De la Lecture avant toute Chose I Première Partie Il est un travers devenu récu
De la Lecture avant toute Chose I Première Partie Il est un travers devenu récurrent à notre époque, bien que l’on puisse supposer qu’il est installé depuis un moment déjà. C’est que souvent, on ne lit pas (ou peu) les livres dont on parle. On les lit mal, en diagonal ou encore, de façon très superficielle. On colporte à leur propos une perspective faussée, et cette perspective se propage : la notoriété de l’auteur y gagne ce que l’exigence intellectuelle perd invariablement. Le cas de Marie-France James est en cela typique : chercheuse universitaire se revendiquant catholique, c'est un profil relativement rare, surtout en ce qui concerne le sujet étudié. Relativement confidentielle, sa thèse devenue un ouvrage en deux tomes fait cependant figure de référence dans un domaine très ciblé. Consacrée à la vie de René Guénon (1886-1951) ainsi qu’aux milieux occultistes et catholiques qui lui sont contemporains, cette thèse augmentée d’un dictionnaire bio- bibliographique est parvenu à faire consensus parmi les rares personnes s’intéressant sérieusement à ce sujet. Qualifié selon les milieux de métaphysicien, d'ésotériste, de penseur, de philosophe ou encore de gnostique, ,le récent regain d’intérêt pour l’œuvre de cet important auteur français émigré au Caire dans les années 30 justifie donc qu’on se penche sur l’une des références concernant sa vie et son œuvre. On peut grossièrement ranger dans deux catégories distinctes les personnes unanimes à propos de Marie-France James et de son travail sur René Guénon: - Celles issues de la recherche universitaire portée sur ce qui gravite autour de la dimension occultiste de la franc-maçonnerie (derrière un ensemble de termes plus ou moins obscurs qu’il y aura lieu de détailler par la suite). L’écrasante majorité de ces personnes sont assez proches de l’École Pratique des Hautes Études et dans une certaine mesure, du CNRS. - Celles issues du courant catholique romain dit «intégriste » ou « traditionaliste », c’est-à-dire, les catholiques restés en théorie attachés à une vision de leur religion exempte des aménagements modernistes (1) On peut rapprocher cette catégorie de la tradition anti-maçonnique et antisémite de la fin du XIXe et première moitié du XXe siècle qui s'attache à décrire très minutieusement les diverses ramifications des conspirations réelles ou supposées à l'encontre de la doctrine catholique romaine, et de l’Église en particulier. A priori, tout sépare ces deux catégories de personnes, que ce soit dans leur cursus intellectuel, leur vision du monde ou le public auquel elles s’adressent. Il est toutefois remarquable de noter que l’opinion qu’elles se font de René Guénon parvient à les fédérer d’une façon étonnante. Cette affirmation, qui sera probablement démenties par les intéressés, mériterait bien sûr quelques nuances : chaque catégorie respective ayant sa façon bien à elle de diluer son propos dans des discours- fleuves noyant délibérément le profane, il sera néanmoins possible de faire apparaître de sensibles convergences qui poseront un certain nombre de questions. Nous laisserons ces questions en suspens... On peut ajouter que le travail de Marie-France James vient faire précisément le pont entre ces deux domaines, avec entre autre l'aval et l'encouragement de son préfacier Emile Poulat (1920-2014), qui fut prêtre-ouvrier insoumis à Rome pour ensuite quitter le sacerdoce et devenir sociologue-historien du catholicisme (2) *** Ouvrons le livre de Marie-France James, le premier tome intitulé Ésotérisme et Christianisme autour de René Guénon : après une introduction, et quelques pages d’index chronologique dans le style si particulier de cette chercheuse, on en vient à une première partie intitulée « Genèse d’une œuvre ». Cette première partie s’ouvre sur un premier chapitre (2) consacré aux « constantes d’une personnalité » et ressemble d’entrée de jeu à un réquisitoire centré sur la nervosité et l'instabilité du sujet. Après tout pourquoi pas ? Il semble difficile de nier la duplicité avec laquelle René Guénon a su évoluer dans des milieux très divers, pour des motifs souvent obscurs. Ce réquisitoire a le mérite de donner le ton et d’être transparent sur un parti-pris qui resterait à définir. On s'étonnera peut-être de voir de telles considérations psychologiques imposées au lecteur dans un travail qui se veut objectif et scientifique. Mais en quoi consiste concrètement ce premier chapitre nous décrivant les « constantes » de la personnalité de Guénon ? Il s’ouvre tout d’abord sur un thème astrologique, ce qui a manifestement semblé naturel tant pour les lecteurs universitaires (donc, à prétention historique et scientifique) que pour les lecteurs catholiques (farouchement opposés à toute dérive occultiste, gnostique, ésotérique parmi lesquelles l'astrologie figure en tête d'affiche) S’il y a pourtant un type de portrait qui pouvait susciter une réaction négative des milieux catholiques autant que scientifiques, c’est bien le thème astrologique, avec tout ce que cela comporte de d’interprétations arbitraires et de présupposés idéologiques discutables. Admettons qu'ils ont su aller au-delà de leurs apriori respectifs pour se concentrer sur le fond. Quel fond? Restons-en pour le moment à la surface et l'ensemble général. *** Citons à présent Christian Lagrave, auteur associé à l'extrême-droite catholique française et attaché à dénoncer les machinations maçonniques omniprésentes. Dans son ouvrage Les Dangers de la Gnose Contemporaine, Lagrave qualifie Marie-France James de « l’une des meilleures critiques catholiques de Guénon ». Cette affirmation péremptoire peut surprendre. Lecteurs nonchalants, nous n’en sommes qu’au premier chapitre du livre de Mme James et Christian Lagrave qui fait, à raison, de l’astrologie l’un des éléments de la panoplie du « gnostique contemporain » ne semble pas s'émouvoir de cette entrée en matière. L'a-t-il seulement lue? Ce ne seront pourtant pas moins de dix pages consacrées aux « constantes d’une personnalité » faisant la part belle, en plus du thème astrologique, à une analyse graphologique doublée de considérations en provenance de personnalités telles que Robert Amadou, franc-maçon de rite égyptien, martiniste, spécialiste de l'astrologie et de la parapsychologie. Avec Emile Poulat, qui préface le second tome de l’ouvrage de Mme James, Jean-Pierre Laurant, cité dès les premières notes du premier chapitre du premier tome de ce même ouvrage, Robert Amadou fait parti de ceux que Christian Lagrave se plait à signaler comme des gens « très habiles, spécialistes de la séduction intellectuelle et de l’infiltration dans les milieux catholiques » Il faudrait donc croire que leur habileté est allée jusqu’à tromper « l’une des meilleures critiques catholiques de Guénon » qu’il cite pourtant à plusieurs reprises. Duplicité ou manque de vigilance? Distribués entre autres chez Chiré (maison d’édition et librairie consacrée à la « Diffusion de la Pensée Française ») les ouvrages de Christian Lagrave y côtoient ceux de Marie-France James. Il faut donc supposer qu’il y a là deux façons complémentaires de livrer ce que Jacques Ploncard d’Assac (1910-2005) appelle le « véritable combat contrerévolutionnaire [qui] devrait être mené principalement sur ce terrain de la diffusion des livres » Il poursuit « J'ai toujours pensé que ce seul tête à tête du lecteur et du livre est susceptible d'exercer des conversions, des reprises en main, d'éclairer ceux qui se trompent par ignorance des faits. » Citation issue de la page de présentation de la librairie Chiré : http://www.chire.fr/PS-librairie.aspx Un bref examen des Dangers de la Gnose Contemporaine de Christian Lagrave, pas plus approfondi que celui présentement consacré à Ésotérisme et Christianisme autour de René Guénon de Marie-France James suffira à poser des fondations qui permettront ensuite de s’interroger sérieusement sur ce qui apparait pour le moment comme une certaine ambiguïté. Car, pour en revenir aux deux catégories de personne mentionnées plus haut, on peut d'ores et déjà supposer qu’on retrouvera ce genre d’ambivalence tant chez les chercheurs universitaires à prétention scientifique que chez les chercheurs catholiques à prétention nationalistes et traditionalistes. Notes (1) Au sens stricte du terme, la « modernité » est un phénomène qui concerne presque exclusivement le catholicisme romain, lequel, au début du XXe siècle s’est vu tiraillé par divers courants cherchant à le faire s’adapter à une société qui s’est transformées radicalement en l’espace de quelques générations. Révolutions successives, guerres, progrès technique (notamment, une accélération considérable des voies de communications, des modes de production et la circulation des marchandises) se sont accompagnés d’idéologies agressives à prétention universelles, venant concurrencer directement le catholicisme –« catholique » signifiant littéralement « universel » (2) Docteur en théologie de l'Université de Fribourg-en-Brisgau en 1950, Émile Poulat a été le cofondateur du premier groupe de sociologie des religions au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) dès 1954. Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, il est également directeur de recherche au CNRS et historien de l'Église contemporaine. Il est l'un des membres fondateurs du Groupe de sociologie des religions, directeur et membre des comités de rédaction de plusieurs revues dont Politica hermetica. Ses recherches portent surtout sur le conflit entre culture catholique et culture moderne dans l'histoire du catholicisme contemporain. Il s’est spécialisé sur la question de la crise moderniste et s'est également intéressé à l'antimaçonnisme et la laïcité. Nous reviendrons sur la préface qu'il donne du second tome de l'étude MF James. Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Poulat (3) L’organisation un peu étrange de cette étude à de quoi uploads/Litterature/ de-la-lecture-avant-toute-chose-i.pdf
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- Publié le Oct 04, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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