Bibliothèque des Sciences humaines GEORGES DUMÉZIL MYTHES ET DIEUX DE LA SCANDI

Bibliothèque des Sciences humaines GEORGES DUMÉZIL MYTHES ET DIEUX DE LA SCANDINAVIE ANCIENNE Édition établie et préfacée par François-Xavier Dillmann GALLIMARD Préface De la première étude de mythologie comparée indo- européenne (Le Festin d’immortalité) à l’ultime recueil d’esquisses (Le Roman des jumeaux), auquel il travaillait encore à la veille de sa mort, survenue le 11 octobre 1986, Georges Dumézil a manifesté un intérêt constant pour la religion des anciens Scandinaves. Comme il le raconta plus tard, dans l’un des nombreux entretiens qu’il accorda sur le soir de sa vie à journalistes et essayistes 1, ce fut au cours de l’hiver 1916-1917 que, venant d’entrer à l’École normale et réfléchissant déjà à un sujet de thèse, Georges Dumézil découvrit à la bibliothèque de la rue d’Ulm l’existence de deux vieux poèmes eddiques qui l’incitèrent à faire un rapprochement, jugé alors « éblouissant », avec une légende indienne. On sait que, par la suite, Georges Dumézil se montra fort critique à l’égard de sa thèse de doctorat sur le cycle de l’ambroisie dans les diverses mythologies indo-européennes, mais cette première fréquentation de la littérature norroise allait se révéler particulièrement féconde, en conduisant le jeune savant à se mettre à l’étude des langues scandinaves anciennes et modernes, puis à rédiger, à partir de 1936, nombre de travaux d’une importance capitale pour la compréhension de la mythologie nordique. * C’est à l’École des hautes études, dans les premiers mois l’année 1925, que Georges Dumézil commença son cursus scandinave, en suivant les conférences que donnait alors Maurice Cahen sur la religion des Germains. Sans doute sur le conseil de ce grand philologue 2, qui avait occupé quelque temps le poste de lecteur de français à l’université d’Upsal, Georges Dumézil envisagea dès cette époque d’aller en Scandinavie « pour apprivoiser le germanique », selon son expression colorée. Le lectorat d’Upsal n’étant pas libre, il accepta en décembre 1925 l’invitation que lui faisait le gouvernement turc d’enseigner l’histoire des religions à l’université d’Istanbul. En octobre 1931, le poste d’Upsal étant enfin devenu vacant, Georges Dumézil quitta la Turquie et partit pour la Suède, où il demeura jusqu’en juillet 1933. Au cours de ce premier séjour upsalien, il acquit une profonde connaissance non seulement du vieil islandais et du suédois moderne, mais des principales sources littéraires de la Scandinavie ancienne, tant norroises (les poèmes eddiques et scaldiques, les sagas islandaises, l’Edda de Snorri Sturluson et l’Histoire des rois de Norvège du même auteur) que latines (les Gesta Danorum de Saxo Grammaticus et la chronique d’Adam de Brême). Il noua aussi des amitiés durables avec nombre de savants suédois ainsi qu’avec le germaniste autrichien Otto Höfler, qui, lecteur d’allemand dans la même université, préparait alors la publication de son maître livre sur les « sociétés d’hommes » chez les anciens Germains 3. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce fut en Scandinavie que la prodigieuse découverte opérée par Georges Dumézil en 1938 sur l’idéologie tripartie des Indo-Européens trouva l’appui le plus ferme. De retour à Upsal en 1948, le savant français y fut accueilli par l’indianiste Stig Wikander, avec lequel il engagea bientôt une collaboration aussi étroite que fructueuse 4. Désormais, chaque année ou presque, Dumézil alla travailler pendant plusieurs semaines en Suède, en particulier à la célèbre Carolina Rediviva, la bibliothèque de l’université d’Upsal, laquelle lui décerna en 1955 le grade de docteur honoris causa. D’autres liens se nouèrent également avec le Danemark, la Norvège, l’Islande et même la Finlande, que Georges Dumézil parcourut à l’été 1936, et d’où il rapporta, à côté d’une riche moisson de documents sur le Kalevala et le folklore finnois, des anecdotes savoureuses sur la pertinence de la linguistique comparée 5. S’il n’était certes pas exclusif de sympathie envers d’autres pays (la Turquie, par exemple, resta toujours chère à son cœur, et il déclarait volontiers y avoir vécu les années les plus heureuses de sa vie), l’attachement de Georges Dumézil à la Suède était profond. Ses livres en portent amplement témoignage : nombre d’entre eux sont dédiés à des collègues ou à des amis d’Upsal ou de Stockholm et s’ouvrent sur une citation d’un auteur suédois. Au détour d’une page, le lecteur relève souvent telle allusion plaisante aux débordements des fêtes estudiantines le soir du 30 avril (le Valborgsmässoafton, variante septentrionale de la nuit de Walpurgis), telle traduction de vers du grand poète de la Dalécarlie, Erik Axel Karlfeldt, ou encore, dans l’un de ses derniers textes, tel rappel émouvant des « soirs prolongés de l’été upsalien, où l’on peut lire Lagerkvist ou Sophocle jusqu’à près de minuit, sous un ciel rougeoyant, à l’orée du bois ». * Élaborée à l’aide de matériaux empruntés à l’histoire des religions comme à la philologie, au folklore comme à l’archéologie, la première monographie de Georges Dumézil dans le domaine des études scandinaves, Mythes et dieux des Germains, fut publiée en 1939, quelques mois seulement après un événement considérable pour l’histoire de la mythologie comparée indo-européenne : dans ses conférences à l’École des hautes études, où il enseignait depuis son retour de Suède en 1933, l’auteur avait reconnu « les grandes correspondances qui engagent à attribuer aux Indo-Européens, avant leur dispersion, une théologie complexe, axée sur la structure des trois fonctions de souveraineté, de force, de fécondité ». Pour la Scandinavie, il avait ainsi mis en évidence la triade des dieux du sanctuaire de Vieil Upsal, c’est-à-dire Odin, Thor et Freyr, et, plus généralement, la division du panthéon en Ases et en Vanes. Cette découverte amena l’auteur à remanier le plan du livre, en dégageant trois axes principaux : d’abord les « mythes de la souveraineté », puis les « mythes des guerriers » et enfin les « mythes de la vitalité », mais en conservant beaucoup de la rédaction initiale, qui contenait de fait nombre d’observations d’une grande finesse sur la société scandinave à l’époque préchrétienne. Saluée par Marc Bloch dans un compte rendu chaleureux 6, l’analyse de la conception germanique de la souveraineté que présentait Mythes et dieux des Germains fut développée avec de nouveaux arguments dans quelques-uns des ouvrages que Georges Dumézil publia à un rythme soutenu à partir de 1940. Ce fut le cas notamment dans plusieurs chapitres de Mitra- Varuna (1940 et 1948), où il s’attacha à délimiter le domaine d’action des dieux Odin (le « souverain magicien », qui perdit un œil dans une source où sont cachées la science et l’intelligence) et Tyr (le « souverain juriste », qui sacrifia sa dextre afin de permettre l’enchaînement du loup Fenrir), en comparant le diptyque que forment ces mutilés avec le couple de héros romains adversaires de Porsenna, Horatius Codes et Mucius Scaevola. D’autres dieux scandinaves furent étudiés au fil des enquêtes de mythologie comparée que rédigea à la même époque Georges Dumézil, puis l’attention se porta principalement sur le récit de la guerre que se livrèrent les Ases et les Vanes à l’origine des temps : esquissée dans Jupiter, Mars, Quirinus I (1941), cette étude fut renouvelée au moyen d’une analyse minutieuse des strophes 21-24 du poème eddique la Vǫluspá et constitua l’un des essais les plus séduisants du recueil Tarpeia (1947 — repris ici même pp. 7- 43). Dans Loki (1948), l’auteur se pencha sur l’« un des plus singuliers parmi les dieux scandinaves » et qui, à ce titre, avait dérouté des générations de germanistes. Avant de l’éclairer — au moins en partie — à l’aide de documents caucasiens, avant de distinguer avec une admirable perspicacité les éléments psychologiques (« l’intelligence impulsive et l’intelligence recueillie ») et les éléments naturalistes (le vent et le feu) dans ce type de divinité, Georges Dumézil s’employa à réhabiliter contre une certaine tradition hypercritique le témoignage que l’historien islandais du début du XIIIe siècle, Snorri Sturluson, fournit sur l’ancienne mythologie scandinave. Cet exposé d’une grande importance pour la compréhension de l’esprit qui animait les recherches de l’auteur, en particulier son refus de disloquer les éléments qui constituent un récit, son souci de dégager des ensembles significatifs, fut comparé par Claude Lévi-Strauss au Discours de la méthode lorsqu’il accueillit Georges Dumézil à l’Académie française le 14 juin 1979. Avec La Saga de Hadingus (1953, cf. Du mythe au roman, 1970), l’auteur abordait un problème proche de celui posé par la crédibilité de l’Edda et des vieux poèmes norrois : il examinait la transposition de la mythologie scandinave en histoire épique de la nation danoise sous la plume d’un contemporain de Snorri, Saxo Grammaticus. Les procédés mis en œuvre dans les premiers livres des Gesta Danorum par ce clerc proche de l’archevêque Absalon, le travail littéraire qu’il accomplit sur des sources poétiques tantôt disparues tantôt conservées uniquement en Islande, les « remplois » auxquels il se livra pour retracer le règne de l’un des premiers souverains, Hadingus, en démarquant la carrière du dieu Niord, fournirent à Georges Dumézil la matière de riches développements, étayés par une érudition très sûre et prolongés dans des appendices tels que « Le noyé et le pendu » (repris ici même pp. 91-120) ainsi que dans l’étude du héros uploads/Litterature/ dumezil-georges-mythes-et-dieux-de-la-scandinavie-ancienne.pdf

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