A PROPOS DU LIVRE DE SENIOR A. A. Les éditions Dervy ont récemment inauguré une
A PROPOS DU LIVRE DE SENIOR A. A. Les éditions Dervy ont récemment inauguré une nouvelle collection intitulée Les Classiques de l'Alchimie 1, proposant des titres de grande valeur le plus souvent dans leur première traduction française. C'est le cas notamment du traité de Senior Zadith 2, souvent cité dans la littérature alchimique et reconnu par les meilleurs auteurs comme un texte de qualité. Ce traité n'était jusqu'à présent accessible qu'en latin (dans le volume V du Theatrum Chemicum de Zetzner), et c'est assurément une très bonne idée que de l'avoir traduit en français. Malheureusement, cette excellente occasion de s'abreuver à la source de la tradition alchimique occidentale est également une occasion manquée, et nous allons essayer d'expliquer pourquoi. Non pas que nous mettions le moins du monde en cause la traduction ici faite du latin en notre langue. Mais la méconnaissance d'un traité original dont celui de Senior n'est lui-même qu'une traduction partielle et parfois inexacte rend certains termes ou certains passages incompréhensibles (il est vrai qu'on s'en est accommodé pendant des siècles), et fait passer à côté d'une étude d'un intérêt véritablement exceptionnel : nous ne le reprochons pas au traducteur, car il se serait agi d'un autre travail que celui qu'il avait entrepris; du moins est-il extrêmement regrettable que personne ne se soit trouvé pour au minimum signaler la chose au lecteur et donner quelques indications succinctes. C'est donc ce que nous allons tenter de faire. Le cas du traité de Zadith est en effet exemplaire : c'est un des rares cas où l'on connaît l'identité de l'auteur et où l'on possède plusieurs manuscrits du texte original arabe d'un traité traduit en latin. Le cas n'est pas unique, mais il est tout de même fort peu fréquent, et mérite d'être un peu mieux traité qu'il ne l'est dans l'introduction de la traduction française : « Nous avons choisi de (la) présenter sans notes ni commentaires. A quoi bon ? On ne sait rien sur la personnalité de son auteur, et nous doutons fort que malgré les progrès effectués par la recherche érudite, on puisse en savoir un jour quelque chose... Nous nous abstiendrons également de remarques quant à l'exposé lui-même, le texte étant assez complet et parlant pour satisfaire les chercheurs authentiques, qui n'ont nul besoin de nos avis. » 1 Dirigée par Geneviève Dubois, que l'on connaît aussi comme l'auteur du dernier livre sur Fulcanelli. Saisissons cette occasion de dire que cet ouvrage nous paraît loin d'avoir épuisé la question. 2 Le Livre de Senior, suivi de Lettre de Psellos sur la Chrysopée et de Rachidibid, Dervy, 1993. La traduction est signée J.-F. G. Certes, l'option du traducteur, qui consiste à s'effacer derrière son texte, est parfaitement respectable; de même sommes-nous loin d'avoir une considération immodérée pour les recherches érudites lorsqu'elles sont menées uniquement pour elles-mêmes. Il existe toutefois certains cas - et celui-ci en est un - où les travaux d'érudition peuvent s'avérer d'un grand secours pour une meilleure compréhension du texte. Voyons à présent ce que dit la quatrième de couverture : « Les érudits pensent que l'auteur serait un Oriental, probablement Egyptien, Mohammed Umail Al Tamani, qui aurait vécu aux alentours du Xe siècle, et ce petit écrit alchimique aurait été traduit de l'arabe en latin au XIIe ou XIIIe siècle. Mais à ce jour, aucune preuve décisive n'a été apportée... » C'est trop ou c'est trop peu, et en tout cas c'est inexact : tel que nous pouvons le lire dans les toutes premières lignes du manuscrit, le nom de l'auteur est Abû Abdallâh Muhammad ibn Umayl al-Tamîmî (ce n'est pas faire preuve d'une érudition exagérée que d'écrire correctement le nom des gens). Il vécut effectivement au dixième siècle de notre ère. Si on ne connaît pas ses dates exactes et si on sait effectivement très peu de choses sur sa vie, il est toutefois possible de bien cerner l'époque où il vécut et les milieux qu'il fréquenta, par une série de renseignements indirects que l'on peut tirer notamment du Fihrist d'Ibn al-Nadîm et qui concernent des personnages mentionnés par ailleurs par notre auteur dans le traité qui nous occupe. Le nom latin de Senior Zadith, fils d'Hamuel s'explique quant à lui facilement : Senior traduit certainement l'arabe Cheikh; Zadith est très probablement une corruption de al- sâdiq, le véridique, le qâf final donnant un th, comme dans azoth (on rencontre également azoch) qui vient de al-zâwûq (le mercure); et filius Hamuel est la latinisation immédiate de Ibn Umayl. Ce dernier est l'auteur de plusieurs traités et poèmes, dont certains ne sont connus que par leur titre. On a pu émettre l'hypothèse que son Kitâb mafâtîh al-hikma al-`uzmâ était l'original de la Clavis majoris sapientiae d'Artéphius. Le texte qui nous intéresse se compose en réalité du traité intitulé Kitâb al-mâ' al-waraqî wa al-ardh al-najmîya (Livre de l'eau foliée et de la terre étoilée), se présentant lui-même comme un commentaire de la Risâla al-shams ilâ al-hilâl (Epistola Solis ad lunam crescentem). Si le titre de cette épître (en vers rimés dans le texte arabe) se retrouve dans la traduction latine, celui du traité qui lui fait suite n'a pas été repris tel quel. On rencontre toutefois dans le texte latin les deux expressions-clés de aqua foliata et de terra stellata. Nous reviendrons un peu plus loin sur la première de ces expressions, qui recèle en arabe une amphibologie de sens. Relevons immédiatement que la traduction latine est très partielle : il manque trente- sept versets à l'épître, et le commentaire latin ne représente que la première moitié du texte arabe. C'est dire qu'en tout état de cause cette source importante pour la tradition hermétique occidentale était déjà très mutilée à l'origine 3. Ce traité est un classique et un jalon important de l'alchimie musulmane. Il représente une synthèse de plusieurs enseignements antérieurs (parmi ses sources possibles, citons la version arabe de la Turba philosophorum, avec laquelle on peut relever nombre d'analogies très précises, ainsi que le Shawâhid d'al-Râzî). Il eut également une influence profonde et durable, puisque trois siècles plus tard al-`Iraqî en transcrivit un long passage dans son Kitâb al-`ilm al-muktasab fi zirâ`a al-dhahab (Livre de la science acquise concernant la culture de l'or), et que Jaldakî fit un long commentaire de la Risâla. En Occident, mentionnons que le texte intitulé Rosinus 4 ad Euthiciam, qui se trouve dans le recueil Artis Auriferae quam Chemiam vocant... (1593) est une traduction d'un passage de notre traité, lequel présente également de nombreuses similitudes avec les deux versions de la Turba que contient le même recueil. Il serait naturellement extrêmement souhaitable de disposer d'une traduction intégrale et annotée du Mâ' al-waraqî. Nous n'avons malheureusement pas le loisir d'entreprendre un ouvrage aussi considérable, et notre propos se limitera ici à tenter de montrer tout le bénéfice que l'on retirerait d'un tel travail; pas uniquement, sans doute l'aura-t-on déjà compris, dans une optique de pure érudition. Il existe plusieurs manuscrits de ce texte. Il en existe un à la Bibliothèque Nationale à Paris; un autre, à Saint-Pétersbourg, avait déjà fait l'objet d'une notice descriptive par le Baron Victor Rosen à la fin du 19ème siècle. Surtout, il a fait l'objet d'une édition copieusement annotée en 1933 5, et c'est essentiellement sur ce remarquable travail que s'appuient les présentes notes. Examinons à présent ce que l'étude du texte arabe peut nous apprendre. Si nous laissons de côté les passages qui n'ont pas été traduits, il reste principalement ceci : 3 Répétons que seule la première partie du traité a été traduite en latin, sans d'ailleurs que cela soit justifié au moins par une division en deux parties distinctes de l'original. Dans la partie traduite, plusieurs passages plus ou moins longs ont été omis (par exemple, p. 45, après « premier œuvre », il manque 62 vers, et un peu plus loin, après « Abarnahas imparfait », manque un passage d'une quinzaine de lignes contenant des citations d'Aros s'adressant au roi Théodoros et de Dhu-l-Nûn al-Miçrî notamment). Le dernier paragraphe du texte latin (« Explication des Aigles ») n'est en revanche pas une traduction, mais plutôt une sorte de résumé qui a ensuite été placé à la fin du texte. Le Kitâb al-mâ' al-waraqî… proprement dit, c'est-à-dire le commentaire en prose, commence au titre intercalaire Coagulatio du texte latin (page 26 de l'édition française). 4 Rosinus est une déformation de Zosime. 5M. Hidâyat Husain, H.E.Stapleton, M. Turâb Alî : Three arabic treatises on Alchemy by Muhammad bin Umail, Mem. Asiat. Soc. Bengal, vol. XII, n°1 (1933). - certains passages ont été déformés au point d'en devenir franchement incompréhensibles; - certains mots ont été mal lus et donc mal traduits, modifiant sensiblement le sens du texte; - certains termes ont été laissé tels quels par le traducteur et sont devenus de ce fait de véritables énigmes, alors que leur sens n'a rien de mystérieux lorsqu'on connaît le mot arabe correspondant; - dans certains cas enfin, il peut exister en arabe un double sens qui n'apparaît pas dans la traduction. Ce uploads/Litterature/ a-propos-du-livre-de-senior 1 .pdf
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- Publié le Fev 24, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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