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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=CORP&ID_NUMPUBLIE=CORP_002&ID_ARTICLE=CORP_002_0105 Du corps au théâtre au théâtre-corps par Aurore CHESTIER | Dilecta | Corps 2007/1 - N° 2 ISSN 1954-1228 | pages 105 à 110 Pour citer cet article : — Chestier A., Du corps au théâtre au théâtre-corps, Corps 2007/1, N° 2, p. 105-110. Distribution électronique Cairn pour Dilecta. © Dilecta. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 105 DÉCOUVRIR (DÉCOUVRIR) Nº 2 – Mars 2007 – Corps sportifs DU CORPS AU THÉÂTRE AU THÉÂTRE-CORPS Aurore Chestier Centre de recherche Gaston Bachelard École doctorale LIS 202 (langages, imaginaires et sociétés) Équipe d’accueil 2977 Interactions culturelles européennes La nécessaire incarnation « L e théâtre est corps » (Ubersfeld, 2001 : 224). Cette définition à la fois laco- nique et synthétique d’Anne Ubersfeld a le mérite de mettre en lumière la spécificité de ce genre littéraire qui se tient à la lisière du monde réel et de l’univers de la fiction. Le corps du comédien, à travers l’incarnation du personnage, constitue le point de jonction et d’articulation au sein de cette tension dialectique. Si la lecture d’une pièce de théâtre peut, de manière idéaliste et pernicieuse, feindre l’incarnation des person- nages sur scène, voire en faire abstraction, la pratique théâtrale, en revanche, est par définition matérialiste dans la mesure où elle est un art de la représentation qui ne peut exister sans la présence des corps et des choses qui le font être. En ce sens, le théâtre répond parfaitement à l’idéal esthétique défini par Jean Rousset, dans Forme et signifi- cation, comme « la solidarité d’un univers mental et d’une construction sensible, d’une vision et d’une forme palpable » (Rousset, 1962 : 52). Le corps, en tant que signe iconi- que, participe à la retranscription sur scène d’un univers fictif et constitue un élément essentiel de la mimésis. Si réduite soit la volonté du dramaturge de ressemblance avec le monde réel, la mise en scène ne peut supprimer l’iconicité de la représentation, sous peine d’abolir purement et simplement le spectacle. Une incarnation problématique Robert Abirached, dans un ouvrage intitulé La Crise du personnage dans le théâtre moderne, analyse à la fois la rupture dramatique et sémiologique amorcée dès la fin du xixe siècle : le renoncement à la mimésis – à toute illusion référentielle jugée vaine et mensongère – et l’effondrement consécutif de la fable qui, en l’absence d’action signi- fiante, devient un concept inintelligible et caduque. Autrement dit, les deux principes fondateurs de la Poétique d’Aristote – qui définissait le théâtre comme un mythos, c’est- à-dire l’imitation d’une action – sont largement remis en cause par les expériences 106 Découvrir symbolistes et avant-gardistes. Les structures spatio-temporelles, en proie au morcellement et à la discontinuité depuis le romantisme et l’abolition de la règle des unités, vacillent ou volent en éclats. Quant au personnage, sa conscience est tellement émiettée qu’il semble dépourvu de motivations psychologiques. Animé par des forces obscures qui lui échappent, il est incapable de porter un jugement réflexif sur ses actions qui paraissent absurdes et dérisoires. N’ayant plus de raison d’être ni d’action à accomplir susceptible de lui donner une certaine consistance, le personnage théâtral s’évide peu à peu de sa substance dramatique et de sa légitimité scénique. L’aspiration symboliste, au nom du principe d’autonomie de l’art, à une désincarnation du personnage afin de ne pas l’assujettir au sordide du réel, se cristallise à travers l’image d’Alfred Jarry qui définissait le personnage incarné sur scène comme « une abstraction qui marche ». La volonté de gommer la présence scénique du comédien ou de déformer la représentation de son image corporelle atteint son paroxysme avec la théorie de Gordon Craig qui veut liquider l’acteur vivant au profit d’un théâtre mécanique, animé de « sur-marionnettes ». Ces dramaturgies ont beau tendre vers un théâtre sans corps, elles n’en demeurent pas moins asymptotiques à l’absence de vie, ou à un semblant de vie, dans la mesure où tout théâtre, aussi figé soit-il, participe à un mouvement créateur et ne peut faire l’économie d’une incarnation, fût-elle minime ou symbolique. Aux antipodes se situent les expériences de Grotowski et d’Artaud, qui prônent la réha- bilitation du corps et la suprématie de l’expression corporelle. À la recherche d’un « théâtre pauvre », Grotowski dépouille la scène de tout ce qui lui semble accessoire et contingent pour ne garder que la substance minimale nécessaire afin que le théâtre existe. Le nombre de personnages est réduit à son strict minimum : un seul acteur mis à nu devant le specta- teur. Retranché du monde extérieur, le comédien doit susciter la mémoire du corps pour retrouver des sensations latentes et renouer avec un patrimoine gestuel enfoui. Grâce à un travail préalable d’introspection, il pourra ensuite recréer sur scène cette expérience inté- rieure et la transmettre au spectateur. C’est dans cette relation unique qui s’établit entre le « corps conducteur » de l’acteur et le « corps récepteur » du spectateur que Grotowski distingue l’essence du théâtre. Quant à Artaud, il évoque un théâtre de la cruauté qui préco- nise « une torture systématique du corps par un piétinement d’os, de membres et de syllabes » (Artaud, 1985), afin de libérer ce dernier du carcan social, de cette camisole de force imposée par les convenances et les automatismes de la vie quotidienne. L’acteur doit constamment mettre à l’épreuve son corps, jusqu’à frôler le danger de mort, pour parvenir à lui « arracher de l’être » et en extirper la profondeur du sens. Il s’agit de gagner et de trans- mettre quelque chose corporellement. À travers l’élaboration d’un théâtre corporel, libéré de l’emprise textuelle et psychologique, Artaud célèbre l’avènement d’« un nouveau langage physique à base de signes et non plus de mots » (Artaud, 1985 : 81). C’est dans cette perspective sémiotique et non plus sémantique de la représentation – étant donné que le sens global a disparu et qu’il est impossible de distinguer la moindre « intenté » ou volonté de signifier – que « la matière théâtrale », atomisée désormais en « unités minimales », est appréhendée sous la forme d’un magma de particules signifiantes, irréductibles à toute résolution en signifiés. L’accent est mis uniquement sur la matérialité des signes au détriment du sens global qui, pulvérisé, est étoilé en directions contraires. Les tech- niques contemporaines de montage et de démontage, issues de la dramaturgie brechtienne, ou encore l’héritage cubiste du collage qui entrechoque des éléments hétéroclites, reflètent cette esthétique de la rupture, du fragment et du discontinu. L’utopie d’une œuvre d’art globale, baptisée par Wagner gesamtkunstwerk, qui puisse réaliser sur scène la parfaite synthèse de tous les arts, est révélatrice du besoin pour l’es- 107 Nº 2 – Mars 2007 – Corps sportifs prit humain de recréer, ou du moins de rafistoler, une unité. On retrouve cette volonté d’un théâtre total à travers le jeu de la performance art qui rassemble et unifie en un tout organique le théâtre, la danse, la musique, la peinture, la poésie et le cinéma, faisant appel, selon l’impératif rimbaldien, à la synesthésie des sens. Or, le point de convergence entre ces mouvements contraires est bien le corps du spectateur qui réceptionne et orchestre ces faisceaux sensoriels. Ce corps silencieux, immobile et dans l’ombre, qui fait pourtant partie intégrante du spectacle, était resté jusqu’à présent à l’abri de cette dissolution ou fusion des corps. Mais avec la chute du quatrième mur – barrière sacrée entre la scène et la salle – il est mis en demeure de faire corps avec cet organisme protéiforme. Il est même parfois provoqué et mis en scène au sein du spectacle lorsque le théâtre joue à être invisible ou encore lors des happenings. À l’évidence, le théâtre est un art qui convoque et provoque l’ensemble des corps présents : il ne laisse personne indifférent. « On ne contemple pas une pièce de théâtre comme on contemple un tableau » disait à juste titre Kantor, soulignant ainsi qu’il s’agit d’un acte qui engage tout le corps du spectateur, lequel « prend une entière responsabilité en entrant au théâtre » (Kantor, 1990). Or, s’il n’existe pas de théâtre sans corps, pourquoi l’incarnation est-elle devenue un enjeu si problématique dans la dramaturgie contemporaine ? Des êtres de papier aux êtres de chair C’est dans le glissement essentiel, mais délicat, entre le texte dramatique et sa traduc- tion scénique que réside tout l’enjeu de la mise en scène. L’écriture théâtrale est une œuvre en devenir, « un texte troué », selon uploads/Litterature/ du-corps-au-theatre-au-theatre-corps.pdf
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- Publié le Apv 19, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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