dents de sabre, contemporains d’hommes plus anciens comme les Homo erectus. La préhistoire, c’est toute l’histoire des hommes avant l’invention de l’écriture, qui ouvre justement l’Histoire. La préhistoire étudie ce qu’on retrouve des activités des hommes préhistoriques : les outils, les traces d’habitat, mais aussi les tombes ou l’art des cavernes. La paléoanthropologie s’occupe plus de l’évolution du corps des hommes fossiles. — C’est quoi un fossile ? — Cela veut dire « ce qui vient du sol ». Les préhistoriens et les paléoanthropologues fouillent le sol pour découvrir des vestiges parfois très anciens des activités humaines, comme des outils de pierre taillée, ou des os qu’on appelle des fossiles. Mon travail de paléoanthropologue consiste à étudier le crâne, les mâchoires et les dents de nos lointains ancêtres afin de reconstituer qui ils étaient et comment ils vivaient. — Et il y a beaucoup de ces ancêtres de l’Homme ? — Oh oui ! Beaucoup plus qu’on ne l’imaginait il y a encore une dizaine d’années. D’ailleurs je suis sûr que tu peux m’en citer plusieurs. — Il y a Cro-Magnon, l’Homme de Neandertal, Lucy, Toumaï, Homo erectus… Il y en a d’autres ? — Beaucoup plus. En fait, nous savons depuis peu de temps qu’il a toujours existé à la fois au cours de notre longue histoire évolutive plusieurs types d’hommes fossiles, ou d’australopithèques comme Lucy. Cela fait à peine trente mille ans qu’il ne reste qu’un seul type d’homme sur la Terre, autrement dit nous, les Homo sapiens. — Tu as bien dit trente mille ans ? Mais c’est énorme ! — Sans aucun doute par rapport à ton âge, au mien ou à celui des premières écritures. Mais ce n’est rien du tout à l’échelle de l’histoire de la vie qui se compte en centaines de millions d’années. Trente mille ans, c’était hier, sachant que nous, les Homo sapiens, sommes apparus il y a plus de deux cent mille ans du côté de l’Afrique et du Proche-Orient. Quand on n’a pas l’habitude, cela semble vertigineux. Mais pour moi, le plus fascinant est de penser qu’il n’y a pas si longtemps, disons cinquante mille ans, plusieurs types d’hommes coexistaient et se rencontraient. — Quels hommes ? — Nous, les hommes de Cro-Magnon, avec les hommes de Neandertal au Proche-Orient ou avec les hommes de Solo, à Java. Depuis, tous ces autres hommes ont disparu ainsi que bien d’autres espèces, comme les mammouths, les ours des cavernes, les tigres à dents de sabre, les cerfs géants, les aurochs, etc. — L’Homme, tu veux dire notre espèce, est responsable de leur disparition ? — Il a joué un rôle, c’est sûr, mais dont l’influence reste difficile à préciser. Quoi qu’il en soit, nos ancêtres Cro-Magnon agissaient pour leur survie et n’avaient pas conscience des conséquences possibles de leurs actions sur l’extinction des derniers grands mammifères, déjà bien fragilisés par le réchauffement climatique naturel qui a commencé il y a douze mille ans. — Mais c’est ça, l’évolution ! Non ? C’est bien la loi du plus fort ? — C’est ce qu’on entend trop souvent. L’évolution, c’est à la fois une théorie scientifique qui explique ce qu’est la vie et aussi un grand récit qui reconstitue son histoire. L’Homme actuel, et même tous les hommes fossiles, apparaissent très tard dans l’histoire de la vie. Toute la diversité des êtres vivants qui nous entourent découle de cette grande histoire naturelle qu’est l’évolution. Si on ne connaît pas l’évolution, on ne peut pas comprendre ce que sont la « sixième extinction » et ses conséquences possibles sur l’avenir de l’humanité : donc ton avenir et celui de notre jolie planète. — Alors, tu m’expliques ? C’EST QUOI L’ÉVOLUTION ? I. Des espèces fixes à l’idée d’évolution — C’est quoi l’évolution ? — Cela veut dire que les espèces changent au cours du temps. — D’accord ! Mais c’est quoi une espèce ? — Tu connais l’expression : « Les chiens ne font pas de chats ! » Tu n’as aucune difficulté pour distinguer les chiens des chats, même s’il existe une diversité spectaculaire de chiens et même de chats. uploads/Litterature/ darwin-et-l-x27-e-volution-explique-s-a-nos-petits-enfants.pdf

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