Q u a r t o - R e v u e d e p s y c h a n a l y s e p u b l i é e e n B e l g i
Q u a r t o - R e v u e d e p s y c h a n a l y s e p u b l i é e e n B e l g i q u e 1 O 4 Conversation sur UUn tout seul École de la Cause freudienne Mai 2013 I • nterorétation borroméenne Jean-Pierre Deffieux Déplacer l'interprétation du cadre oedipien vers le cadre borroméen, c'est changer la notion méme d'interpré- tation du symptóme en psychanalyse. Dans le cadre oedipien, l'interprétation du symptóme porte sur le sens comme pour toute formation de l'inconscient. L'interprétation est signifiante. Elle part du signifié pour débusquer le signifiant inconscient qui s'y rattache. C'est le mode de l'interprétation freudienne et, méme si elle s'articule au roe de la castration, suivant l'orientation de Lacan á partir de l'Autre barré, elle ne se passe pas du sens méme de la castration. De méme, lorsque Lacan articule l'interprétation á l'objet o pour tenter d'attraper un bout de réel, l'objet cause du désir, l'interprétation ne se départit pas d'une : intention de sens, et d'un vouloir diré. Malgré toutes les avancées théoriques de Lacan jusque dans les années septante, une part du symptóme resiste et on n'obtient pas le nettoyage du symptóme. II subsiste ce que Jacques-Alain Miller a appelé les restes symptomatiques. Lacan s'est employé, dans son dernier enseignement, á cerner ce réel du symptóme, ininterpretable au senstraditionnel de l'interprétation. II lui a donné un nouveau nom, celui de sinthome, et il a dégagé un nouveau ternaire - derniére topique lacanienne -, le • ternaire borroméen de l'imaginaire, du symbolique et du réel. Cet abord avec lequel nous nous familiarisons depuis ees derniéres années gráce á l'enseignement de Jacques-Alain Miller, nous engage vers une nouvelle pratique de la psychanalyse, en particulier celle de l'interprétation. La résistance forcenée du symptóme, qu'aucune écoute, qu'aucune parole ne peut entamer, pousse á inventer du nouveau. ^'^Ce réel du symptóme, comment l'aborder á partir ' • du symbolique ? En commen9ant par modifier notre appréhension du symbolique, en attrapanf le langage á un autre niveau que celui du langage articulé qui vise le sens et la communication, celui de l'Autre du langage, mais celui de l'Un, c'est á diré un langage matériel, réduit á sa matérialité signifiante, réduit á la lettre : un signifiant certes, mais coupé de tout autre signifiant, coupé du sens et gros de jouissance. C'est ce que Lacan a réussi á cerner dans son tout dernier enseignement: la disjonction du sens et du réel. C'est á partir de la qu'on peut saisir l'os du symptóme, que Lacan dénomme le sinthome. 96 Quarto 104 C'est une toute autre visión de la psychanalyse et de son expérience qui s'élabore ¡ci: une fois elimines les piéges et les embuches signifiantes du symptóme, comment aborder le réel qui le sous-tend ? II faut pour cela partir de chaqué cercle du noeud avant méme que ceux-c¡ soient noués, c'est-á-dire, ce qui est impossible, partir du vivant avant méme qu'il rencontre le langage. L'expérience analytique, qui va jusqu'á l'abord du sinthome, s'oriente sur la rencontre inaugúrale et contingente de la langue et di¿coír{DS vivant, del'Un signifiant et de la jouissance, cet événement de corps primordial qui vient déranger la quiétude de la jouissance absolue. Cette rencontre primordiale introduit une répétition, une réitération^ de jouissance hors sens qui signe la singularité de la jouissance de chaqué parlétre. Le sinthome tst l'écriture de cette rencontre par la marque du corps. " C'est cette réitération de jouissance et cette rencontre primordiale qui intéressent l'expérience analytique dans le tout dernier enseignement de Lacan. « La psychanalyse part toujours de l'association libre, des formations de l'inconscient et de l'interprétation du sens, mais pas pour s'y installer, pour viser le hórs sens du Un auquel tout parlétre est assujetti fonda"- mentalement dans sa répétition B^. Toute la question est maintenant de savoir comment manier la lettre au-delá du sens, une fois nettoyé le champ du sens, ce que Jacques-Alain Miller appelle « une pratique sans vérité », en tentant d'atteindre la rencontre initiale et contingente du signifiant et de la jouissance par Ta lettre. Lorsque J.-A. Miller propose un nouveau type d'inter- prétation comme lecture du hors sens, il fait référence á Radiophonieoú Lacan souligne que le Juif est «celui qui sait lire »-^,« c'est á diré que de la lettre il prend Jean-Pierre Deffieux est psychanalyste á Bordeaux, membre de l'École de la Cause freudienne.Texte presenté lors des derniéres Journées de l'ECF. Miller J.-A., « L'orientation lacanienne, l'Étre.etJ'JJn », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l'Université Paris VIII, 2011, inédit. Id. Lacan J.,« Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 428. distance de sa parole, trouvant la l'intervalle, juste á y jouer d'une interprétatíon Le Juif« prend le Livreau pied de la lettre» pour«tírer un diré autre du texte »^. Un diré n'est pas un d¡t.j.e dit est du cóté de la vérité, de rémergence de l'inconscient, tandis que le diré releve de la logique ; il n'est pas une démonstration mais plutót une construction. Le diré est de l'ordre de l'acte, il est hors sens. / Lacan donne, dans Radiophoniedts précisions concer- nant le travail sur la lettre dans l'exégése biblique pour«tirer un diré autre du texte » :« La collusion signifiante prise en sa matérialité »(attente, accord, arrangement),«la combinaison signifiante » qui rend obligé un certain voisinage (non voulu), les«variantes de grammaire»qui imposent un « choix désinentiel »^ Da ns son I ivre La lettre etie sens dans l'exégésejuive^, David Banon traite des modalités particuliéres de lecture. II insiste sur la séparation, la coupure entre le texte et la parole prophétique, la « parole brute », parole de Dieu, parole du «c'est ainsi I», prophétie qui ne se commente pas ; une fois la parole tue, demeure le texte oü s'est déposée la voix. Derriére le texte écrit, l'exégése tente de retrouver la parole vivante :« Défaire le silence du texte pour saisir le bruissement de son oralité»; rechercher cette relation de dialogue initiale entre Dieu et l'homme. II y a done, dans le travail de lecture biblique juive, la visee d'un réel, celui de la voix de Dieu et de sa parole. David Banon donne dans ce livre un certain nombre de précisions sur ce mode dejecture qui fait« appel á la densité de la lettre hébraique ». La Lettre y est á prendre au sens le plus radical, pas au mot á mot. L'alphabet est interrogé dans sa plus simple expression, chaqué lettre constituant un mode de signes. Lire est un acte hautement subversif qui fait éclater le texte, le fragmente, l'éparpilie, qui fait« surcoder, surcharger, solliciter le texte, scruter les lettres». De cette scrutation de la lettre, David Banon donne quelques occurrences : l'exégése juive est d'abord la disjonction du signe et du sens, du signifiant et du signifié, du signe et du référent. II sígnale l'accent porté sur l'inversion, les combinaisons, les acronymies, les anamorphoses.« Le texte ne trouve jamáis de repos». La psychanalyse a beaucoup á apprendre de ce mode de lecture. Pour acceder au réel de l'expérience, á ce que Jacques- Alain Miller a situé dans son cours de 2011 du cóté de l'existence, á différencier de l'essence et de l'étre, y I T faut prendre^ táhgage au niveau de l'écriture - c'est ce qu'on approche avec les mathématiques -, une écriture qui soit un maniement de la lettre, de la trace (le signifiant est coupé de la signification), une écriture qui pousse á la lecture et non á l'écoute. II y a dans la pensée juive une double dimensión, deux versants de lecture, le versant poétique qui vise la recherche infinie du sens et de la vérité, et le versant littéral, hors sens. Ces deux systémes á^, lecture coexistent depuis toujours. C'est á cette derniére appréhension de la lecture que Lacan fait appel quand il dit que le Juif est celui qui sait lire : il fait une lecture qui s'oriente sur la matérialité de l'écriture de la lettre. Dans l'expérience analytique, ce savoir lire interpré- tatif düit^iser la rencontre initiale du langage et du corps chez tout humain, qui est le coeur du sinthome. Voilá toute une recherche passionnante en perspective pour l'avenir de la psychanalyse ! 4 id. 5 id 6 Id. En linguistique, la désinence est l'élément variable du radical d'un mot, par exemple ; les formes aimes, aimant, aimas, aimions, etc. sont toutes formées sur le radical -aim-; les désinences sont les variations á partir du radical. 7 Banon D., Entreiacs. La iettre et ie sens dans i'exégése juive, Paris, éd. du Cerf, coll.« La nuit surveillée », 2008. uploads/Litterature/ deffieux-interpretacion-borromea.pdf
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- Publié le Mai 18, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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