POÉTIQUE DU SCÉNARIO Amélie Vermeesch Le Seuil | « Poétique » 2004/2 n° 138 | p
POÉTIQUE DU SCÉNARIO Amélie Vermeesch Le Seuil | « Poétique » 2004/2 n° 138 | pages 213 à 234 ISSN 1245-1274 ISBN 9782020628198 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-poetique-2004-2-page-213.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Le Seuil | Téléchargé le 31/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.104.36) © Le Seuil | Téléchargé le 31/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.104.36) Amélie Vermeesch Poétique du scénario «En-soi. Et encore: Ne pas s’en contenter. Objet transi- tionnel – littéralement. Ce qui est, et n’est pas. Du vent. Le scénario est ce qui n’est pas. Le souffle d’un espoir, et la conscience d’inexistence. Comment faire avec? Danger. Pire menace: jeu gratuit. N’engage pas comme un film – et pas comme une écriture. Entre-deux (eaux). Flou artis- tique – nécessaire1.» Le cinématographe est l’une des révolutions majeures du XXe siècle. Ayant per- mis la captation des mouvements et l’association de l’image et du son, le récit fil- mique a cependant longtemps été considéré comme une technique et non comme une œuvre. Avec les années, devenant de plus en plus narratif et étant le fruit d’un travail collectif plus élaboré, le cinéma a acquis ses lettres de noblesse aux côtés de la littérature, de la peinture ou de la sculpture, et peu contestent aujourd’hui qu’il soit qualifié de «7e Art». L’intérêt grandissant des chercheurs pour l’univers ciné- matographique, les nombreuses chaires qui lui sont consacrées dans les universités du monde entier et sa présence massive dans nos médias sont un des signes de cette reconnaissance. Mais avant d’intéresser les spécialistes, le cinéma est actuelle- ment l’art qui touche le plus large public. Pourtant, force est de constater que si le public remplit les salles de cinéma, il méconnaît ce qui est à l’origine même d’un film, son scénario. Ce dernier demeure un étrange objet dont seuls les initiés comprennent le fonctionnement, le rôle et l’importance. Pour preuve, on ne retient que peu ou prou les distinctions qui récompensent annuellement dans les festivals les meilleurs scénarios. Pour un spec- tateur ordinaire, le film qui s’affiche sur l’écran est principalement l’œuvre d’un réalisateur. Même les chercheurs qui se consacrent à l’étude du cinéma ont attendu les années 80 pour s’intéresser en profondeur à ce texte si particulier, le scénario de film de fiction. Car, prenant part à l’élaboration d’un produit d’images et de sons, le scénario est avant tout un écrit. A la manière d’un récit journalistique ou de la littérature per- sonnelle, il se présente d’abord comme un texte informatif. Sans privilégier la forme, il se consacre au contenu narratif et au récit qu’il met en place. Souhaitant comprendre le fonctionnement caractéristique de ce texte et ses particularités par rapport aux écrits littéraires, c’est au scénario de film de fiction que sera consacrée cette étude. Nous nous poserons la question du scénario et de son statut en tant que texte. © Le Seuil | Téléchargé le 31/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.104.36) © Le Seuil | Téléchargé le 31/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.104.36) Construit en mots et destiné à devenir images et sons, nous tenterons de définir le scénario en fonction de ses spécificités. Sans raviver le débat «littérature versus cinéma», nous observerons quel est son rôle dans le processus de la création fil- mique. Nous nous demanderons si le scénario de film de fiction peut être consi- déré comme un genre littéraire à part entière. Ayant mis en lumière toute l’ambi- guïté du texte scénaristique, nous poserons plus concrètement les questions pratiques de son écriture, de sa publication, de son enseignement et de son statut juridique. Nous verrons combien, dans ces différents domaines, le traitement du scénario diffère de celui accordé aux écrits littéraires. Car, s’il peut ressembler à s’y méprendre à n’importe quel texte de théâtre, le scénario de film de fiction, de par son statut et son fonctionnement propres, ne peut être lu, étudié et pris en consi- dération au même titre que celui-ci. Définition et histoire La définition du terme scénario fluctue. Aujourd’hui encore, le mot a une double signification et les deux sens s’utilisent allègrement. De plus, il connaît un réel élargissement de son champ sémantique, bien au-delà de l’univers du cinéma. Le terme scénario (de scena: la scène) trouve son origine en Italie où il désigne d’abord «la scène de théâtre au sens architectural»2, c’est-à-dire l’espace scénique. A la fin du XVIe siècle en Italie, il désigne plus largement l’organisation de l’espace scénique et le décor. Passé dans le vocabulaire de la Commedia dell’Arte, il y devient le canevas d’un spectacle. Dès le XVIIIe siècle, le terme prend en France le sens de mise en scène, avant de devenir au XIXe siècle l’argument d’une pièce écrite ou le plan détaillé ou résumé d’une histoire, d’un roman. Les débuts du cinéma, qui laissent une grande place à l’improvisation, conçoivent et utilisent le scénario comme un synopsis, comme une brève description de l’intrigue. Depuis 1911 et le développement d’un cinéma plus industrialisé, le scénario voit son importance accrue et se définit dès lors également comme «un texte rédigé préalablement au tournage d’un film (pour le cinéma ou la télévision) et qui en trace le récit (s’il s’agit d’un film de fiction) ou la structure (dans le cas d’un documentaire)»3. Le scénario d’un film de fiction rassemble «les dialogues, la description (toujours au présent) des actions ainsi que quelques indications complémentaires relatives aux personnages, aux costumes, aux décors, aux effets visuels, aux bruits et à la musique»4. Actuellement, le terme scénario désigne donc à la fois l’argument d’un film, c’est-à-dire essentiellement sa structure narrative ou rythmique, et le docu- ment de travail détaillé et développé qui a servi à la fabrication de ce film. C’est Georges Méliès5 qui, le premier, dès 1907, eut recours au scénario et utilisa le mot dans son second sens. Selon Jean-Paul Torok, Méliès, qui préparait minu- tieusement le tournage de chacun de ses films et réglait chaque détail de sa mise en scène en chef d’orchestre, «ne pouvait qu’être le premier à mettre l’accent sur la nécessité et l’importance du scénario, et le premier également à employer ce terme 214 Amélie Vermeesch © Le Seuil | Téléchargé le 31/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.104.36) © Le Seuil | Téléchargé le 31/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.141.104.36) dans le sens de récit destiné à être filmé»6. Cependant, à cette époque, le travail de Méliès restait un cas unique et «la nécessité d’écrire un scénario n’était pas ressen- tie au début du cinéma»7. Des firmes importantes, comme Pathé ou Gaumont, réalisaient des films dont «l’argument tenait à quelques lignes griffonnées sur un bout de papier, canevas informe sur lequel cinéastes et comédiens brodaient libre- ment»8. L’improvisation faisait donc office de loi. Les premiers scénarios au sens second du terme sont véritablement apparus vers 1910 aux Etats-Unis. Cet état de développement du cinéma est intimement lié au passage de film à un seul plan au film à plusieurs plans raccordés grâce au montage. Or, le montage permet au cinéma de quitter «l’esthétique de l’attrac- tion au profit de celle de la narration»9. C’est aussi l’époque où les spectateurs sont en attente de récits construits, où la durée des films s’allonge, où leur coût se fait plus important et où le cinéma devient l’œuvre d’une équipe d’artisans aux techniques diverses. Ainsi, ce sont les envies et la possibilité, grâce au montage, d’un cinéma plus narratif et les nécessités économiques qui ont exigé l’utilisation de scénarios tels que définis aujourd’hui. En effet, le scénario permet d’enrichir les récits cinématographiques et de prévoir le budget de production d’un film avant la réalisation de celui-ci. Il est un outil pouvant être lu par tous, du metteur en scène au preneur de son, en vue d’une réalisation optimale, c’est-à-dire riche sur le plan narratif, efficace et économique, du film. Si la définition «abstraite» du scénario peut sembler claire, la définition «maté- rielle» l’est bien moins. De fait, d’un point de vue technique et concret, il semble qu’il puisse y avoir, en théorie, autant de formes de scénarios qu’il y a de scénarios: En effet, l’on peut se rendre compte au hasard des propositions que tantôt [le terme scénario] signifie sujet, c’est-à-dire l’histoire résumée en quelques phrases situant les lignes de force des intentions, des personnages et des événements; tantôt il signifie l’organisation et l’enchaînement des situations entre elles, la dynamique drama- tique; tantôt, enfin, le script le plus achevé, indiquant le jeu, le décor, les uploads/Litterature/ definition-et-histoire-de-scenario.pdf
Documents similaires










-
36
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 28, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.4026MB