Emma Bovary – rêve, adultère, suicide Gustave Flaubert est généralement classé
Emma Bovary – rêve, adultère, suicide Gustave Flaubert est généralement classé parmi les écrivains réalistes, même s’il refuse ce qualificatif. Flaubert est certes un observateur, et son travail littéraire repose sur une large documentation, mais ses oeuvres sont avant tout le produit d’un style unique, lentement travaillé. Pour cette raison, Flaubert préférait dire que ses oeuvres ne renvoyaient à rien d’autre qu’à elles- mêmes. « Madame Bovary », roman paru en 1857, marque un point-carrefour dans l’histoire du roman français. Bien qu’il soit des soutenants que ce roman est inspiré par un fait réel, choisi par sa banalité même (l’adultère et le suicide d’une provinciale, Delphine Delamare), Flaubert soutient bien le contraire : « Madame Bovary n'a rien de vrai. C'est une histoire totalement inventée ; je n'y ai rien ni de mes sentiments, ni de mon existence. L'illusion (s'il y en a une) vient au contraire de l'impersonnalité de l'oeuvre. C'est un de mes principes, qu'il ne faut pas s'écrire. L'artiste doit être dans son oeuvre comme Dieu dans la création, invisible et tout puissant ; qu'on le sente partout, mais qu'on ne le voie pas. » (Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie 18 mars 1857). Emma Bovary montre certaines ressemblances avec Louise Colet avec qui Flaubert eut une relation agitée. Et Flaubert eut raison lorsqu’il répondit à ceux qui l’interrogèrent sur l’identité de son héroïne: «Madame Bovary, c’est moi». En effet, c’est lui le créateur du personnage d’Emma, c’est lui qui dépeint les amours et les tourments de cette jeune femme dont les aspirations sont étouffées par les mesquineries d’un milieu médiocre. Son génie a su donner à la figure d’Emma une grandeur classique, capable d’émouvoir les hommes et les femmes de toute époque. L’oevre trahit des liens profonds avec le réalisme , qui s’attachait a la peinture des moeurs contemporaines. Mais l’héroïne, Emma Bovary, dépasse la dimension d’un personnage à clef pour s’ériger en type humain et social, et pour prêter son nom à un mal de la personnalité : le « bovarysme » - faculté de ce concevoir autre qu’on n’est réellement. Flaubert insiste sur la formation d’Emma, fortement marquée par les années passées au couvent, dans un milieu aristocratique, où s’esquisse le « mensonge romantique » d’une existence luxueuse et passionnée. Ce mythe nourrit des rêveries qui viennent compenser la monotonie de sa vie. Le mariage avec « Charbovari », médecin médiocre de province, la vie à Tostes, puis à Yonville, les amours pour Léon et pour Rodolphe, ne sont qu’une suite de déceptions, comparées jour après jour aux châteaux et aux velours, aux amants magnifiques qu’elle n’a pas. Emma Bovary n’est pas un être d’élite, mais une petite bourgeoise provinciale, un être médiocre, autant de point de vue de son intelligence que de son aptitude d’aimer. Elle tombe en rêverie, mais ses rêves contiennent des lieux communs, qu’elle ne peut pas peupler de sentiments authentiques. Le luxe et le bonheur, la passion et la richesse sont un tout pour elle, un tout centré autour d’elle. Son émotion est plutôt sensuel et volupteux qu’un sentiment, qui ne tient pas de l’élévation de son coeur ou de son âme. Le personnage Emma Bovary est le symbole de la femme insatisfaite tout come Arpagon est le type universel de l’avare. Elle souffre d’une maladie commune aux femmes: vouloir l’impossible. Emma symbolise une nouvelle image de la femme mal mariée : celle qui se pense comme telle, sans raison caractérisée, et à l’insu même de son partenaire. Charles Bovary n’a aucun soupçon des dégoûts qu’il provoque dans l’esprit de son épouse. L’un et l’autre vivent enfermés dans un monde de valeurs opposés : pour Charles, le bien-être bourgeois et la vie de famille, la campagne ; pour Emma, le désir de vie mondaine, de passion et d’imprévu, la grande ville. On voit à travers les répulsions d’Emma, un nouveau topos : l’incommunicabilité radicale du couple, une incompréhension réciproque d’autant plus frappante qu’elle ne s’exprime par aucune dispute ni aucun conflit déclaré. Les déroutes sentimentales d’Emma et son échec conjugal ne sont peut-être que les symptômes d’un malaise profond qui vient d’ailleurs. Emma souffre d’un véritable désespoir existentiel qui ne paraît motivé que par de vagues aspirations déçues. Élégances, luxe, haute société, inattendu, aventure sentimentale constituent les seuls manques d’une vie par ailleurs équilibrée et confortable. Flaubert est le premier romancier à faire de cette petite tragédie morale l’objet d’une mise en scène littéraire détaillée et à montrer que l’on peut mourir de ne pas jouir du superflu. « Ma Bovary sans doute souffre et pleure dans vingt villages de France à la fois, à cette heure même » écrit Flaubert aussi bien que « il m'a fallu descendre bas, dans le puits sentimental. Si mon livre est bon, il chatouillera doucement mainte plaie féminine. - Plus d'une sourira en s'y reconnaissant. J'aurai connu vos douleurs, pauvres âmes obscures, humides de mélancolie renfermée, comme vos arrière-cours de province, dont les murs ont de la mousse. - Mais c'est long... c'est long ! » (Lettre à Louise Colet 1er septembre 1852). Emma Bovary représente la faillite d’un certain romantisme, d’un idéal d’exaltation et d’évasion devenu déjà conventionnel confronté avec la banalité de la vie bourgeoise. La fatalité qui mène Emma au suicide est un destin conçu en termes historiques et sociaux concrets : la faillite du fermier, le manque de spiritualité de l’église, l’emprise toujours grandissante de l’argent sur tous les aspects de la vie. Dans cet antourage, Emma, avec ses rêves, son manque de savoir-vivre, devait finir mal. « Bovary m'ennuie. Cela tient au sujet et aux retranchements perpétuels que je fais. Bon ou mauvais, ce livre aura été pour moi un tour de force prodigieux, tant le style, la composition, les personnages et l'effet sensible sont loin de ma manière naturelle. Dans Saint Antoine j'étais chez moi. Ici, je suis chez le voisin. Aussi je n'y trouve aucune commodité.» (Lettre à Louise Colet 13 juin 1852). Dans le roman il s’agit d’un ennui physiquement, mais aussi psychologique ; il y a des moments où rien ne se passe, qui n’annoncent ni n’achèvent rien, où l’atmosphère est lourde d’un ennui profond qui va jusqu’au désespoir. Mais, il n’y a pas d’issue possible de ce monde ennuyeux, le personnage étant incapable de dépasser sa condition. Dans ce monde de bêtise médiocre, formé d’illusions, d’habitudes et de lieux communs, chacun reste seul à jamais sans comprendre l’autrui, ou être compris par l’autrui. Emma s’ennuie, du début à la fin du roman. Jeune fille vivant seule avec son père dans un village, elle s’ennuie en rêvant aux amours décrits dans les romans. Elle rencontre Charles Bovary, médecin de la région venu soigner son père et accepte de l’épouser, croyant enfin avoir rencontré „ce grand amour” auquel elle ne cesse de penser. Mais le désenchantement arrive bien vite et Emma se retrouve prisonnière d’un mariage avec un homme médiocre et d’une vie morne loin des fastes parisiens auxquelles elles aspirait. Là commence la descente aux enfers d’Emma Bovary, qui se compromettra par de multiples liaisons et une folie dépensière. Emma souffre et finit par mourir de ne pouvoir donner forme dans son expérience à des représentations littéraires (les rêves romantiques de sa jeunesse) et à des préjugés sociaux (les fascinations de la petite bourgeoisie provinciale pour l’aristocratie locale et le grand monde de la ville). Le mythe d’Emma est inséparable d’une transcendance tragique (la toute-puissance des idées reçues) et de sa déconstruction critique. Parmi les stéréotypes qui pilotent la conduite d’Emma, le mythe romantique de l’adultère passionnel la conduit avec enthousiasme à sa première aventure extra-conjugale avec Rodolphe :« Elle se répétait : « J’ai un amant ! un amant ! » se délectant à cette pensée comme à celle d’une autre puberté (...) Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire (...) Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu’elle avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire (...) » Abandonnée par son premier amant qui la dominait et qui a fini par se lasser d’elle, Emma tente une nouvelle expérience avec le jeune Léon qu’elle domine, mais dont elle finit à son tour par se dégoûter. Flaubert conclut par une formule qui le conduira tout droit devant les tribunaux :« Emma retrouvait dans l'adultère toutes les platitudes du mariage. » Au terme de ses expériences, l’héroïne se retrouve plus démunie que jamais, moralement mais aussi matériellement, selon un parallélisme de l’échec sentimental et de la déroute financière qui constitue probablement l’une des significations fortes de ce mythe moderne. Emma a cherché, sans succès, à avoir un amant comme elle s’est dotée, avec moins de satisfaction encore, d’une panoplie d’objets substitutifs jouant le rôle de signes du bonheur : vêtements de luxe, colifichets orientalisants, accessoires à la mode, mobilier, cadeaux à ses amants, etc. Sa vie sentimentale et rêveuse est inséparable d’un empire de plus en plus étendu d’objets-fétiches qui matérialisent des stéréotypes et dont elle s’entoure, uploads/Litterature/ emma-bovary.pdf
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- Publié le Dec 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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