Centre International d’Études Francophones Entretien avec Leïla Sebbar 4 mai 20
Centre International d’Études Francophones Entretien avec Leïla Sebbar 4 mai 2011 Anne Douaire-Banny : Pour commencer, je voudrais partir de la présentation que vous faites de vous-même sur un site internet hébergé par l’Université Swarthmore, où vous vous présentez comme étant née à Aflou, sur les Hauts-Plateaux algériens, d’un père algérien et d’une mère française, tous deux instituteurs. Vous parlez rapidement de l’itinéraire de votre père, qui est incarcéré pendant la guerre d’indépendance d’Algérie. En 1961, vous partez terminer vos études de lettres à la Sorbonne, où vous faites un doctorat sur Le mythe du bon nègre dans la littérature française coloniale au XVIIIe siècle, d’ailleurs publié dans la revue Les Temps Modernes en deux livraisons. S’ensuit toute une période d’investissement collectif avec des femmes dans le mouvement féministe, notamment autour de la revue Histoire d’Elles, la revue Sorcières, ou encore Les Cahiers du GRIF, et vous indiquez que c’est après cette période d’engagement collectif dans le féminisme, où vous travaillez de manière universitaire sur un certain nombre de problématiques, que vous en arrivez à la fiction, qui mêle enquête de terrain et travail narratif singulier, et il semble, dans votre manière de présenter le parcours, qu’il y ait une charnière en 1986, avec la publication des Lettres parisiennes, sous-titré « Autopsie de l’exil » ou « Histoire d’exil »… Leïla Sebbar : La première édition, c’était Autopsie de l’exil. Les éditions J’ai lu ont eu peur du mot « autopsie » et l’ont intitulé « histoire d’exil ». Je ne me rappelle pas si à l’intérieur on a gardé « autopsie » en sous-titre. A. D-B : Après vérification, le sous-titre en couverture est « histoire d’exil » et, à l’intérieur, « autopsie de l’exil ». L. S : Je pense qu’avec Nancy [Nancy Huston, co-auteur du texte], on a dû exiger que ça apparaisse… A. D-B : Y a-t-il eu des manipulations sur le texte, ou des coupes ? L. S : Non, aucune. A. D-B : J’ai la première édition en poche, imprimée en 1999, et là, même à l’intérieur, le sous-titre est redevenu « Histoire d’exil »… L. S : C’est intéressant de voir ça. C’est idéologique, bien sûr. A. D-B : Ce texte est une charnière, puisque, je vous cite dans cette biographie : « L’exil, comme territoire de l’écriture, devient une terre singulière où s’écrit une littérature étrangère, où s’invente un monde qui mêle l’intime et le politique, l’intime et le poétique, où s’exerce un regard qui rend visible l’invisible d’un réel déplacé, complexe, souvent violent. Peut-être pourrait-on parler d’une esthétique de l’exil. » Et dernier temps – c’est un texte de 2007 donc votre vision de votre carrière d’écrivaine a peut-être changé depuis – de votre travail d’écriture, davantage tourné vers l’autobiographie collective, avec des travaux comme Mes Algéries en France, Les Algériens au café, Journal intime et politique... Cette présentation de l’écrivaine Leïla Sebbar vous satisfait-elle ou souhaitez-vous ajouter des choses ? L. S : Oui, ça me satisfait. (Rire général) A. D-B : Le dernier axe de votre travail, vous l’appelez « autobiographie collective »… L. S : C’est de l’autobiographie collective avec de l’imagerie. C’est la nouveauté. Parce que des textes autobiographiques, j’en ai écrit, dans des recueils collectifs que j’ai dirigés en général. C’était d’abord sans images, ensuite avec les portraits d’enfance des écrivains, puisqu’il s’agissait toujours d’enfances d’écrivains. Je continue d’ailleurs, dans ce sens, puisque j’ai publié dernièrement deux collectifs : Une enfance corse et Une enfance tunisienne, et donc cette trilogie1, avec de l’image, c’est nouveau. A. D-B : Comment en êtes-vous venue à insérer des images directement dans les textes ? L. S : Parce que j’ai trouvé un éditeur [Bleu autour] qui n’était pas effrayé par ce projet, et que j’avais ce projet en tête depuis longtemps. C’était donc précieux de trouver un éditeur qui était séduit par l’idée et qui était aussi capable de la mener jusqu’au bout avec moi, parce que cette édition-là en trois volumes, c’est coûteux, c’est un travail d’édition, c’est un travail de maquettes, c’est aussi un travail de recherches de documents, de corpus, etc. A. D-B : J’aimerais qu’on revienne sur les illustrations de Sébastien Pignon, qui travaille – ce qui nous intéresse ici particulièrement – dans Isabelle l’Algérien, mais également dans beaucoup de vos textes. Cela peut s’expliquer par une certaine proximité, mais j’imagine que ce n’est pas uniquement ce lien qui vous donne envie de faire dialoguer vos textes avec ses illustrations. L. S : Sébastien Pignon, c’est mon fils, je peux le dire (légers rires), je ne sais pas s’il serait d’accord pour que je le dise, mais c’est dans le domaine public, donc il ne peut pas le nier… Et c’est le petit-fils d’un peintre qui s’appelle Edouard Pignon, qui aujourd’hui est mort, et qui faisait partie de ce que l’on a appelé l’École de Paris avec Manessier, Soulages, un certain nombre de peintres de cette époque-là, et donc il y a une espèce de collaboration avec Sébastien, qui est une collaboration un peu particulière : depuis des années – il dessine depuis l’âge de trois ans, ça fait beaucoup !(rires) –, on a une sorte de contrat, je lui passe des commandes. Il est allé une fois en Algérie – il est allé une fois au Maroc aussi –, quand il avait dix ans, avec mes parents. Je ne sais pas s’il a des souvenirs, je pense que oui, mais je n’en ai pas tellement parlé avec lui… Et quand les commandes lui conviennent, il dessine, ou il peint, ou il fait des lavis, des dessins à l’encre de Chine comme dans Isabelle l’Algérien, ou des aquarelles, ou des gravures, toutes sortes de techniques… Quand ça ne lui convient pas (légers rires), il ne le fait pas (rire général). A. D-B : Ce sont des commandes « souples » ! L. S : Oui, enfin, de sa part (rires), je ne peux rien faire à ce moment-là… Et donc je crois que la collaboration est ancienne, et ce que je lui commande sont toujours des commandes qui ne le concernent pas, ou pas directement. C'est-à-dire que l’Algérie, le Maghreb, toute cette histoire, ne le concerne que de loin. Il se trouve que c’est mère, que son grand-père maternel sont directement impliqués… Il suit l’actualité politique, qui l’intéresse, mais c’est loin. Pour lui, c’est le lointain. Il est allé jusqu’à faire des dessins ou des lavis sur l’Égypte, la Turquie, 1 Mes Algéries en France (2004), Journal de Mes Algéries en France (2005), Voyage en Algérie autour de ma chambre. Abécédaire (2008), textes publiés par Bleu Autour. enfin disons l’Orient largement. L’Orient m’intéresse, moi. Je ne suis pas sûre que ça l’intéresse, lui. Mais c’est une sorte de pari, de défi, je pense, et tout ce qu’il a fait, chaque fois que je lui ai demandé quelque chose, m’a plu, m’a convenu. Oui, ça m’a plu. Donc j’ai gardé, j’ai des cartons à dessins qui m’encombrent (rires), j’ai déjà beaucoup de dossiers chez moi, et avec des dessins de lui. Et pour ces livres, cette trilogie de Mes Algéries en France, j’ai retrouvé des dessins de lui qui me plaisaient – je ne me rappelle pas s’ils sont tous datés – et que j’ai choisis pour l’iconographie, mais ça ne signifie pas qu’il les ait faits, sur le moment, pour le livre. Je ne suis pas sûre... Il faudrait faire un travail précis sur les dessins, et les dates, etc. Donc le premier qu’il ait fait, ce n’était pas dans la perspective d’un livre. Je lui avais demandé des dessins d’Algériens au café. Et aujourd’hui, les Algériens au café, ceux qu’on appelle les « chibani », c’est-à dire les vieux, ceux de la première génération, qui étaient dans des cafés arabes, disparaissent, ils meurent. Ces cafés arabes disparaissent. Il y en a encore, il faut aller les chercher, mais il y en a en a de moins en moins. Quand j’avais demandé à Sébastien – c’était il y a une dizaine d’années –, il y en avait encore un certain nombre, et il allait dans les cafés, avec un petit encrier et une plume, de quoi dessiner à l’encre de Chine, il se mettait sur un coin du comptoir et il dessinait. Il a fait comme ça un certain nombre de dessins à la plume. Un jour, il a failli avoir des problèmes parce qu’on l’a pris pour un détective… A. D-B: C’était suspect… L. S : Ce n’était pas suspect pour les vieux qui étaient là, c’était suspect pour le patron. C’est le patron qui s’inquiétait, ce n’étaient pas les clients. Les clients jouaient aux dominos, ils regardaient mais sans s’en inquiéter. C’est le patron qui s’en est inquiété et ça a failli tourner mal. Mais Sébastien a su défendre ses dessins et ne les a pas laissés au patron. Et donc, à partir de ce corpus, j’ai fait Les Algériens au café, qui est un collectif algérien et pas seulement algérien, qui réunit uploads/Litterature/ entretien-avec-leila-sebbar.pdf
Documents similaires










-
33
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mar 28, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2367MB