CHRONIQUE Presses Universitaires de France | Diogène 2004/3 - n° 207 pages 140
CHRONIQUE Presses Universitaires de France | Diogène 2004/3 - n° 207 pages 140 à 173 ISSN 0419-1633 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-diogene-2004-3-page-140.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- « Chronique », Diogène, 2004/3 n° 207, p. 140-173. DOI : 10.3917/dio.207.0140 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. 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CHRONIQUE Le mythe de la Mandragore, la « plante-homme » (dossier et extraits) Aucune plante n’incarne mieux la rencontre entre l’homme et le végétal que la mandragore dont le mythe, écrit Arlette Bouloumié, « a le sens cosmique d’une correspondance profonde entre la nature et l’homme et de leur fusion possible 1 ». Cette plante, déjà connue par les médecins de l’Antiquité et de l’ancienne Chine pour ses vertus narcotiques et anesthésiantes, a la réputation, parmi les magiciens et les sorciers, d’éveiller l’amour grâce à ses qualités aphrodisiaques et de guérir la stérilité des femmes. L’origine est biblique : Lea, femme de Jacob, est guérie de sa stérilité grâce aux vertus de la mandragore (Genèse, XXX : 14). Toutefois, le caractère magique de la mandragore vient principalement de la forme de sa racine qui ressemble vaguement à un corps humain ; elle est dotée de deux « jambes » et ses radicelles rappellent des poils. Cela explique pourquoi parmi les nombreux noms qui lui ont été attribués au cours de l’histoire et dans des régions variées de la planète, tous font généralement référence soit à l’amour soit à sa forme humaine 2. Ici, c’est le caractère « humain » de la plante qui nous intéresse. Les Grecs l’appelaient anthropomorphos ou mandragoras mais l’origine du second terme reste obscure. Dans son Dictionnaire éty- mologique des noms grecs de plante 3, A Carmoy pense que man- dragoras est adapté d’un mot étranger et relève une ressemblance avec son équivalent persan mardum-giyah (plante-homme) 4 qui, à son sens, pourrait être une altération du vieil iranien (avesta) gayo mertân, nom du premier homme. Berthold Laufer pose une question encore plus précise : serait-il possible que le terme sanscrit mandâraka – qui désigne une solanée comme la mandragore – et le terme gréco-latin mandragora(s) soient anciennement apparentés et descendent d’une racine commune 5 ? 1. « Deux thèmes chers au romantisme allemand : la mandragore et la harpe éolienne dans Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier », dans Recherches sur l’imaginaire, Presses de l’université d’Angers, 17, 1987, p. 169. 2. À noter que, dans les Carpathes, où elle est aujourd’hui encore très populaire, la mandragore n’y est connue que pour ses vertus aphrodisiaques alors que partout ailleurs, en Méditerranée, son caractère de plante-homme est dominant ; voir Mircea Eliade, De Zalmoxis à Gengis-Khan. Etudes comparatives sur les religions et le folklore de la Dacie et de l’Europe orientale, Paris, Payot, 1970, chapitre « Le Culte de la mandragore en Roumanie », p. 198-217 ; et surtout, Jean Cuisenier, Mémoire des Carpathes. La Roumanie millénaire : un regard intérieur, Paris, Plon, 2000, chapitre « Détruire ou séduire par la mandragore », p. 479-490. 3. Louvain, Publ. Unies, 1959. 4. Les Persans la connaissent aussi sous le nom de mihr-giyah, plante de l’amour. 5. Berthold LAUFER, « La Mandragore », Toung Pao, 2 e série, Paris, 1917, p. 22- Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.31.141.84 - 23/02/2015 12h46. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.31.141.84 - 23/02/2015 12h46. © Presses Universitaires de France LE MYTHE DE LA MADRAGORE 141 L’hybridation de l’homme et du végétal dans la mandragore est donc un thème ancien qui s’est imposé dans les cultures judéo- chrétienne et musulmane, toutes deux marquées par la civilisation gréco-latine. Les Arabes, en particulier, dont on sait le rôle qu’ils ont joué dans la transmission du savoir grec en Europe médiévale, ont laissé des manuscrits où sont exposés les vertus de la mandragore et même le rituel de sa cueillette. On trouve, par exemple, dans les « Merveilles de la création » (« Ajâ’ib al- makhlûqât ») du géographe persan Zakariya al-Qazvînî (XIII e siècle), une gravure qui montre un homme enturbanné se livrant à l’arrachage de la mandragore, à l’aide d’un chien, ainsi qu’une tradition millénaire le conseille ; les plantes apparaissent sous la forme de buissons montés sur pattes. L’action se situerait dans la vallée du Ferghana, en Asie centrale, aux confins de la Chine 6. Les Persans et les Turcs musulmans ont ainsi transporté la légende de la mandragore à l’intérieur de l’Asie. Nommée « plante-homme » (mardum-giyah) chez les premiers, elle l’est aussi chez les seconds qui ont recours à un composé turco-arabe pour la nommer : adamotu ou insanotu (insan ou adam = homme ; ot = plante). Quant aux turcophones de Chine, les Ouïgours, ils ont forgé un composé arabo-persan pour la qualifier : adäm-giyah (adäm = homme ; giyah = plante). Aucun de ces deux peuples n’ignore les traditions magiques qui concernent cette plante et ils partagent, avec les chrétiens, le savoir grec à son égard. Ce savoir grec n’était pas, du reste, inconnu des Chinois qui, dès le XIII e siècle, l’avaient lu chez les musulmans, et qui ont repris le nom arabe de la plante, yabrûh, sous la forme ya-pu-lu 7, sans cependant confondre celle-ci avec leur célèbre ginseng. Selon les légendes et les traditions cultivées dans les cam- pagnes, qui n’ont cessé par ailleurs de s’enrichir au cours des siècles, la mandragore n’a pas que l’aspect humain : elle peut aussi gémir, crier, sangloter, parler et chanter. Les magiciens et les sorciers savaient même parfaire sa forme humaine et lui donner l’apparence d’un « petit homme » (homunculus). La littérature et le romantisme principalement (Théophile Gauthier, Ludwig Tieck, E.T.A. Hoffmann, Achim von Arnim, Charles Nodier) ont trouvé dans cette plante un thème littéraire exceptionnel qui les a conduit à s’interroger sur les liens de l’homme avec la nature. Plus proche de nous, Michel Tournier, dans son Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967), fait de la mandragore une étape du processus de déshumanisation de son Robinson qui le rapproche du règne ________________________ 30. 6. On ne possède que des copies de cet ouvrage dont l’une, datée du XVII e siècle et en traduction turque, est conservée à la Bibliothèque Nationale de France, Département des manuscrits orientaux, Supplément turc n° 1063, f. 17 v. 7. B. LAUFER, « La Mandragore », art. cit., p. 1-30. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.31.141.84 - 23/02/2015 12h46. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 79.31.141.84 - 23/02/2015 12h46. © Presses Universitaires de France CHRONIQUE 142 végétal 8. Et, très récemment, le cinéma a contribué au réveil du mythe de la plante-homme en montrant les apprentis sorciers du film Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, en train de s’initier à l’arrachage des mandragores et à apprendre comment se protéger de leurs cris meurtriers. Le mythe de l’homme-végétal que l’on avait oublié fait-il surface sous des formes nouvelles ? Les extraits de textes rassemblés ci-dessous sont classés en trois rubriques 9 : 1. des documents anciens où sont mêlés, à des degrés variés, le légendaire et le scientifique ; 2. des études scienti- fiques contemporaines ; 3. des textes littéraires 10. Les textes des deux premières rubriques apportent des éléments pour une généalogie du mythe de la mandragore comme plante-homme (on a rejeté les textes qui abordent ses seules vertus médicinales ou son caractère magique en relation avec l’amour). Quant aux textes littéraires, ils nous montrent la fascination exercée par la plante et son mythe sur les écrivains, et comment ces derniers en ont écrit le « roman » et philosophé, à leur manière, sur la relation homme- végétal. Thierry ZARCONE. Sources FLAVIUS JOSEPH, Les Guerres des Juifs [78 de l’ère chrétienne ], 8. A. BOULOUMIÉ, « Deux thèmes chers au romantisme allemand : la mandragore et la harpe éolienne dans Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier », art. cit., p. 169. 9. Je tiens à remercier ici les personnes qui m’ont aidé à constituer ce dossier : Arlette Bouloumié, Ali Haydar Bayat, Jean-Pierre Brach, Francis Laget, Alexandre Papas et Fayadas Steeve. 10. Seules quelques notes de bas de page des uploads/Litterature/ dio-207-0140vc.pdf
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- Publié le Sep 25, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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