Le philosophe Alain parle de l'amour comme d'une folie particulière dans les ro

Le philosophe Alain parle de l'amour comme d'une folie particulière dans les romans de Stendhal: "Cette folie est volontaire, je dirais même héroïque et merveilleusement heureuse. Le fatalisme est donc nié ici de toutes les façons." Cette définition vous semble-t-elle convenir aux passions vécues par les héros de La Chartreuse de Parme? La Chartreuse de Parme est un roman de la passion. Dès l’« Avertissement » qui précède la narration, Stendhal se justifie devant le lecteur d’avoir à lui présenter des caractères entiers, sincères et passionnés, tels qu’on en trouve en Italie et tel que, à son grand regret, ils n’existent guère plus en France. Cette entrée en matière en forme de provocation vis-à-vis de ses concitoyens, cache sous l’artifice d’une classification morale des nations, un vrai problème de mœurs dont Stendhal est bien conscient : son roman présente au lecteur des amours qui peuvent paraître insensées et dont certaines mènent au crime. Lorsqu’Alain expose, presque cent ans plus tard, son opinion sur l’amour chez Stendhal, il insiste sur la positivité du sentiment, son opinion dût-elle revêtir l’apparence d’un paradoxe : « Cette folie est volontaire, je dirais même héroïque et merveilleusement heureuse. Le fatalisme est donc nié ici de toutes les façons. » Le paradoxe est souligné d’abord par l’expression, en forme d’oxymore : « folie volontaire ». L’amour fou, les amours folles, que nous dépeint Stendhal le sont, pour Alain, beaucoup moins qu’elles n’en ont l’air. Lorsque le comte Mosca rencontre la comtesse Pietranera à Milan, il est pris d’une telle passion qu’il décide de faire le siège de sa loge à la Scala. Stendhal présente ainsi son attitude : « Le comte se donnait d’excellentes raisons pour être fou [...] » On comprend que c’est à partir de telles notations qu’Alain a pu construire sa vision de l’amour chez Stendhal. L’amour fou, l’amour-passion, Stendhal l’a lui-même décrit dans son essai De l’Amour publié en 1822. Il l’y présente en effet comme un étrange mélange de mécanique psychologique et de liberté. L’amour naît certes du regard porté sur un être désiré, mais il naît aussi de l’espérance que l’on conçoit de le posséder et cette dernière n’a rien d’automatique. Nul ne songera à tomber amoureux d’une reine entièrement inaccessible. L’espérance, telle que la conçoit Stendhal, semble donc, en partie, pouvoir se contrôler. Est-ce là ce qui rend ces amours héroïques aux yeux d’Alain ? Sans doute puisque l’héroïsme, depuis qu’il s’est fait jour dans les épopées homériques, naît des actions extraordinaires qu’un homme peut accomplir lorsqu’il maîtrise ses passions. La négation du fatalisme en est la conséquence inévitable car ce dernier supposerait un abandon aux forces du destin. Si les personnages sont représentés comme libres, si leur volonté ne se relâche jamais, il ne saurait y avoir de fatalisme. Le bonheur qu’Alain associe à l’amour présente donc une forme très particulière, soulignée par l’adverbe « merveilleusement » : c’est un bonheur dont serait digne le sage stoïcien, fruit de la volonté et résultat même de son exercice, un bonheur qui, si l’on en juge par la série de déconvenues que rencontrent tous les personnages du roman, n’aurait rien à voir avec les circonstances extérieures. Or, c’est sans doute là que l’opinion d’Alain peut nous sembler réductrice. Le problème n’est pas tant dans la série de morts, d’emprisonnements, de jalousies dont Stendhal assombrit les amours de son roman car ces événements, ces sentiments, pourraient très bien être négligés par une volonté maîtresse, mais dans le fait que l’amour central du roman, celui de Fabrice et de Clélia, semble le fruit d’un relâchement de la volonté, souligné par les circonstances de sa naissance dans la citadelle de Parme. Les amours les plus volontaires de Fabrice sont celles qui précèdent son enfermement. Dès lors, les bonheurs de l’amour, que Stendhal semble en effet placer au-dessus de tout, ne seraient pas uniquement le fruit de la volonté. Dans ce cas, qu’est-ce qui les fait naître ? Faut-il réhabiliter le rôle du destin, auxquels Fabrice comme Clélia font fréquemment référence ? Et quels seraient la forme et le nom d’un tel destin ? Pour répondre à ces questions, nous analyserons dans un premier temps les différentes formes de l’amour présentées dans La Chartreuse de Parme et le rapport que chacune d’elles entretient avec le bonheur et la liberté, puis nous montrerons qu’il est un moment crucial qui, contrairement à ce qu’Alain semble sous-entendre, échappe toujours à la volonté des personnages : celui du choix premier, de la naissance de l’amour et que ce moment a une influence fondamentale sur le reste de leur existence. Enfin, nous nous demanderons si, malgré un volontarisme inhérent à la personnalité de Stendhal que l’on retrouve dans ses personnages, il n’existe pas chez lui une forme de fatalisme qui le conduit à situer la liberté, et le bonheur ailleurs que dans l’âpre réalité. Il n’est quasiment aucun personnage de la Chartreuse de Parme qui soit exempt de sentiments amoureux. L’amour est la passion reine. On peut même dire que l’amour est une pierre de touche du caractère : seuls les caractères élevés sont capables de grands amours. C’est pourquoi nous pouvons aborder à la frontière de notre étude toute une série de sentiments amoureux qui nous permettront, par contraste, de comprendre quelle est la nature du véritable amour, celui qu’Alain désigne dans sa réflexion. Ces amours de second ordre et qui ne méritent aucune admiration, Stendhal, dans son De l’Amour, les a nommées « amours-goûts ». Ceux-ci peuvent être forts, peuvent entraîner les personnes à diverses folies ; ils n’en restent pas moins le fruit de simples caprices du désir exacerbé. Ils ne fournissent qu’un bonheur superficiel, passager. Mais suivant la nature du caractère, certaines personnes ne sont guère capables d’atteindre un bonheur plus élevé. C’est sous cette forme que Stendhal a conçu les amours des deux princes de Parme, et de la plupart des personnes qui composent la cour. Ce sont des amours qui naissent avant tout de la vanité. Ranuce-Ernest IV a une amante, la Balbi, à laquelle il se sent si faiblement lié qu’il serait prêt à l’échanger à la première occasion contre la duchesse Sanseverina si seulement celle-ci voulait bien répondre à ses avances. Les refus de la duchesse ne rendent pas le prince réellement malheureux, d’autant qu’il serait bien embarrassé de devoir envoyer son premier ministre à la citadelle, mais il ne cesse de répéter à la duchesse qu’il ne tient qu’à elle de donner à leur amitié un autre nom. C’est là le genre d’amour qui lie la plupart des personnages de la cour. C’est ainsi que l’on retrouve le comte Baldi, l’amant en titre de la marquise Raversi, parmi les premiers prétendants de la duchesse Sanseverina lorsque le bruit de sa rupture avec le comte s’est répandu. Le nom de ce personnage mineur montre bien qu’il ne s’agit que d’un double masculin de la Balbi. Ce type d’amour, c’est celui-là même qui lia la Sanseverina, alors comtesse Pietranera, au comte N… ou à Limercati : amour purement social, de convenance, de vanité ; amour choisi bien sûr mais qui fait bien peu pour le bonheur. On pourrait croire que le jeune Ranuce-Ernest V, lorsqu’il s’éprend de la Sanseverina, ressent un amour plus profond. Stendhal nous présente avec force détails les folies qu’il commet pour la duchesse, se livrant sur scène comme un enfant, descendant au-dessous de sa dignité de prince. Il va jusqu’à lui offrir son royaume. Il n’en reste pas moins qu’il extorque de la duchesse une promesse d’intimité et qu’il impose à la pauvre femme de s’y tenir, malgré le dégoût évident de celle-ci. Il obtient sa nuit d’amour, mais c’est au prix de ne plus jamais revoir la duchesse dans ses états. Qu’est-ce qu’un amour qui échange une nuit de plaisir contre une éternité d’absence ? Rien de plus qu’un caprice, et Stendhal veut nous faire voir que les gens de la cour, par la bassesse qui leur est coutumière, ne sont guère capables d’un bonheur plus élevé. Fabrice, dans toute la première partie du roman, ne connaît guère que ce type d’amour malgré toute la volonté qu’il met dans les relations qu’il se choisit. Ses liaisons avec la petite Marietta, puis avec la Fausta, qui nous sont décrites précisément donnent lieu à des folies qui mettent Fabrice en grand danger. Fabrice se moque de la rivalité de Giletti, ce qui le conduira à commettre un meurtre involontaire, pour une petite actrice qu’il laissera sans remords lorsqu’il découvrira une actrice et chanteuse célèbre, la Fausta, dont, à son tour il se croit amoureux tant il souhaite l’être. Pour cette dernière, il entre dans Parme, alors qu’il y est activement recherché, il s’expose à la vengeance du comte M…, mais il n’a pas encore obtenu les faveurs de la Fausta qu’il se rend déjà compte qu’elle l’ennuie et qu’il lui préfère sa servante Bettina. Cette valse des amantes n’est là que pour illustrer la légèreté, la superficialité des passions de Fabrice. Elles lui fournissent un bonheur à l’image d’elles-mêmes uploads/Litterature/ dissertation-stendhal 1 .pdf

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