Proceedings Chapter Reference La négation comme expression procédurale MOESCHLE
Proceedings Chapter Reference La négation comme expression procédurale MOESCHLER, Jacques MOESCHLER, Jacques. La négation comme expression procédurale. In: Forget, D. ; Hirschbühler, P. ; Martineau, F. & Rivero, M.-L. Negation and polarity. Amsterdam : Benjamins, 1997. p. 231-249 Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:110418 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. La négation comme expression procédurale Jacques Moeschler Département de linguistique générale et de linguistique française Université de Genève 1. Négations métalinguistiques Depuis les travaux de Ducrot et de Horn sur la négation (cf. Ducrot 1972, 1973, 1984 et Horn 1985 et 1989), un type d’emplois de la négation particulier du point de vue pragmatique a fait l’objet de nombreuses discussions, les emplois dits métalinguistiques. Ces emplois sont opposés, chez Horn, aux emplois descriptifs, et chez Ducrot aux emplois polémiques et descriptifs. Si Horn et Ducrot utilisent les mêmes labels, leur conception de la négation est cependant très différente. Schématiquement, Ducrot parle de négation descriptive, de négation polémique et de négation métalinguistique, alors que Horn parle d’emplois descriptifs et d’emplois métalinguistiques de la négation. De plus, Horn situe ses travaux dans le cadre d’une conception de la pragmatique qui accepte une sémantique vériconditionnelle, alors que Ducrot rejette toute légitimité d’une sémantique vériconditionnelle (cf. notamment Ducrot 1989). La difficulté liée à la notion de négation métalinguistique, respectivement d’usage métalinguistique de la négation, tient, comme l’a très bien montré récemment Robyn Carston (1994 et 19961), à ce que sous cette étiquette ont été regroupés au moins deux types de phénomènes qui ne sont pas du même ordre. (i) Tout d’abord les vrais faits de négation métalinguistique, qui porte sur une énonciation, à savoir les faits d’usage échoïque de la négation : (1) a. On ne dit pas des concertos, mais des concerti. b. Je n’ai pas coupé le viande, mais la viande. Ici, la négation est échoïque en ce que son domaine est constitué d’une énonciation ou d’un fragment d’énonciation; les corrections sur la morphologie, la phonétique en sont les exemples classiques. 1 Dans cet article, je renvoie explicitement au manuscrit de 1994, plus détaillé sur certains points que l’article de 1996. Ce faisant, je ne rends pas entièrement justice à l’auteur (je m’en excuse !), qui a apporté des retouches à sa première version. Les erreurs qui découleraient sont évidemment miennes. (ii) En second lieu, les faits de négation externe, dans lesquels la négation ne nie pas le contenu posé (ou l’assertion), mais le contenu présupposé (la présupposition), comme dans (2) : (2) a. Le roi de France n’est pas sage, puisqu’il n’y a pas de roi de France. b. Je n’ai pas cessé de fumer, puisque je n’ai jamais fumé. (iii) Par extension, et en raison d’un traitement commun des présuppositions et des implicatures conversationnelles, à ces exemples de négation présuppositionnelle ont été ajoutés des exemples où la négation métalinguistique (cf. (3a)) porte sur une implicature conversationnelle généralisée, comme une implicature quantitative ou scalaire (donnée en (3b)) : (3) a. Anne n’a pas trois enfants, mais quatre. b. Anne a exactement trois enfants. (iv) On peut ajouter sous cette rubrique deux ordres de faits, illustrés respectivement par (4) et (5), qui correspondent à des emplois majorants de la négation (cf. le contraste entre (4) et (6)) et des emplois performatifs qui s’opposent aux emplois propositionnels de la négation (cf. le contraste entre (5) et (7)) : (4) Max n’est pas grand, mais immense. (5) Je ne te demande pas de venir, je te le conseille seulement. (6) Max n’est pas grand, mais petit. (7) Je te demande de ne pas venir. Ces cinq cas de figure (négation échoïque, négation présuppositionnelle, négation d’une implicature quantitative, négation majorante et négation performative), si elles sont été regroupées dans une même catégorie d’emplois métalinguistiques, n’en ont pas pour autant des caractéristiques différentes, dont voici les plus importantes. 1. Seuls les cas de négation présuppositionnelle contiennent un enchaînement de justification; dans les autres cas, l’enchaînement est correctif ou rectificatifs. Cela a une conséquence sur la structure sémantique des phrases avec négation métalinguistique (cf. (8) et (9)) : les première contiennent un connecteur comme puisque ou parce que, alors que les secondes sont marquées par un connecteur comme mais (plus précisément maisSN, à savoir le mais non argumentatif) : (8) non-P, puisque/parce que P’ (9) non-P, mais P’ 2. Seuls les cas de négation présuppositionnelle contiennent un enchaînement négatif; cette propriété doit cependant être nuancée par le fait que le caractère négatif de la justification tient à la polarité de la présupposition : avec un verbe implicatif positif nié (comme continuer), la justification est négative, mais avec un verbe implicatif négatif nié (comme commencer), la justification est positive : (10) Je ne continue pas de fumer, puisque je n’ai jamais fumé. (11) Je n’ai pas commencé de fumer, puisque j’ai toujours fumé. Selon le type de verbe, P’ s'interprète donc comme non-Q ou Q, suivant que Q et non-Q sont respectivement présupposés par le verbe de la phrase matrice. 3. Seuls les cas de négation présuppositionnelle sont des cas dans lesquels il y a contradiction entre P et P’ : il est en effet contradictoire d’affirmer à la fois que le roi de France est sage et qu’il n’y a pas de roi de France, alors qu’il n’y a pas de contradiction a affirmer que Anne a trois enfants alors qu’elle en a quatre, ou de dire de Max qu’il est grand alors qu’il est immense. 4. Dans les cas de négation majorante et de négation d’implicature quantitative, il y a une relation implicative entre P et P’ : P’ implique P, alors que dans les cas d’emploi ordinaire de la négation (son emploi abaissant, donné en (6)), la relation implicative est inverse : (12) P’ → P (négation majorante et négation d’implicature quantitative) (13) P’ → non-P (négation abaissante) Certains exemples sont encore plus libéraux, dans la mesure ou l’implication va dans les deux sens : (14) Je ne suis pas son fils, il est mon père. (15) (P → P’) et (P’ → P) 5. La négation performative se comporte de manière assez étrange; elle peut donner lieu à un enchaînement qui modifie la force illocutionnaire (en plus ou en moins), ou à un enchaînement qui ne modifie que le contenu propositionnel (on est dans ce cas dans la situation de montée de la négation) : (16) a. Je ne te demande pas de venir, je te l’ordonne/le conseille. b. Je ne te demande pas de venir, je te demande de rester où tu es. En ce sens, la présence de la négation dans la phrase performative n’est pas une condition suffisante pour déclencher une lecture externe (i.e. performative) de la négation. Toutes ces observations, et d’autres que Robyn Carston (1994 et 1996) a listées, montrent que la catégorie de la négation métalinguistique est une catégorie hybride, qui ne peut en aucun cas se réduire aux faits traditionnels de négation présuppositionnelle ou de négation externe, qui semble porter sur des question de vériconditionnalité. Comment dès lors décrire ces phénomènes ? Appartiennent-ils à des catégories sémantiques ou pragmatiques différentes ? Pourquoi les a-t-on considérés comme relevant d’une même et seule famille ? C’est à répondre à des différentes questions (de portée et d’importance différentes) qu’est consacré cet article. 2. Négation, vériconditionnalité et assertabilité L’intérêt pour les faits de négation métalinguistique est, selon moi, lié au débat sur la vériconditionnalité. Ce débat porte essentiellement sur le statut des phrases dont la présupposition d’existence est fausse. Les deux options classiques, russellienne d’une part et strawsonienne d’autre part, ont consisté à considérer qu’une phrase dont la présupposition d’existence est fausse, est respectivement fausse et ni vraie ni fausse. Pour l’étude de la négation, c’est la lecture russellienne qui a été la plus intéressante, car elle a permis d’expliciter la portée large et la portée étroite d’une phrase négative comme (17) : (17) Le roi de France n’est pas sage. (18) Lecture de portée large (wide scope) ¬(∃x (Roi(x) ∧ ∀y (Roi (y) → y=x) ∧ Sage(x))) (19) Lecture de portée étroite (narrow scope) ∃x (Roi(x) ∧ ∀y (Roi (y) → y=x) ∧ ¬(Sage(x))) Les faits de négation métalinguistique se sont donc, d’une certain manière, réduits à la question de l’annulation des présuppositions, ce qui a eu pour effet de réduire son domaine à celui de la vériconditionnalité. Cela était-il justifié ? Si l’on prend au sérieux la distinction entre usage descriptif et usage métalinguistique, telle que l’a proposée Horn (1985), cela ne semble pas être le cas. En effet, la distinction entre usage descriptif et usage métalinguistique suppose une distinction entre un opérateur vériconditionnel (négation descriptive), qui a pour argument une proposition P et pour valeur la proposition non-P, et un opérateur métalinguistique, que Horn paraphrase par “j’objecte que U”, où U est un énoncé et non une proposition. Dans ce cas de figure, l’emploi métalinguistique de la négation n’est plus un cas de négation externe, et ne reçoit plus de traitement vériconditionnel. Si en effet l’argument de l’opérateur métalinguistique est un énoncé, et non une proposition, uploads/Litterature/ dire-et-contredire-pragmatique-de-la-negation-et-acte-de-refutation-dans-la-conversation.pdf
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- Publié le Jul 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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