Document généré le 8 fév. 2018 07:51 Québec français Edouard Glissant et l’hist
Document généré le 8 fév. 2018 07:51 Québec français Edouard Glissant et l’histoire antillaise Katell Thébaudeau Littératures de la francophonie Numéro 127, automne 2002 URI : id.erudit.org/iderudit/55804ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Publications Québec français ISSN 0316-2052 (imprimé) 1923-5119 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Thébaudeau, K. (2002). Edouard Glissant et l’histoire antillaise. Québec français, (127), 33–38. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Les Publications Québec français, 2002 LITTER ATl'Ri: if Au XVIII siècle les esclaves qui tentaient de s'échapper étaient poursuivis par des hordes de chïei loto © Bridger ire antillaise PAR KATELL THEBAUDEAU* S j agissant de mettre au jour une problématique historique dans l'œuvre tant ro- manesque que théorique du Martiniquais Edouard Glissant, il convient de se tour- ner vers son Discours antillais1, publié en 1981. En effet, dans cet essai extrê- mement fouillé, pour la rédaction duquel l'auteur convoque autant les sciences humaines que la littérature, la poésie, la philosophie ou encore la sémiologie, Glissant s'est penché avec beaucoup d'attention sur la relation que les Antillais entretiennent avec leur his- toire, puisqu'il entreprend d'y analyser en profondeur les multiples facettes de la sourde mécanique qui a conduit la Martinique et la Guadeloupe, actuels départements français d'outre-mer, à expérimenter ce qu'il qualifie de « stade suprême de toute colonisation2 ». De fait, selon lui, les Antilles françaises sont aux prises avec un processus d'assimila- tion en voie d'achèvement, une mécanique de dépersonnalisation et d'absorption dans la métropole qui fait d'elles l'objet d'« une des rares colonisations réussies de l'histoire moderne' ». À l'époque, en rendant compte de la qualité de l'ouvrage, le journal Le Mon.de avait titré sur l'évident assassinat culturel des Antillais4, tant la démonstration était écla- tante, et en 1994, lors d'une rencontre organisée par l'Université de Perpignan (France) autour du thème « Société et littérature antillaises aujourd'hui », Glissant réitérait cette condamnation sans appel d'un système colonial qui n'ose plus dire son nom et avance masqué, sous couvert de « départementalisation » : « En ce qui concerne la situation de la Martinique aujourd'hui, ce n'est pas être anti-français de dire qu'il s'agit là d'un sys- tème colonial dans sa plus grande pureté. Il y a de l'argent public pris sur les impôts des citoyens français qui est injecté dans les pays francophones de la Caraïbe. Avec cet ar- gent injecté dans ce pays où il y a 30 à 40 % de chômeurs, mais où 40 % d'employés de la fonction publique ont 40 % de supplé- ment par rapport à leurs équivalents fran- çais, les produits français sont introduits sur le marché ainsi balisé et établi en exclusi- vité et en privilège. (...] C'est un marché réservé et sur ce marché tous les bénéfices privés rentrent en France. L'argent public est déversé et l'argent privé rentre : c'est une forme parfaite de colonialisme5 » . AUTOMNE 2002 | Québec français 127 | 11 C'est précisément pour mettre au jour les rouages de ce processus d'assimilation à outrance, tels qu'ils se sont organisés dans le temps, que Glissant se livre au fil de ses analyses développées dans Le discours an- tillais à une relecture de l'histoire antillaise. Pour Glissant, le discours sur l'Histoire qui s'élabore aux Antilles a ceci de problé- matique qu'il est faussé dès l'abord par une erreur de point de vue, un problème de pers- pectives qui confine à la supercherie. Ce qu'il reproche à l'Histoire officielle de la Martinique telle que diffusée couramment, c'est avant tout sa surdétermination par rap- port à l'Histoire de France6. La tendance veut, en effet, que l'on structure la chrono- logie antillaise, d'une part, en l'articulant à la liste des découvreurs et gouverneurs qui se sont succédés à la tête du pays, et, d'autre part, en la divisant en termes de siècles, rè- gnes, guerres ou autres jalons. Pour autant qu'ils conviennent à l'articulation d'une chronologie de la métropole, ceux-ci man- quent d'efficience lorsqu'il s'agit de mettre au jour une histoire réelle de la Martinique. Cette périodisation calquée sur celle de l'Histoire de France n'est, selon lui, qu'un avatar de la pensée assimilée, relayée par les historiens locaux, parce que fort conforta- ble dans la mesure où « elle dispense d'avoir à fouiller plus avant7 ». Or, l'objectif premier de cette publication polémique étant préci- sément de « crier le pays dans son histoire vraie8 », Glissant va désamorcer cette logi- que assimilatrice, et suggérer une nouvelle périodisation de l'histoire antillaise, suscep- tible de correspondre à la vision interne qu'en auraient les Martiniquais et les Quadeloupéens. Au nombre de ses propositions, l'on peut mentionner une approche qu'il qualifie d'« Histoire par pans9», qui consisterait à centrer l'histoire martiniquaise non plus sur les événements structurant la chronologie historique de la Métropole, mais plutôt sur une histoire de la canne à sucre, la culture de la canne ayant été dans l'Amérique des Plan- tations le moteur de tout développement et l'enjeu premier des orientations politiques ou économiques décidées par les puissances co- lonisatrices. Ce recentrage de l'histoire po- pulaire sur celle de la canne à sucre permet de mettre au jour des périodes significatives. Glissant en distingue sept que voici : 1 d'abord la Traite et le Peuplement des îles, motivés tous deux par la nécessité d'importer une main-d'œuvre apte à tenir compte du climat tropical et à amorcer le développement des cultures de la canne à grande échelle ; 2 puis l'Univers servile, régi par des impératifs de production et de rentabilité des exploitations sucrières ; 3 cet univers servile ayant trouvé son mode de fonctionnement, on entre alors dans une période où le scheme de la Plantation s'érige en système, se généralise ; 4 suit l'apparition d'une élite, souvent mulâtre, issue d'esclaves libérés pour des raisons particulières, avant l'abolition de l'esclavage, et la naissance des bourgs à la suite de la Libération de 1848 ; 5 la période suivante est celle de la victoire de la betterave sur la canne à sucre, cause de l'effondrement du système des Plantations, aux répercussions économiques désastreuses dans les îles ; 6 suit l'assimilation légiférée, en 1946, comme issue proposée aux Antilles françaises ; 7 depuis plane, selon Glissant, sur les DOM une menace de néantisation caractérisée par le risque de dilution des sociétés martiniquaise et guadeloupéenne dans la Métropole française, du fait de la politique d'assistanat menée par cette dernière10 Menottes utisees par les marchands d'esclaves. Cette nouvelle périodisation, centrée sur l'histoire de la culture de la canne, lui pa- raît susceptible de réamorcer une dialectique féconde entre nature et culture antillaises. Elle met en évidence, de surcroît, un fait incontestable et lourd de conséquences : les changements décisifs qui commandent aux articulations de ces périodes temporelles, outre qu'ils sont dictés par les enjeux pécuniaires liés à l'économie sucrière, ont toujours été imposés aux peuples antillais de l'extérieur et en fonction d'une autre histoire. Ils n'ont jamais été le fait de la libre volonté des populations. De ce point de vue, Glissant dia- gnostique chez l'Antillais un syndrome de non-histoire causé par l'absence de toute par- ticipation de la collectivité aux prises de décisions faites en son nom. Il affirme : « Pour un peuple qui ne s'exprime pas, pour un peuple mentalement asservi, il n'y a pas d'évé- nements, il n'y a que la non-histoire : l'absence à toute décision et à toute maturation qui le concernent11 ». Cette dépossession engendre chez le Martiniquais et le Guadeloupéen, floués de toute initiative, une relation à l'histoire puissamment névrotique, pathologique presque : « Nous pouvons être malades de l'histoire quand nous la subissons passivement tout en n'échappant pas à son poids taraudant. L'histoire (ainsi que la littérature) est à même de nous labourer, comme conscience et comme cheminement de la conscience, comme névrose (signe d'un manque) et tassement de l'être12 ». L'essayiste précise que la réalité de ce mal-être en termes de positionnement face à l'histoire se traduira, entre autres, par le recours populaire, en matière de datation et de souvenir, non pas à la chronologie officielle, mais plutôt à un calendrier éclaté qui se structure en ne tenant compte que de repères reconnus par tous, à savoir la mémoire des événements naturels, comme les cyclones, les éruptions volcaniques, les périodes de sé- cheresse, les crues ou les inondations. À l'évidence, ces phénomènes naturels - dont l'ampleur suffit à marquer les mémoi- res - en viennent à tenir lieu de jalons, de signaux temporels et ils font sens dans des communautés qui ne se reconnaissent pas dans la chronologie proposée par l'Histoire officielle. Ils permettent, en quelque sorte, d'appréhender différemment l'histoire, dans uploads/Litterature/ edouard-glissant-et-l-x27-histoire-antillaise.pdf
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- Publié le Mai 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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