N.º 30 – 6/ 2014 | 121-132 – ISSN 2183-2242 Des topoi de la littérature de voya

N.º 30 – 6/ 2014 | 121-132 – ISSN 2183-2242 Des topoi de la littérature de voyage à son approche parodique1 Maria de Fátima Outeirinho Université de Porto – Instituto de Literatura Comparada Résumé: Christine Montalbetti (Roman et récit de voyage, 2001) souligne que, souvent, “ (…) l’énoncé référentiel mime l’énoncé fictionnel et inversement ” (p. 105). Or, ces constructions textuelles émergent avec une certaine régularité dans des récits érigés autour du voyage et dans les textes de voyage à socle intergénérique. En effet, la littérature de voyage se situe dans un espace générique de frontière ; elle se présente en tant que frictionnal literature, dans les mots heureux d’Ottmar Ette (Literature on the move, 2003). En outre, la littérature de voyage s’érige sur la construction de représentations culturelles, sur des auto et des hétéro-images presque toujours ancrées sur une mémoire et histoire collectives, à appartenance nationale et/ou transnationale, et sur une expérience d’un temps du présent médiatisé par le récit. Ces récits, ancrés sur un déplacement factuel, se construisent sur des enjeux dialogiques de tout ordre : les relations entre cultures, la culture d’appartenance et la culture cible, la réflexion sur l’autre et sur soi-même, le va-et-vient dialogique entre les différents textes qui intègrent la bibliothèque mentale de celui qui écrit et son propre texte, car les textes de voyage ne se posent pas en solitaires, ils se nourrissent d’autres textes, de façon avouable et légitime, vu leur poétique. Il s’agira donc dans notre communication de penser, d’une part, une poétique viatique ayant comme point de départ quelques récits de voyage en Afrique, ceux de Jean Rolin ou de Maurice Genevoix, et, d’autre part, de considérer les apports heuristiques d’une approche parodique de la littérature de voyage par le biais d’Oreille Rouge (2005) d’Éric Chévillard, écrivain de Minuit, ouvrage où la “ tentation de l’Afrique ”, le voyageur occidental, le touriste occidental, l’imagerie de l’Afrique, le personnage de l’écrivain-voyageur, font l’objet d’enjeux parodiques dans ce présumé récit d’un périple africain. 121 Maria de Fátima Outeirinho N.º 30 – 6/ 2014 | 121-132 – ISSN 2183-2242 En 1998, Patrick Holland et Huggan Graham, dans “Travel writing today”, introduction à la publication Tourists with typewriters, signalaient le boom de la littérature de voyage, boom dû, entre autres, à la croissante mobilité du monde contemporain et au rôle entrepreneur de l’industrie du voyage (Holland & Graham 1998: 2), marché du livre et marché touristique inclus. En effet, la présence intense d’un objet textuel qui se construit autour du voyage dont Kristi Siegel nous parle dans Issues in Travel Writing (2002), un voyage d’agrément – par opposition au voyage qui résulte d’un déplacement migratoire, souvent contre le gré du voyageur –, un voyage qui suppose le déplacement vers une autre culture, a été, et est encore de nos jours, bel et bien vulgarisé, voire banalisé. Cet objet textuel, dans la mesure où il accueille des mises en rapport entre la culture d’appartenance du voyageur et la culture d’arrivée dont il fait l’expérience, s’avère être une littérature de médiation (Pageaux 2003: 281-282) et, de la sorte, objet d’étude non négligeable quand il s’agit d’étudier les relations interculturelles, et par la possibilité de réflexion sur la circulation de représentations sur l’étranger, et en tant que lieu fertile dans la construction, perpétuation ou redescription de représentations. De fait, la littérature de voyage s’érige sur des auto et des hétéro-images presque toujours ancrés sur une mémoire et histoire collectives, à appartenance nationale et/ou transnationale, et sur une expérience d’un temps du présent médiatisée par le récit. Ces récits de voyage, issus d’un déplacement factuel, se construisent sur des enjeux dialogiques de toutes sortes: les relations entre cultures, la culture d’appartenance et la culture cible, la réflexion sur l’autre et sur soi, le va-et-vient dialogique entre les différents textes qui intègrent la bibliothèque mentale de celui qui écrit et son propre texte, car les textes de voyage ne se posent pas en solitaires, ils se nourrissent d’autres textes, de façon avouable et légitime, vu leur poétique. Il s’agira donc ici de penser, d’une part, une poétique viatique très répandue par l’entreglose et, d’autre part, de considérer les apports heuristiques d’une approche parodique de la littérature de voyage par le biais d’Oreille Rouge (2005) d’Éric Chevillard, écrivain de Minuit, ouvrage à “tentation de l’Afrique”. Pour ce faire, nous nous attarderons, dans un premier volet, sur trois axes centrales de la littérature de voyage: la centralité 122 Des topoi de la littérature de voyage à son approche parodique N.º 30 – 6/ 2014 | 121-132 – ISSN 2183-2242 partagée d’un je, du récepteur et d’un imaginaire aux auto- et hétéro-représentations abondantes; et, dans un deuxième volet, sur l’approche parodique chez Chevillard. La centralité d’un je La présence d’un je particularisé qui inscrit un filon autobiographique manifesté par un narrateur à la première personne, protagoniste et témoin d’une expérience vécue à partager, surgit comme atout à ne pas négliger. Effectivement, la diversité des textes de voyage découle énormément d’un trait commun et conditionnant du récit: l’équation personnelle du voyageur faite de choix singuliers, ancrés sur une sensibilité artistique, politique ou autre. Le récit de voyage est alors défini par l’assomption d’un je qui se présente en tant que voyageur, légitimant le particularisme de l’observation, du jugement et du rapport personnel face à une dimension d’étranger et qui donne à voir une géographie spécifique du regard et de la curiosité, en développant une fonction de commentaire à l’adresse du lecteur, la présence du destinataire étant un des piliers fondamentaux dans la structuration du récit de voyage. La centralité du récepteur Même si la singularité de chaque voyageur assigne aux textes une empreinte personnelle, une fois lus, ces textes dévoilent entre eux des traits de parenté. De fait, ils se construisent sur des stratégies communes qui misent sur la variété, car la lecture ne peut pas devenir occasion de monotonie, et le récit de voyage s’il offre de l’information, il est aussi l’occasion d’une jouissance ludique. Ainsi le narrateur circule-t-il entre une tonalité grave ou plaisante, le cliché du guide de voyage et le commentaire personnel, la note historique et la note légendaire, l’évènementiel et le fictionnel, à proportions variables, afin de bien séduire le lecteur, lequel est souvent interpellé tout au long du récit; et les marques élocutoires qui parsèment les textes en témoignent de façon exemplaire. De même, au niveau de la production textuelle, une stratégie du partage est aussi révélatrice de la centralité du récepteur. Nous nous référons à toute une pléiade de références culturelles partagées issues d’une bibliothèque et/ou filmothèque mentales que 123 Maria de Fátima Outeirinho N.º 30 – 6/ 2014 | 121-132 – ISSN 2183-2242 n’importe quel voyageur porte en lui, et qui deviennent des ponts de rapprochement complice entre la production et la réception de l’œuvre, misant en outre sur le plaisir de la reconnaissance, signalé par Jean-Claude Berchet, et en invitant le récepteur à être un compagnon de route. Dans la construction du récit, cet ensemble de références, à fonctionnement double, permet de confronter la réalité visitée à un modèle imaginaire. Déjà, le récit de voyage se construit couramment à partir et à travers l’explicitation d’une auctoritas, faite d’un ensemble majoritaire d’auteurs et d’œuvres qui dressent des représentations sur l’autre étranger. Le voyageur emporte toujours un bagage mental fait de mémoires littéraires, servant de filtre à son regard sur l’espace visité. Outre les traces dialogiques explicites que les textes de voyage présentent abondamment, l’exploration d’une expérience et d’un patrimoine culturel communs est donc un des traits constitutifs de la poétique du genre. La centralité des auto- et hétéro-représentations La stratégie du partage est ainsi encore renforcée par tout un imaginaire en processus de revisitation du fait que les récits viatiques sont fertiles pour ce qui est la construction, reproduction et /ou perpétuation d'images sur l'autre étranger, portées sur un imaginaire personnel pourtant fondé sur un imaginaire collectif. L’espace rêvé qui plus est mythifié, en quête duquel le voyageur s’élance, est à tout moment mis en rapport avec celui dont on fait l’expérience. La confrontation permet de rappeler, à nouveau, des images déjà figées sur cet autre étranger et, même si la réalité empirique ne correspond pas aux représentations standard, le processus de perpétuation de cet imaginaire a lieu par l’appel constant à une mémoire collective. De ce fait, s’avère pertinent, pour l’approche des textes de voyage, l’attention vouée à la présence et diffusion de ces images, entendant par image une représentation culturelle soutenue par une relation de tension entre identité et altérité dans le sens développé par Daniel-Henri Pageaux (1989: 135) ou Jean-Marc Moura (1998). En plus, cette présence intense d’images sur l’autre étranger et qui donnent à voir des constructions identitaires relatives au sujet textuel, sont très souvent des stéréotypes, c’est-à-dire, des images 124 Des topoi de la littérature de voyage à son approche parodique N.º 30 – 6/ 2014 | 121-132 – ISSN 2183-2242 essentialistes, transtemporelles, même si anachroniques, inscrites dans une longue durée et impliquant toute un imaginaire culturel. Tel que le uploads/Litterature/ des-topoi-de-la-litterature-de-voyage-a-son-approche-parodique.pdf

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