De l'auto-régulation et de la transgression par Reiner Schürmann * Il est une o
De l'auto-régulation et de la transgression par Reiner Schürmann * Il est une opinion reçue dans les sciences sociales affirmant que les théories se concentrant sur les "systèmes" (fonctionnalisme, structuralisme) s'opposent de façon irréconciliable aux théories concernant "l'homme" (humanisme, phénoménologie, herméneutique). Cette opinio communis a été remarquablement bien énoncée par Claude Lévi-Strauss. L'homme, écrit-il, "a été l'insupportable enfant gâté qui a occupé trop longtemps la scène philosophique et empêché tout travail sérieux en réclamant une attention exclusive"1. La disjonction entre le "système" et "l'homme" en vient ainsi à être surdéterminée une première fois comme celle entre "le travail sérieux" et '"l'enfant gâté", entre le dur et doux. Elle est surdéterminée une seconde fois lorsque les systèmes sont décrits comme étant auto-régulés, ainsi que le sont un écosystème ou un moteur thermique équipé d'un thermostat, et par conséquent, comme essentiellement conservateurs, alors que l'humanisme exhorte à l'innovation à travers un apport de sens dans l'histoire, répondant à la volonté des participants dans les formations sociales, et donc, est progressif. L'on peut ajouter à cela un dramatis personae conceptuel. Du côté du "système" : les dynamiques internes, la rationalisation des conditions existantes, l'explication, et le langage ; et du côté de l'homme : l'intervention, la rationalité critique, la compréhension, et le discours. L'intrigue peut être résumée par cette question : à partir de quels présupposés une théorie sociale pourrait-elle être capable d'expliquer à la fois l'auto-régulation et la transgression ? Je refuserai ici la réponse la plus tentante, à savoir qu'une telle théorie devrait être dialectique. Je souhaite, de préférence, montrer qu'une certaine invitation à une certaine transgression va de paire avec l'analyse systémique s'appliquant à l'aire de vie intellectuelle contemporaine où l'on s'y attend le moins, c'est-à-dire, dans la déconstruction heideggérienne (Abbau - ce mot est devenu un slogan une fois traduit en français, cinquante ans après qu'il a été forgé) de l'histoire de l'Occident. La raison pour laquelle ce dilemme est probablement mieux formulé dans une confrontation à l'un des plus grands philosophes, est intrinsèquement liée au thème. Penser avec le soutien de, ou lutter contre des auteurs de la tradition aide à nous protéger des naïvetés dans lesquelles tombent ceux qui affirment que l'histoire de la philosophie est un fardeau dont il faut se débarrasser, que ce qui 1 Claude Lévi-Strauss, L'homme nu (Paris; Plon, 1971), pp. 614f. compte est "d'examiner les problèmes" de nouveau et de commencer chaque jour ab ovo, pour ainsi dire. Ce qui se présente soi-même comme une "analyse" de première main risque d'accomplir plus précisément une rationalisation des conditions existantes, un renforcement conceptuel des hypothèses culturelles (ou émotionnelles, ou de classe). C'est peut-être le genre de philosophie qu'une société technologique mérite. Cependant, si l'on regarde vers des chemins de pensée plus critiques, la philosophie s'avère être la science humaine qui a le plus besoin de son histoire. Travailler à travers sa tradition rend au moins un peu plus sophistiquée l'approche de la finitude de nos inclinations culturelles / émotionnelles / inconscientes / de classe. Cela ne revient pas à dire que l'homme Martin Heidegger aurait souscrit avec l'idée générale de ce qui va suivre. Je crois plutôt le contraire. Heidegger peut se lire comme un proto-structuraliste. À travers une "résistance ouverte à l'humanisme"2, il tente de libérer un ordre d'interconnexion phénoménale que la traditionnelle attention pour "l'homme" aurait embrouillée. Il appelle cela "la constellation de l'être"3. Pour accentuer l'allusion sous-jacente à l'auto-régulation, au nomos comme règle, je parlerai "d'économies" de présence. Premièrement, je montrerai comment l'histoire apparaît semblable à un système lorsqu'elle est interprétée comme une séquence de telles économies. Mais son analyse quasi-systémique produira des conséquences inattendues, particulièrement dans le type de praxis impliqué en "dépassant" cette l'histoire. Elles ont à faire avec l'autorité et la transgression. L'auto-régulation Il y a chez Heidegger une fascination étrange pour "ce qui fonctionne", pour la "cybernétique". Il déplore le fait qu'aujourd'hui "tout fonctionne : c'est cela l'inquiétant"4. Et il affirme catégoriquement que la cybernétique a déjà remplacé la philosophie5. Mais il nous dit aussi que les époques dans l'histoire s'établissent par et d'elles-mêmes, que penser c'est correspondre à une vérité "déjà accomplie" en avance6 à travers "l'auto-interprétation" (Selbstauslegung) historique, et que les 2 Martin Heidegger, Wegmarken (Frankfurt: Klostermann, 1967), p. 176; Basic Writings, traduit par A. Capuzzi (New- York: Harper & Row, 1977), p. 225. Note: Toutes les traductions sont les miennes, ce qui explique pourquoi, en plus des traductions anglaises publiées, j'ajoute les sources allemandes. 3 Martin Heidegger, Die Technik und die Kehre (Pfullingen: Neske, 1962), p. 46, The Question concerning Technology, traduit par W. Lovitt (New York: Harper & Row, 1977), p. 48 4 "Nur noch ein Gott kann uns retten" dans Der Spiegel, 1976, numéro 23, p. 206; "Seul un Dieu peut encore nous sauver", traduit par D. Schindler, Graduate Faculty Philosophy Journal, 6:1 (1977°: 17 5 Ibid, p. 212; trad, p. 20 6 Martin Heidegger, Holzwege (Frankfurt: Klostermann, 1950), p. 67; Poetry, Language, Thought, traduit par A. économies se déplient "liées par une règle cachée"7. Sans une telle auto-régulation, cela semblerait en effet difficile de parler d'identité et de différence dans l'histoire, c'est-à-dire, de penser le changement. Avant de montrer dans quel sens ce concept d'histoire compris comme système met fin aux représentations philosophiques des référents ultimes pour penser et agir, il est nécessaire d'examiner comment le problème de l'auto-régulation économique émerge des questions directrices heideggériennes à travers ses écrits, à savoir : comment la différence ontologique entre les choses manifestes et leur manifestation, ou leur "être", peut être comprise en terme de temps ? En guise de rappel : les réponses qu'apporte Heidegger sur cette seule question sont multiples. (a) Le temps est le sens de l'être, dit-il premièrement, et cette réponse rend nécessaire une enquête sur les caractéristiques de cette entité que nous sommes nous-même. (b) Le temps est la vérité de l'être, dit-il ensuite, ce qui a nécessité un inventaire des traits fondamentaux de notre histoire depuis les Grecs. (c) Finalement, l'être est l'événement par lequel les phénomènes - les choses, les mots et les actions - entrent dans un contexte d'échange mutuel, contexte que l'on peut appeler une culture. Cette réponse a été la seule lui permettant de comprendre l'être comme temps8. En outre, la troisième réponse (c) est liée à la seconde (b), comme une condition est liée au conditionné. L'événement (synchronique) de manifestation et le dépliage (diachronique) des ordres historiques manifestes sont alors les deux facteurs unis par la différence ontologique comprise temporellement. La différence entre la manifestation et les ordres phénoménaux manifestes est l'outil avec lequel on force l'ouverture de l'histoire. La méthode de déconstruction nous fait regarder notre passé à partir du point de vue de cette différence temporelle, c'est-à-dire, d'un angle duquel l'intermédiaire, l'agence humaine, ne peut faire l'objet d'une enquête. Son objet d'étude est précisément l'auto- régulation historique. Le concept systémique de l'Histoire. Comment la déconstruction déplace-t-elle l'étude de l'histoire des faits et gestes humains à l'auto- régulation des économies époquales ? C'est la méthode pour déraciner l'événement même des Hofstadter (New York: Harper & Row, 1971), p. 80 7 "La plurivocité de l'énoncé ... repose sur un jeu qui, plus il se déplie richement, plus il reste strictement lié par une règle cachée. À travers cette règle, la plurivocité reste en équilibre dont l'oscillation nous atteint seulement rarement" (Wegmarken, p. 251; The Question of Being, traduit par J. T. Wilde and W. Kluback [New Haven: College and University Press, 1958], p. 105). 8 "Penser l'idée la plus difficile de la philosophie signifie penser l'être comme temps" (Nietzsche, 2 vols. [Pfullingen: Neske, 1961], 1: 28; Nietzsche, vol. 1, The will to Power as Art, traduit par D. F. Krell [New York: Jarper & Row, 1979], p. 20 phainesthai, de la manifestation, des configurations manifestes passées des phénomènes ; la méthode par laquelle le phénoménologue rassemble la "venue à la présence" comme l'événement synchronique - ou l'advenue - des champs culturels de la présence et de leurs déplacements diachroniques. Dans le langage heideggerien, la déconstruction est la méthode pour revenir sur nos pas à partir des modes historiques de présence (Anwesenheit) pour être soi-même comme événement (Anwesen). Pour qu'un tel retour en arrière ne soit pas une simple avancée dans l'inconnu, il a besoin d'être délimité par des règles. Ici Heidegger est avec Kant : pour revenir de l'expérience à ses conditions, nous avons besoin de construire des composants formels qui déterminent ce qui peut devenir un phénomène. Mais il se pose contre Kant quand les phénomènes à expliquer sont compris comme étant historiques, non cognitifs, de façon à ce que leurs structures conditionnantes ne peuvent plus être localisées dans le sujet connaissant. Puisque ce transcendantalisme veut découvrir quelle "logique" a gouverné l'histoire Occidentale, il doit se détourner de la subjectivité au profit des catégories qui lient la concaténation des époques. Ainsi quand Heidegger parle de règles ou de "traits" dans le texte de notre histoire, il comprend par là les caractéristiques systémiques qui connectent leurs dispositions époquales. Ce sont les règles de uploads/Litterature/ de-l-x27-auto-regulation-et-de-la-transgression-par-reiner-schuermann.pdf
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- Publié le Aoû 14, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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