Écrire, écrire, pourquoi ? Cycle de rencontres organisé par la Bpi Lundi 8 févr

Écrire, écrire, pourquoi ? Cycle de rencontres organisé par la Bpi Lundi 8 février 2010 Invitée : Annie Ernaux Entretien avec Raphaëlle Rérolle Écoutez les rencontres sur le site : http://archives-sonores.bpi.fr. Catalogue des éditions : http://editionsdelabibliotheque.bpi.fr/ Distribution numérique par GiantChair.com © Éditions de la Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2010 ISBN 978-2-84246-143-0 ISSN 1765-2782 Président du Centre Pompidou Alain Seban Directeur de la Bpi Patrick Bazin Responsable du pôle Action culturelle et Communication Philippe Charrier Chef du service Animation Emmanuelle Payen Chef du service Édition/Diffusion Arielle Rousselle Colloque Conception et organisation Francine Figuière Publication Chargée d’édition et de mise en page Julie Baudrillard Avertissement : L’adaptation de cet entretien de l’oral à l’écrit a pu entraîner des modifications de style ou de forme, ce qui explique les différences éventuelles entre cette publication et l’enregistrement réalisé lors de la rencontre. Annie Ernaux © Éditions de la Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2010 ISBN 978-2-84246-143-0 Entretien avec Raphaëlle Rérolle Rédactrice en chef adjointe du Monde des Livres Annie Ernaux naît en 1940 à Lillebonne et grandit à Yvetot en Normandie où ses parents tiennent un café-épicerie. Cet ancrage social et géographique marquera son œuvre. Après des études supérieures, elle obtient l’agrégation de lettres et devient enseignante. Ses premiers romans sont écrits à la première personne. Elle y transpose ses expériences d’enfant, d’adolescente et de jeune femme (Les Armoires vides, Ce qu’ils disent ou rien, La Femme gelée), marquées par le clivage entre le milieu social modeste et populaire de ses parents et l’environnement bourgeois de ses études. À partir de son récit La Place qui évoque son père et lui vaudra le prix Renaudot en 1984, elle renonce à tout recours à la fiction pour relater des éléments intimes : le « je » du texte cor­ respond désormais à l’auteur. Avec une écriture sèche, sans ornementation stylistique, elle poursuit son investigation familiale, raconte des événements de sa vie, évoque sa mère dans Une femme, un avortement dans L’Événement, une histoire d’amour dans Passion simple, son cancer dans L’Usage de la photo. Dans un dernier livre, Les Années, elle revient sur soixante années de sa vie. Tous ses livres, qualifiés par elle-même d’« auto-socio-biographiques », ne cessent d’explorer l’intime et le social dans un même mouvement. « Écrire, dit-elle, c’est rechercher le réel parce que le réel n’est pas donné d’emblée. C’est un acte politique. » Aux Éditions Gallimard Les Armoires vides, 1974, Folio 1984 Ce qu’ils disent ou rien, 1977, Folio 1989 La Femme gelée, 1981, Folio 1987 La Place, 1983, Folio 1986, réédition avec notes, présentation et dossier par Kim-Lan Appéré, 2010 Une femme, 1987, Folio 1990 Passion simple, 1991, Folio 1994 Journal du dehors, 1993, Folio 1995 La Honte, 1996, Folio 1999 Je ne suis pas sortie de ma nuit, 1996, Folio 1999 La Vie extérieure, 2000, Folio 2001 L’Événement, 2000, Folio 2001 Se perdre, 2001, Folio 2002 L’Occupation, 2002, Folio 2003 L’Usage de la photo, en collaboration avec Marc Marie, 2005, Folio 2006 Les Années, 2008, prix Marguerite Duras 2008, prix François Mauriac 2008, Folio 2010 Et aussi… L’Écriture comme un couteau, entretien avec Frédéric-Yves Jeannet, Stock, 2003 © Éditions de la Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2010 ISBN 978-2-84246-143-0 4 Annie Ernaux Entretien avec Raphaëlle Rérolle Francine Figuière : Bonsoir, nous recevons ce soir avec un très grand plaisir Annie Ernaux. Nous allons tenter d’approcher avec elle l’acte d’écrire, et c’est Raphaëlle Rérolle, rédactrice en chef adjointe du Monde des livres, qui nous servira de guide dans cette exploration. Je vous souhaite une très bonne soirée en leur compagnie. Raphaëlle Rérolle : Bonjour à tous. Bonjour Annie Ernaux. Je suis très heureuse de participer à ce débat et de vous entendre parler autour de cette question « Écrire, écrire, pourquoi ? », et cela pour trois raisons. La première est que j’admire vos livres. La deuxième est que cette question, du pourquoi écrire, est la question la plus audacieuse et difficile qui soit. C’est une question fondamentale et presque impossible à poser, ou souvent évacuée comme telle. Pourquoi écrit-on ? C’est une question légitime, évidemment, mais les causes, les raisons sont si variées, si profondes qu’on a parfois peur de mettre la main dessus, ou de ne pas arriver à le faire. La troisième, c’est qu’il y a peu d’écrivains dans le paysage de la littérature française avec lesquels il me semble aussi passionnant d’aborder la question qu’avec vous : en effet, vous n’avez cessé de vous interroger sur les mécanismes de l’écriture, sur la légitimité de ce geste, sur la manière de représenter le réel. Vos livres, que vous définissez vous-même comme « auto-socio-biogra­ phiques », puisent largement dans vos souvenirs personnels pour dresser bien autre chose qu’un portrait personnel. Au-delà de votre propre personne – cette femme née en Normandie dans une famille modeste, devenue insti­ tutrice, puis agrégée de lettres –, Annie Ernaux, il y a une génération, celle qui émerge par exemple des Années – livre que vous avez publié en 2008 –, une condition sociale, une suite d’expériences universelles ; il y a aussi le rapport au père dans La Place, à la mère dans Une femme, à la maladie de la mère, à un avortement, au passage du temps… De livre en livre, vous construisez une sorte d’autobiographie collective, qui nous concerne tous. À cause de cela, vous nous touchez ; ou plutôt, vous touchez en nous une part d’humanité partagée, ce qui est l’un des grands rôles de la littérature. Les effets pourtant, au sens littéraire du terme, sont réduits à leur plus simple expression : votre écriture est dépouillée, de plus en plus dépouillée au fil des livres, elle est clinique, sèche, et je crois même que vous avez employé le terme de « plate » pour la définir. La recherche de la vérité passe par un souci d’exactitude presque maniaque, documentaire. Et pourtant, je le confesse, vous me faites pleurer et je pense que je ne suis pas la seule. Alors, pardonnez-moi d’entrer en matière de manière si peu orthodoxe, Annie Ernaux, mais pourquoi est-ce que vous me faites pleurer ? Et d’abord, cherchez-vous à me faire pleurer ? Annie Ernaux : Non, je ne cherche jamais à faire pleurer. J’écris sur des choses qui me touchent depuis longtemps, des thèmes, des questions, des douleurs, que la psychanalyse appellerait « indépassables » – que ce soit la mort d’un père, d’une mère, un avortement, un sentiment de honte… Ces choses sont enfouies et j’essaie de les mettre au jour, mais d’une façon qui ne soit pas seulement personnelle. Il s’agit de sortir de moi-même, de regarder ces choses et de les objectiver. C’est un grand mot, « objectiver », mais cela veut dire mettre à distance ce qui est arrivé. Je ne suis pas dans la recherche © Éditions de la Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2010 ISBN 978-2-84246-143-0 5 Annie Ernaux Entretien avec Raphaëlle Rérolle de l’émotion, même si, effectivement, j’écris à partir de quelque chose que l’on peut appeler une émotion. Je reçois très souvent des sollicitations pour des commandes de textes. Mais je ne peux pas, c’est trop violent pour moi, car ainsi je ne partirais pas de quelque chose d’important pour moi, qui me plonge dans l’écriture jusqu’au tréfonds de moi-même, là où la place du moindre mot compte. J’écris toujours à partir de quelque chose de fortement ressenti. Pour me faire comprendre, je vais vous lire un extrait du début de L’Événement, où je m’interroge sur le moment où j’ai commencé à écrire sur cet avortement clandestin, datant de plus de quarante ans – et je ne sais pas ce que deviendra ce texte. Lecture de L’Événement par Annie Ernaux : Avec ce récit, c’est du temps qui s’est mis en marche et qui m’entraîne malgré moi. Je sais maintenant que je suis décidée à aller jusqu’au bout, quoi qu’il arrive, de la même façon que je l’étais, à vingt-trois ans, quand j’ai déchiré le certificat de grossesse… (Écouter la suite sur archives sonores, repère : 7 min 07 s) C’est ce « c’est ça » que j’essaie d’atteindre à travers l’écriture. Ce « ça » est quelque chose de très fort pour moi, mais que je ne peux pas le définir… C’est peut-être de là, de ce socle d’émotions, de douleurs – plus souvent que de bonheur, je le reconnais hélas –, que sort mon écriture et c’est pourquoi, alors, je vous touche. Raphaëlle Rérolle : Les livres d’Annie Ernaux, son écriture, suscitent des réactions, pas seulement des larmes, mais beaucoup d’interrogations, de désir de communication et de partage : nous laisserons donc du temps à notre audi­ toire pour poser des questions. Mais j’aimerais d’ores et déjà vous demander que vos interventions soient des questions et non des témoignages. J’aimerais revenir sur un mot que vous avez prononcé. Vous avez dit : « aller jusqu’au bout ». En fait, dans cette quête d’exactitude et de vérité, de faire surgir ce qui est, il y a une grande radicalité… Annie Ernaux : Quand j’emploie l’expression « uploads/Litterature/ entretien-avec-annie-ernaux.pdf

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