LA NOUVELLE CONCEPTION DE L'HOMME. LA CONSTRUCTION DE L'ÊTRE HUMAIN Peter Weibe

LA NOUVELLE CONCEPTION DE L'HOMME. LA CONSTRUCTION DE L'ÊTRE HUMAIN Peter Weibel et al. Vrin | Le Philosophoire 2004/2 - n° 23 pages 32 à 55 ISSN 1283-7091 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2004-2-page-32.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Weibel Peter et al., « La nouvelle conception de l'homme. La construction de l'être humain », Le Philosophoire, 2004/2 n° 23, p. 32-55. DOI : 10.3917/phoir.023.0032 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Vrin. © Vrin. 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Discussion entre Peter Weibel, Peter Sloterdijk, Alain Finkielkraut et Michel Houellebecq n événement organisé le 3 mai 2000 par le Zentrum für Kunst und Medientechnologie (ZKM) en collaboration avec le Centre Culturel Français de Karlsruhe, avec le soutien d®ARTE et de l®Ambassade de France en Allemagne. Enregistré par Monsieur Robert Walter, directeur du Centre Culturel Français de Karlsruhe, et publié avec son aimable autorisation. Peter Weibel : Dans le cadre de l®exposition Der anagraphische Körper (Le corps anagraphique) qui a lieu au ZKM de Karlsruhe, nous nous sommes réunis pour une discussion autour du sujet : « La nouvelle conception de †®homme, la construction de l®être humain ». Nous avons réuni quatre spécialistes représentant quatre pensées différentes. En guise d®introduction, je vais présenter quelques réflexions en tant qu®historien d®art. Messieurs Finkielkraut, Houellebecq et Sloterdjik aborderont le sujet d®un point de vue philosophique. En effet, cette reconfiguration (Umbau) de la conception de †®homme touche aux fondements de l®Occident, c®est-à-dire à l®humanisme. Ce Œ®est pas pour rien que le livre de Monsieur Finkielkraut est intitulé ®humanité perdue. Et le célèbre discours de Elnau de Monsieur Sloterdjik n®a pas fait scandale sans raison. Nous allons essayer d®analyser cette reconstruction du corps. ®histoire de l®art l®a perçue comme un théâtre de l®anatomie comme le montrent, par exemple, les tableaux de Rembrandt. Or, au 20 è m e siècle, l®art Œ®entend plus le corps comme un théâtre de l®anatomie, mais comme l®histoire Y®un corps morcelé. La sécession a commencé lorsque les artistes des années vingt et des années trente se sont rendus compte que la technique photographique permettait d®isoler des parties du corps, de le découper en morceaux. On s®est alors aperçu que le corps était un texte, que l®on pouvait lire l®écriture du corps, voire que l®on pouvait lire le corps comme un texte. Le corps se compose d®une séquence de lettres classées selon une grammaire naturelle, la grammaire de l®évolution. La photographie des années vingt et trente (ainsi que ses précurseurs du 19 è m e siècle), le photocollage et le U Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Corse - - 90.8.136.70 - 15/08/2014 13h05. © Vrin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Corse - - 90.8.136.70 - 15/08/2014 13h05. © Vrin La nouvelle conception de l’homme 33 photomontage, montrent que l®on peut lire le corps non seulement comme un script de la nature, mais encore que l®on peut le réécrire. Il est possible de recombiner le corps. Ce que font les enzymes dans la chimie et plus exactement dans l®immunologie. Par le découpage du code génétique, ces enzymes sont l®analogue, dans le photocollage, des ciseaux. On découpe des parties et on les arrange autrement. Cela signifie que ce procédé du séquençage, que nous pratiquons aujourd®hui au moyen des manipulations génétiques, est métaphoriquement parlant, une écriture génétique, comme une suite de lettres que nous pouvons interchanger ou raccourcir. Ce procédé du découpage du corps a été préfiguré dans la photographie artistique. Les influences de la photographie se retrouvent aussi clairement dans la peinture. La photographie et les autres médias, de la vidéo à l®ordinateur, ont réécrit le corps en remplaçant l®ordre naturel, tel que l®évolution l®avait prévu, par un ordre artificiel, c®est-à-dire non selon un ordre grammatique, mais anagrammatique. Les hommes ont vu que le script naturel du corps ne suffit pas et ils ont éprouvé le besoin de changer cet ordre et d®élargir l®alphabet du corps. Que ce soit par des implants siliconés, des injections de collagènes dans les côtes, par des implants métalliques dans les pieds ou par un stimulateur cardiaque. En ce sens, il est très important que le philosophe Sloterdjik ait attiré l®attention sur ces nouvelles règles, car celles-ci existent apparemment autour de nous d®une façon plus ou moins positive. Pour être clair, nous sommes amenés à observer d®un point de vue critique cette réécriture du corps, re-création du corps, amélioration du corps, comme une suite des deux étapes antérieures : la lecture de l®écriture du corps puis la réécriture de l®écriture corporelle par la main humaine. Nous avons découvert que le corps est un programme qui sait se réécrire lui-même. Cependant, pour cette réécriture, il manque des règles, car les règles que †®évolution nous a dictées ne sont plus en vigueur. Il est devenu possible, par †®élargissement de l®alphabet corporel, de quitter le corps comme un lieu de la nature et de le transformer en un locus technicus. Beaucoup d®entre nous assimilent cette transformation du corps naturel en un corps techniquement construit à la perte de l®humanité, car ils partent du raisonnement que le corps humain est le corps naturel. Je suis d®avis qu®il s®agit d®une illusion, je ne pense pas que cela signifie la perte de l®humanité mais au contraire que †®humanité est conquise seulement lorsque le corps commence à réécrire son propre programme. Ceci est une des thèses que je souhaite discuter ici. A l®âge de la constructibilité du corps par la médecine, et spécifiquement par la médecine moléculaire, mais aussi à l®âge de la constructibilité médiatique du corps, on peut parler d®une refiguration corporelle, c®est-à-dire d®un nouvel ordre corporel, une transfiguration, une réécriture corporelle. Le lien est évident entre la médecine moléculaire, comme une sous-partie du génie génétique du corps, et la construction médiatique. Nous observons depuis une centaine d®années, depuis Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Corse - - 90.8.136.70 - 15/08/2014 13h05. © Vrin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Corse - - 90.8.136.70 - 15/08/2014 13h05. © Vrin L’Humain 34 †®apparition de la photographie, puis de la télévision et du cinéma, etc., que les médias fournissent des images du corps à partir desquelles la plupart des êtres humains construisent leur corps. Chaque organe, les cils, les lèvres, les seins, les fesses ont donné naissance à une industrie lourde en milliards, une industrie d®images qui prescrit et ordonne, dans une sorte de terreur esthétique, ce que doit être le corps. Combien de jeunes gens se livrent à Y®horrifiants procédés pour ressembler à leurs idoles, qu®ils connaissent par les images des médias ? Heidegger a écrit en 1950 : « Une caractéristique des temps modernes est la conquête du monde comme image ». Ceci vaut d®autant plus pour le corps humain. La conquête du monde comme imageh Les médias conçoivent une image du corps, dans laquelle les gens souhaitent se retrouver. La métaphore du locus technicus, la métaphore du corps comme une anagramme va de la médecine moléculaire jusqu®aux médias, et je pense que l®art du 20 è m e siècle rend visible cette réécriture du script. Peter Sloterdijk : Je souhaite en premier lieu présenter quelques remarques « absurdiques » pour situer idéologiquement les discussions actuelles sur la condition humaine dans les expériences de notre siècle. Il s®avère très utile de prendre comme point de départ la métaphore du Umbau, citée par Peter Weibel. Cette métaphore semble très appropriée, mais également très problématique, compte tenu de ce qui se passe actuellement avec Homo Sapiens. La signification principale du terme Umbau, utilisé ici comme une métaphore architecturale, est que l®on reconstruit les parties en surface d®un bâtiment à partir de bases solides. Nous devrions maintenant nous mettre d®accord sur un terme hétérodoxe qui soit suffisamment complet pour saisir non seulement †®échafaudage et le bâtiment, mais également les fondements. Je veux parler Y®un procédé de révision avec des conséquences architecturales, qui provoquerait des révisions dans les parties fondamentales du bâtiment. Pour changer de métaphore, Homo Sapiens se voit aujourd®hui confronté à la problématique qui est née avec la création d®une institution formelle, la philosophie, il y a deux mille cinq cents ans, et qui, depuis, est en vigueur pour certaines cultures du monde. Il s®agit de la problématique que uploads/Litterature/ phoir-023-0032.pdf

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