Revue néo-scolastique de philosophie Les thèmes du « Protagoras » et les « Diss

Revue néo-scolastique de philosophie Les thèmes du « Protagoras » et les « Dissoi Logoi » E. Dupréel Citer ce document / Cite this document : Dupréel E. Les thèmes du « Protagoras » et les « Dissoi Logoi ». In: Revue néo-scolastique de philosophie. 23ᵉ année, n°89, 1921. pp. 26-40; doi : 10.3406/phlou.1921.2265 http://www.persee.fr/doc/phlou_0776-555x_1921_num_23_89_2265 Document généré le 25/05/2016 II. Les thèmes du " Protagoras „ et les rr Dissoi Logoi,,*} Les dialogues de Platon ne sont pas des œuvres tellement différentes les unes des autres, que chacune ait son sujet propre et exclusif. Plus d'une question à laquelle un dialogue est consacré, se retrouve débattue dans un autre, soit incidemment et comme en passant, soit de nouveau comme objet principal de la discussion. Par exemple : La question à laquelle toutes les controverses du Protagoras sont suspendues est celle de savoir si la sagesse est susceptible d'être enseignée. A deux reprises, le même sujet est effleuré dans Y Eulhydème et tout le Ménon est encore construit sur ses développements. C'est à chacun des sujets de discussion abordés de la sorte dans plus d'un dialogue, que nous donnerons le nom de thème ; nous caractériserons par quelques mots grecs ou français, ceux de ces thèmes, qu'il nous importe d'étudier en détail. Les écrits platoniciens considérés comme les plus anciens et les plus inspirés de Socrate *) sont justement ceux où ces thèmes ont la plus grande importance ; le Protagoras en particulier, n'en est guère qu'une savante combinaison, si bien qu'il nous suffira d'analyser ce beau dialogue pour *) Cet article est le premier chapitre d'un livre intitulé : La légende socratique et les sources de Platon, que l'auteur espère publier dans le courant de cette année (Réd.). 1) Hippias minor, Laches, Protagoras, Charmide. Cf. Ritter, Platon, I, p. 273. Les thèmes du « Protagoras » et les « Dissoi Logoi » 27 rencontrer les thèmes les plus caractéristiques et les plus intéressants à notre point de vue. C'est par cette analyse que nous commencerons. 1° Comme nous venons de le dire, le Protagoras a pour thème principal la question de l'enseignement de la sagesse ; nous l'appellerons le thème el SiSax-cdv l) ; on verra plus loin de quel texte ces mots sont tirés. C'est Socrate qui propose cet examen à Protagoras, son principal interlocuteur. Il est d'avis, quant à lui, que la sagesse ne s'apprend, ni ne s'enseigne. Protagoras, par un long et brillant discours, lui prouve le contraire. Socrate se déclare convaincu et met la conversation sur d'autres questions ; mais on s'aperçoit à la fin du dialogue, qu'il n'a détourné le débat que pour en revenir à sa question première avec de nouvelles lumières et pour prendre au sujet de la réponse à y faire une attitude toute différente. Cette piquante manœuvre de Socrate sera exposée en détail dans le prochain chapitre. 2° Lorsque Socrate a paru adhérer aux conclusions de Protagoras sur la possibilité de l'enseignement de la sagesse, il lui a posé une nouvelle question. La vertu est- elle une ou multiple? La prudence, la justice, la tempérance ne sont-elles que des aspects delà vertu, une et indivisible, ou bien y a-t-il autant de vertus, qu'il y a de ces qualités morales ? En particulier le courage est-il distinct de la sagesse, ou ces deux qualités se confondent-elles ? Ainsi, se présente le thème de l'unité de la vertu, que nous pourrons appeler le thème Sagesse et Courage, d'après les deux exemples qui servent à le traiter. Il fournira le sujet principal d'un autre dialogue le Laches. Dans le Protagoras, la partie qui lui est consacrée se termine par le choix de la première alternative : les interlocuteurs conviennent que la sagesse est une et non multiple. Son unité découle de ce que, dans son essence, la sagesse n'est autre que la science. 2) Sous-entendu ^ à 28 ■ F. Dupréel Celui qui connaît de science certaine son bien véritable, ses vrais avantages, est, selon les circonstances, prudent, juste, tempérant Le courage, en dépit des apparences contraires,, se confond aussi bien que les autres vertus, avec la sagesse, ou le savoir, car le courage n'est pas autre chose que l'exact discernement des choses qui sont réellement redoutables et de celles qui ne le sont pas l). 3° La longue et laborieuse discussion du thème sagesse et courage en enveloppe une autre, sur la question de savoir si le mal est commis volontairement ou s'il n'est qu'un résultat de l'ignorance du bien. A vrai dire, c'est à peine une discussion, car Protagoras abonde dans le sens 4e Socrate. Selon celui-ci, dès qu'on a connaissance du bien, on ne saurait s'empêcher d'y conformer sa conduite ; toute faute morale est le résultat d'une erreur, l'acte d'un ignorant qui se trompe sur son bien véritable ; la vertu est tout entière l'art et la science par laquelle chacun choisit avec sûreté la conduite la plus avantageuse. La sagesse est la science de la mesure des avantages. On sait que l'idée de l'identité foncière de la sagesse et de la science est considérée comme le noyau de la doctrine morale de Socrate, par les historiens de la philosophie, aussi bien que par Aristote. On la résume parfois par les mots ouoeiç é/.wv èÇajiapxàvei 2) et nous caractériserons par ces trois mots le thème dont cette partie du Protagoras est un développement. 4° II y a lieu enfin d'ajouter aux thèmes déjà relevés, un ensemble de passages où les interlocuteurs débattent la question de savoir s'il convient de discuter, par questions et réponses, celles-ci les plus brèves possibles, ou si chacun 1) Protagoras 329-334, trad. pp. 45 à 55, puis 349 B, 360 E, trad pp. 82 à 104. Les citations de Platon sont empruntées à la traduction Saisset, en 10 volumes. Pans, Charpentier. Il va sans dire que la pagination indiquée est celle du volume contenant le dialogue dont provient la citation. 2) Personne ne pèche volontairement. Cf. Protagoras, 345 D : oti oùôeI; t<ov (Tocpûv àvSpûv où8sva àv6pu>7rov sxovta £;ajxapxàvstv... — Cf. aussi 375 C, Tintée, 86 E : xaxoi; Ixwv oùôeû; — et passim. Les thèmes du « Protagoras » et les- « Dissoi Logoi » 29 pourra s'étendre en de longs monologues. Protagoras est pour les grands discours ; on sait de reste qu'il y excelle; rarement il lui est laissé assez de temps pour donner à sa pensée toute sa valour. Socrate, au contraire, feint d'être incapable de retenir ce que disent ceux qui parlent si longuement ; il lui faut à ses questions de courtes réponses. Les assistants appuient Protagoras ou Socrate, ou proposent des compromis. On voit qu'il ne s'agit pas d'une idée controversée, mais de l'opposition de deux façons de discuter. On confronte deux modes d'expositions, même deux genres littéraires, le discours soutenu et le dialogue. Ce sera pour nous, le thème xaxà j3pa/ù SiaXeysaO-ai. Nous n'empruntons pas cette expression directement à Platon, nous la prenons, de même que plus haut les mots d 5i5ay.-dv, dans un écrit plus ancien que les dialogues et dont nous ne saurions nous dispenser d'analyser le contenu, comme d'en caractériser la nature. On désigne maintenant cet écrit par ses deux premiers mots MovÀ A6*{oi 1). On est d'accord pour le dater des environs de l'an 400 avant J.-C. ; en effet, il y est question de la victoire des Lacédémoniens sur les Athéniens (404) comme d'un fait récent. Il est donc antérieur à la littérature socratique, s'il est vrai qu'aucun de nos dialogues n'a été composé avant la mort de Socrate (399). Le texte se présente à nous divisé en neuf paragraphes, mais cette division ne donne pas une idée suffisante de la répartition des matières. Il y a, en réalité, quatre parties complètement étrangères l'une à l'autre, dont la première comporte les six premiers paragraphes. C'est la seule partie où la pensée soit développée et même délayée ; les trois autres I) Anciennement on l'appelait A-aX(ïti:. Cf. Diels, Die Fragmente der Vorso- kratiker, 2e édit., t II, pp 635 sqq., texte et notes. Mon attention a été attirée sur cet écrit par Taylor, dans ses Varia Socratica. auquel je dois beaucoup, quoique mes conclusions diffèrent radicalement des siennes. 30 ' E. Dupréeî parties, qui coïncident avec les trois derniers paragraphes, ne sont guère que des sommaires ou des fragments. Cette première partie est une dissertation sur l'idée que deux opinions contradictoires peuvent être soutenues et le sont, en effet, à l'égard de toutes choses. Il y a des thèses opposées sur le bien et sur le mal, sur le beau et le laid, le juste et l'injuste, sur la vérité et le mensonge, la folie et la sagesse, l'être et le non- être. Selon les uns, entre le premier de chacun de ces couples de termes et le second, il y a une véritable différence de nature, une exclusion logique radicale : le beau diffère du laid, de telle sorte que, dès qu'un objet est beau, la laideur en est exclue et doit en uploads/Litterature/ dupre-el-protagoras.pdf

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