Langues, Cultures, Communication Volume 2 – N° 2 Juillet – décembre 2018 De la
Langues, Cultures, Communication Volume 2 – N° 2 Juillet – décembre 2018 De la culturalité des langues De la mixité linguistique au métissage culturel dans ‘’À l’ombre de Jugurtha Afaf ZAID Édition électronique URL :https://revues.imist.ma/index.php?journal=L2C ISSN : 2550-6501 Publications du Laboratoire : Langues, Cultures et Communication (LCCom) Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Université Mohammed Premier Oujda, Maroc Communication -L2C- décembre 2018 De la culturalité des langues De la mixité linguistique au métissage culturel À l’ombre de Jugurtha‘’ de Nadia Chafik :https://revues.imist.ma/index.php?journal=L2C Édition imprimée Dépôt légal : 2017PE0075 ISSN : 2550-6471 Langues, Cultures et Communication (LCCom) L2C – Vol 2 – N°2 – De la culturalité des langues 99 De la mixité linguistique au métissage culturel dans À l’ombre de Jugurtha de Nadia Chafik Afaf ZAID Laboratoire de Littérature Générale et Comparée : Imaginaires, textes et Cultures. Equipe de recherche : Littérature d’expression française Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Université Mohammed Premier Oujda, Maroc Email : afaf_zaid@yahoo.fr / afafzaid46@gmail.com Résumé La littérature est un creuset de rencontre avec l’identité et l’altérité, elle se construit dans le croisement des cultures et des langues, ce qui fait du texte un lieu de jubilation interculturelle et esthétique. Le roman marocain francophone s’inscrit dans cette voie, il est devenu un genre sans ossature qui transpose le lecteur dans un monde de sons et de sens, grâce à une langue androgyne, voire plurielle, ouvrant le texte au métissage linguistique et culturel. C’est le cas du roman de Nadia Chafik, À l’ombre de Jugurtha (2000), qui met en dialogisme la langue française et l’amazigh, ce qui crée un véritable espace textuel d’hybridation. L’objectif de l’écrivaine est certes de réhabiliter la langue berbère mais aussi de déconstruire-reconstruire toute une mémoire ressuscitée par elle. Son but est de réfléchir aussi sur une identité interculturelle et inter-linguistique, dans son cadre humaniste et universaliste, loin des idées figées et stéréotypées. Mots-clés : métissage, langues, identité, altérité, interculturel Abstract Literature is a melting pot of encounter with identity and otherness, it is built on the crossroads of cultures and languages, which makes the text a place of intercultural and aesthetic jubilation. The Moroccan francophone novel can be located within this trend, as it has become a genre without framework that transposes the reader into a world of sounds and meaning, thanks to an androgynous or even pluralistic language, opening the text to linguistic and cultural mixing. L2C – Vol 2 – N°2 – De la culturalité des langues 100 This is the case of Nadia Chafik's novel in À l’ombre de Jugurtha (2000), which puts the French language and Amazigh into dialogue, creating a real hybrid textual space. The goal of the writer is certainly and primarily to rehabilitate the Berber language but also to deconstruct-rebuild a memory regenerated by this language. Its aim is also to reflect on an intercultural and inter-linguistic identity, especially in its humanist and universalist framework, far from fixed and stereotyped ideas. Keywords : mixing, languages, identity, otherness, intercultural Le roman marocain francophone devient un genre sans ossature qui franchit, de plus en plus, les différentes frontières. Il se construit dans le croisement des cultures et des langues et transpose le lecteur dans un monde de sons et de sens, grâce à une langue androgyne, voire plurielle qui repousse les limites scripturales, ouvrant le texte au métissage linguistique et culturel. Le roman de Nadia Chafik, À l’ombre de Jugurtha (2000), s’inscrit dans cette voie. Il met en dialogisme la langue française, l’amazigh et l’arabe dialectal, ce qui crée un véritable espace textuel d’hybridation. L’objectif de l’écrivaine est certes de réhabiliter les langues autochtones, notamment le berbère mais aussi de déconstruire-reconstruire toute une mémoire légendaire qu’il ressuscite, à travers notamment les figures berbères de Jugurtha et de la Kahéna, explorant un rapport de relation/tension avec l’altérité. C’est un roman qui s’inscrit dans la dynamique de la variation et du divers, il fait ressurgir ces grandes figures de l’histoire algérienne, berbère en l’occurrence, pour les transposer dans un contexte marocain contemporain autour d’un personnage français, cherchant par là à s’insérer dans une mouvance interactionnelle et à s’ouvrir au pluriel des sens. J’essaierai ainsi de montrer comment le texte en question développe un hétérolinguisme qui transgresse les normes de lisibilité et opte pour une altérité linguistique et, parallèlement, comment il s’avère un champ idéal invitant à accepter l’Autre, à dépasser les conflits culturels et à surmonter les échecs engendrés par le contact avec autrui. C’est l’identité, dans son cadre humaniste et universaliste, qui cherche à s’imposer dans ce texte, loin du monisme linguistique et culturel. L’auteure présente ainsi des personnages nourris d’un certain culturalisme et d’autres, au contraire, qui partent de leur propre culture L2C – Vol 2 – N°2 – De la culturalité des langues 101 pour faire preuve d’une culturalité comme processus interculturel accueillant soi et l’autre. Autrement dit, un processus qui permet au personnage d’assumer son identité dans la diversité. 1. La langue : un hiatus culturel et une mise en scène ethno- stéréotypique Le roman de Nadia Chafik fait preuve d’une mixité linguistique à travers l’insertion de la langue berbère et de quelques termes de l’arabe dialectal dans son texte écrit en français. Cet hétérolinguisme, pour emprunter le terme à Rainier Grutman, crée un véritable effet d’hétérogénéité. Il le définit comme «la présence dans un texte d’idiomes étrangers, sous quelque forme que ce soit, aussi bien que de variétés (sociales, régionales ou chronologiques) de la langue principale.» (Grutman, 1997, 37) Dans ce contexte hétéroglossique, l’écrivaine francophone intègre des fragments bilingues sous forme juxtapaginale, par voie de traduction, comme espaces langagiers différents accessibles aux deux lecteurs : « ‘Awa ylla-da ubida / Awa yili-da ubida / Awa yli wfud nna wr tetchit a-tktcha! / Hé donc, il ya de l’étrange / Hé donc, il y aura du grabuge / Il ya parmi nous des os non rongés par les vers! » (Chafik, 2000, 149-150). Son souci de traduire en français chaque expression en amazigh n’est pas fortuit, elle cherche à équilibrer les deux langues1 et montrer l’aptitude du berbère et du français à cohabiter ensemble dans le même discours, facilitant au lecteur non averti le sens dénotatif de la langue qui s’impose : « Kchem essuq ikhf nnem ! Mêle-toi de tes oignons ! » (Chafik, 17) ; « Fadhma turu yun arba. Fadhma a accouché d’un garçon. » (Chafik, 24) ; « -Lla-tessen teqra ! Elle sait lire ! » (Chafik, 70) ; « A R’bbi chf-as attân ! A R’bbi y-asy-it ! Que Dieu l’afflige de 1 La langue amazighe a été longtemps exclue des institutions politiques, sachant que depuis l’Indépendance du Maroc, la politique d’arabisation a accentué son caractère minoritaire en faveur de l’arabe comme langue officielle de l’État. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que l’amazigh est reconnu et revalorisé par les pouvoirs en place (Institut royal de la culture amazighe (IRCAM), enseignement, médias …), en vue de sa constitutionnalisation en 2011. Dès lors, l’arabe et l’amazigh (le berbère) sont les langues officielles reconnues par la Constitution. La publication du roman de Nadia Chafik, en cette même année 2000, est sans doute révélatrice de sa volonté de célébrer cette langue et d’explorer la diversité linguistique du texte francophone marocain. L2C – Vol 2 – N°2 – De la culturalité des langues 102 quelque maladie incurable ! Que Dieu la fasse disparaître ! » (Chafik, 106) La romancière fait aussi du « code-switching » un prétexte pour faire valoir toute une culture amazighe qu’elle défend. En effet, c’est elle qui inaugure son texte par la dédicace suivante : « Aux Imazighens, cette vieille cédraie qui a résisté à bien des dégradations causées par l’histoire. » (Chafik, 7) Ce code, qui consiste à changer et à alterner des langues ou des variétés linguistiques dans un même discours, est entendu en sociolinguistique comme la manifestation d’un bilinguisme idéal : «-Sors ! Montre ta sale gueule, taydit ! » (Chafik, 90) ; « Si seulement Tarumit était pétrifiée par les forces du mal, transformée en pierre noire, en umsikhen » (Chafik, 92). Cet effort de l’écrivaine vient, en fait, contrecarrer cet hiatus culturel engendré entre les langues, notamment dans un contexte colonial de dominant/dominé et qu’elle met en scène, elle-même, dans son roman, comme pour le dépasser ou l’infirmer. Il s’agit, en effet, dans ce texte, du contexte de l’implantation des colonies françaises au Maroc pendant les années 1925. Le personnage principal est une Française, Catherine Chalumeau, qui quitte son pays pour rejoindre son amant Charles Vaillant, lieutenant français en service militaire au Moyen Atlas. Lors de son voyage, elle fut prise en otage par des guerriers berbères qui défendent leur pays contre l’occupant, à leur tête Yann. Tombant amoureux l’un de l’autre, Catherine fait toutes les tentatives pour s’adapter à sa nouvelle culture malgré le refus catégorique de Nanna Déhia, la grand-mère de Yann et chef de la tribu, de voir une étrangère imposer sa culture et menacer la sienne. C’est à elle que Déhia donne le surnom de « Tarumit uploads/Litterature/ de-la-culturalite-des-langues.pdf
Documents similaires










-
42
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 18, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2567MB