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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Max Roy Protée, vol. 36, n° 3, 2008, p. 47-56. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/019633ar DOI: 10.7202/019633ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 13 avril 2014 07:06 « Du titre littéraire et de ses effets de lecture » PROTÉE • volume 36 numéro 3 47 DU TITRE LITTÉRAIRE ET DE SES EFFETS DE LECTURE MAX ROY Un titre ne fait pas un livre, encore moins une œuvre… Mais on l’en détache diffi cilement, et plus encore avec le temps. L’Avare, Hamlet, L’Encyclopédie, L’Enfer, Madame Bovary, Les Fleurs du mal, Maria Chapdelaine, L’Étranger, Les Belles-Sœurs et combien d’autres intitulés ont pris valeur d’icônes ou de symboles. Indissociables des textes qu’ils annoncent, les titres restent parfois le seul souvenir des lectures passées, voire le seul segment de texte lu. Qui ne connaît pas certains titres d’œuvres qu’il n’a pas lues mais dont il sait ou soupçonne l’importance? Tout lecteur, pourtant, apprend tôt ou tard à se méfi er des titres de livres. Ils sont imparfaits, trompeurs ou manipulateurs. Qui n’aura pas éprouvé quelque surprise ou déception à la lecture d’un ouvrage au titre invitant? Avec l’expérience, la méfi ance est de mise, mais la curiosité fait également le lecteur. Je propose d’aborder la problématique du titre littéraire en fonction du lecteur et de son activité d’interprétation. Je tracerai un bref état de la question pour ensuite signaler quelques cas intéressants et surtout analyser le phénomène dans le roman Dom Casmurro (1899) de Machado de Assis. LE TITRE LITTÉRAIRE L’intitulation des textes et ses usages codés sont des phénomènes datés. Ils appartiennent à l’histoire du livre et de l’édition, mais aussi à celle de la lecture et de la littérature. Dans l’Antiquité, un ruban appelé titulus servait à identifi er le contenu d’un manuscrit enroulé (volumen). Au IIe siècle de l’ère chrétienne, vraisemblablement, des cahiers écrits sont assemblés sous la forme de codex où apparaissent parfois des indications de contenu. En Occident, le titre se présente en clair et son usage se généralise avec l’invention de l’imprimerie. Une page entière du livre imprimé lui est réservée. Après la Révolution française, les reliures en cuir, trop coûteuses, cèdent la place aux couvertures imprimées des livres. Les titres y fi gurent avec insistance. Comme l’a fait remarquer Rainier Grutman: Depuis le XIXe siècle, le titre a littéralement envahi l’espace du livre: on le trouve sur la couverture, sur la page de titre et la page de faux titre, en haut de chaque page dans le titre courant. C’est dire qu’il s’est de plus en plus rapproché du texte, évolution qui s’est traduite par des changements formels: jadis long et descriptif, à la syntaxe parfois complexe, le titre prend de volume 36 numéro 3 • PROTÉE 48 nos jours souvent la forme d’une phrase sans verbe, voire d’un syntagme nominal. (2002: 599) L’appareil titulaire se réduit rarement au seul titre imprimé sur la couverture du livre et peut se décliner de multiples façons, selon les auteurs, les époques, les genres de textes, les types d’éditions et les publics visés. Ainsi, la composition des titres varie énormément par le format et la syntaxe. Les longs titres des livres anciens (des XVIIe et XVIIIe siècles en particulier1) se font rares au XIXe siècle et n’ont pas d’équivalents de nos jours, si ce n’est à des fi ns parodiques. Les titres anciens se trouvent même abrégés dans les éditions modernes. Cette tendance à l’abréviation s’observe aussi dans le passé, à l’occasion des rééditions de livres à succès2. Si les titres courts ont apparemment la faveur des éditeurs sinon du grand public, les abréviations et autres modifi cations de titres littéraires s’opèrent le plus souvent sans le consentement de l’auteur et parfois au détriment du sens initial. Cela se fait beaucoup pour les adaptations cinématographiques et, le cas échéant, avec l’accord de l’auteur. Le titre du fi lm rejoint un autre public et, avec les rééditions qui suivent, attire un nouveau lectorat. On verra, plus loin, ce qu’il est advenu de Dom Casmurro. UN OBJET D’ÉTUDE Dans la presse écrite, le titre est capital – c’est le cas de le dire – et on l’étudie comme tel. Dans le domaine littéraire, peu de chercheurs s’y sont véritablement intéressés. On trouve bien des commentaires ici et là sur l’intitulé d’un poème de Baudelaire ou de Nelligan, par exemple, mais le phénomène n’a pas été abordé de façon théorique et systématique avant 1970 et la nouvelle critique, sauf exception. On attribue à Claude Duchet (1973) l’emploi du néologisme titrologie pour désigner ce champ de recherches. Hormis quelques études de cas, dont l’une approfondie a été consacrée au roman de Stendhal Le Rouge et le Noir par Serge Bokobza (1986), Le Rouge et le Noir par Serge Bokobza (1986), Le Rouge et le Noir les travaux substantiels de Léo H. Hoek et de Gérard Genette font autorité en la matière. Le premier, après avoir formulé des propositions «pour une sémiotique du titre» (1973), a publié, en 1981, La Marque du titre, un ouvrage entier sur le sujet. Gérard Genette, pour sa part, s’est employé à décrire et à examiner le discours d’accompagnement des œuvres littéraires dans Palimpsestes (1982) et surtout dans Seuils (1987). On lui doit la notion de paratexte qui réunit justement tous les ensembles discursifs – mais aussi des unités non verbales, comme les illustrations des couvertures de livres – qui entourent un texte littéraire ou qui s’y rapportent. Le paratexte accompagne l’œuvre, en quelque sorte, pouvant ainsi en encourager ou même en faciliter la lecture. Chose certaine, il contribue à son inscription dans le «champ littéraire» (Bourdieu, 1991). Une distinction entre les éléments du paratexte interne et externe – par rapport au texte évidemment – conduit à deux autres notions:le péritexte et l’épitexte. Rappelons simplement que le titre, la préface et la couverture du livre font partie du péritexte. Le livre peut contenir une multitude d’éléments péritextuels avec des caractéristiques propres: le nom de l’auteur et de l’éditeur, un texte de présentation en quatrième de couverture, des illustrations, un avant- propos, une préface ou toute autre forme de discours d’accompagnement. À cela s’ajoutent, à l’initiative des éditeurs et à l’intention d’un lectorat ciblé, des titres de collections et de séries, qui contribuent à l’identité du livre et à sa réception espérée. Parallèlement aux titres des œuvres littéraires, les titres internes, sous-titres et intertitres jouent un rôle singulier. Ils ponctuent le texte d’informations redondantes ou nouvelles pour accompagner ou éclairer la lecture. Tout cet appareil titulaire concourt à l’effi cacité du texte, lui assurant une cohérence et une lisibilité. Les titres des chapitres des contes de Voltaire, par exemple, ont plus qu’une fonction de repérage dans le texte3 . Ce sont des résumés ou des canevas, doublement parodiques, du récit qui va suivre. Courante à l’époque, leur adresse aux lecteurs est à la fois une marque et une demande de bienveillance. Ce peut être aussi une réponse par anticipation aux attentes du lecteur et une forme de validation de son travail interprétatif. Cela suppose que le lecteur PROTÉE • volume 36 numéro 3 49 coopère de bonne grâce au processus textuel de signifi cation et qu’il y trouve son profi t. Il arrive que la persuasion soit aussi une manipulation du lecteur, comme dans Un drame bien parisien d’Alphonse Allais, l’exemple canonique dans la théorie du Lecteur Modèle d’Umberto Eco (1985). Il est toujours facile, après coup, d’expliquer le mécanisme d’une duperie. Pour qui sait lire, ou plutôt relire le texte d’Allais, les intertitres de son bref et curieux récit dévoilent ce mécanisme4. On connaît la critique de la théorie d’Eco, qui a néanmoins le mérite de rappeler cette évidence: un texte est fait pour être lu. Même s’ils ne sont pas toujours attribuables à l’auteur et même si tous leurs effets ne sont pas prévisibles et contrôlables, les titres sont évidemment intentionnels. Ils obéissent à des règles communes ou singulières que l’auteur – sinon le traducteur ou l’éditeur – a adoptées et qui composent une poétique. On peut dégager des habitudes, des usages liés à une époque, à un genre littéraire, à une collection ou à un écrivain. Il en va ainsi pour les longs «titres- arguments» de la Renaissance, les vers liminaires servant de titres de poèmes, les formules stéréotypées de la collection Harlequin et les intitulés accrocheurs ou irrévérencieux de San-Antonio. Cependant, les tentatives de systématisation du phénomène sont diffi ciles sinon condamnées à des uploads/Litterature/ du-titre-litteraire-et-de-ses-effets-de-lecture.pdf

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