Un regard éloigné : Montesquieu, Les Lettres persanes Exemple de sujet de disse
Un regard éloigné : Montesquieu, Les Lettres persanes Exemple de sujet de dissertation D’après votre lecture des Lettres persanes et des autres textes du parcours, en quoi la mise en jeu d’un regard éloigné permet-elle le retour sur soi ? Proposition d’introduction Au XVIIIème siècle, Rousseau, dans le Discours sur l’origine de l’inégalité, s’interroge sur les sociétés qu’il appelle « sauvages » : celles-ci fournissent au philosophe un modèle non pas à imiter mais à méditer, qui permet par contraste de réfléchir sur la corruption morale de la société occidentale. Il semble en effet que la réflexion sur soi, depuis la Renaissance, emploie volontiers le détour de l’autre pour s’élaborer. Ainsi, en quoi la mise en jeu d’un regard éloigné, notamment dans Les Lettres persanes de Montesquieu, permet-elle le retour sur soi ? Si les deux termes, l’adjectif « éloigné » et le pronom « soi », semblent entretenir un rapport antithétique, l’éloignement peut précisément permettre au sujet de s’appréhender comme objet d’étude. Le « regard » porté sur soi ne serait ainsi plus frappé d’aveuglement ou d’illusion, mais deviendrait, par une juste mise à distance, l’accès à une forme de lucidité et de connaissance. Mais il faut encore préciser qui regarde, et qui est observé : le regard peut être celui de l’écrivain, qui assume alors la posture du moraliste ; mais aussi celui du personnage de fiction, utilisé comme support mais privé de l’autorité de l’écrivain. Enfin, c’est aussi le regard du lecteur qui est en jeu : amené à se contempler à distance par le moyen de l’œuvre littéraire, il serait invité à porter sur lui-même et sur son environnement un regard autre. La question est alors celle du retour sur soi : loin d’un « retour » à l’identique, ce qui semble impliqué est une éducation du lecteur, dont le regard aurait évolué grâce à l’enseignement oblique transmis par la littérature. Cependant, le verbe « permettre » indique qu’il ne s’agit que d’une possibilité offerte au lecteur, et sous-entend peut-être la difficulté pour celui-ci d’opérer ce « retour sur soi » lucide, en pleine conscience. Cette recherche d’un regard à bonne distance semble au cœur des Lettres persanes de Montesquieu, où le regard éloigné prend plusieurs formes. L’éloignement est d’abord spatial et culturel : il s’agit de celui du regard perse, celui d’Usbek et Rica, qui relatent leur voyage fictif en Europe à leurs correspondants. En outre, l’éloignement est lié à la dimension fictionnelle du texte : les lecteurs sont amenés à suivre plusieurs fils d’intrigue dans ce roman polyphonique, notamment l’histoire des femmes d’Usbek, restées au sérail, et de leur révolte. Tout en même temps, l’éloignement, à un autre niveau, est celui d’un regard critique porté par Montesquieu sur les réalités françaises et européennes du XVIIIème siècle : il s’agit de mieux voir la société contemporaine, et d’en proposer au lecteur une vision critique, non dépourvue d’ironie. L’éloignement est donc ici celui de la mise à distance. Ainsi, en quoi le décentrement du regard, dans un texte qui multiplie les points de vue dans une perspective critique, permet-il la représentation de la société française tout en dessillant les yeux du lecteur ? Nous montrerons que le regard persan convie un effet de distanciation qui permet au lecteur, par un jeu de reflets, de se voir comme un autre. Puis, la multiplicité des points de vue, dans le cadre d’un roman épistolaire, sera interprétée comme la possibilité d’un regard critique, dans une perspective satirique. I/ Le regard persan : distanciation et jeux de reflets Dans Les Lettres persanes, le regard persan permet un double mouvement : si les réalités françaises contemporaines sont mises à distance, elles sont aussi perçues différemment, à la faveur d’un jeu de reflets. A) Se voir soi-même comme un autre : le regard éloigné ou l'effet d'étrangeté De fait, le regard éloigné, par la fiction et par le décentrement spatial et culturel, produit d’abord un effet d’étrangeté. 1- L’éloignement par la fiction L’utilisation de la fiction pour porter un regard oblique sur la condition humaine et sur les réalités contemporaines est un procédé fréquent dans la littérature qui poursuit une visée morale ou philosophique. En effet, au XVIIème siècle, la Fontaine recourt souvent à la fable animalière, héritée d’Ésope ou de Phèdre, pour proposer “un tableau où chacun de nous se trouve dépeint”, comme il l’énonce dans la Préface. Le cas particulier des apologues jumeaux “Le Loup, la Chèvre et le Chevreau – Le Loup, la Mère et l’Enfant” (livre IV, fables 15-16) est révélateur : la double fable entraîne le lecteur à la méditation par le recours à la fiction. De fait, dans la fable animalière, l’amour maternel est entièrement positif, tandis que dans le second apologue, consacré à la société des hommes, il est entier mais empreint de violence, et la fin du loup apparaît cruelle. Les animaux paraissent alors plus humains que les hommes, l’apologue dévoilant en ceux-ci une sauvagerie latente. Ainsi, dans les Fables comme dans les Lettres persanes, l’utilisation de la fiction - celle du roman épistolaire ou celle de la fable animalière - permet un autre regard, distancié, sur la condition humaine, tout en présentant un récit plaisant au lecteur. 2- L’éloignement par le décentrement Starobinski, dans le chapitre « Exil, satire, tyrannie » de Le Remède dans le mal, montre que donner la parole à des observateurs étrangers, issus d'une culture lointaine, permet de renouveler le regard. Ainsi, la surprise, l’incompréhension, l’admiration ou l’indignation des Persans permettent de montrer par le truchement d’un regard neuf, parce qu’il est éloigné sur le plan spatial et culturel, ce qui nous semble tellement normal, évident, que nous ne le voyons plus. En d’autres termes, il s’agit de dissiper les effets anesthésiants de l'habitude qui nous empêche de percevoir notre asservissement aux coutumes et croyances, aux normes sociales, aux systèmes de domination, tellement intériorisés que nous ne les percevons plus. L’éloignement du regard, au sens de décentrement, permet donc de faire apparaître comme tels les codes et artifices qui régissent notre société : des conventions contingentes, historiques, qui ne vont pas de soi, et qui pourraient être différentes. On peut prendre l’exemple célèbre de la mode, évoquée dans la lettre 99. La lettre de Rica commence sur le ton léger d'une simple satire des mœurs : le personnage évoque son étonnement devant la rapidité des changements de la mode française, notamment féminine : “Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants”. Mais les enjeux de domination politique se dévoilent à la fin. La métaphore du « moule » dévoile que les sujets sont formatés à l'image de leur roi, qui impose ses goûts et son style à tout le pays. B) Les jeux de reflets : la Perse, miroir grossissant ou déformant Cependant, les reflets qui surgissent au prisme de ce regard éloigné ne sont pas ceux d’une réalité nue : le regard porté sur la réalité contemporaine en propose une vision singulière, la Perse fonctionnant comme un miroir tantôt grossissant, tantôt déformant. 1- Un miroir grossissant : le dévoilement des penchants despotiques de la monarchie française Les Persans sont confrontés à une réalité inconnue, et, devant la décrire à des amis qui ne connaissent pas l'Europe, ils recourent à des parallèles avec la civilisation persane et musulmane, cherchent des équivalents et s'entretiennent dans leur correspondance de questions persanes, ce qui permet un jeu de correspondances entre les deux cultures. Le regard éloigné prend ici la valeur de l’exotisme. Celui du miroir perse permet de faire apparaître certaines coutumes françaises comme également exotiques (pour la raison) : il s’agit d’en faire ressortir les aberrations, les incohérences. La lettre 37, d’Usbek à Ibben, dresse un parallèle explicite entre le roi de France et le roi de Perse. Le rapprochement est imputé aux penchants du roi lui-même, qui affectionne le gouvernement des Turcs ou des Perses : sont révélés ici les penchants despotiques de la monarchie. La lettre s’ouvre sur la vieillesse du roi de France, soulignant la sclérose du pouvoir, l’arbitraire se trouvant renforcé par les caprices de la vieillesse. Le pouvoir est en effet privatisé, comme le montre l’équivalence entre famille, cour et État, rassemblés dans un rythme ternaire. Puis, les paragraphes 2 et 3 sont construits sur une suite d'antithèses : l’enchaînement imite l'étonnement du Persan, qui souligne les incohérences du pouvoir royal (« des contradictions qu’il m’est impossible de résoudre»). On observe une énumération d'éléments qui confirment la tendance au despotisme : le caractère influençable du roi (ministre, maîtresse), sa crainte des gens de valeur (« craint de voir un bon général à la tête de ses troupes »), qui constituent une menace pour le pouvoir. On note encore l’arbitraire des faveurs, attribuées moins sur la base d'un mérite réel mis au service du bien public, que sur la base de liens privés entre le souverain et ses courtisans : « il préfère un homme qui le déshabille ou qui lui donne la serviette... à un autre qui lui prend des villes ». Ce uploads/Litterature/ dissertation-sur-les-lettres-persanes-et-le-parcours-associe.pdf
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- Publié le Mai 13, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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