Université de Gabes Institut supérieur des langues Département de français Nive
Université de Gabes Institut supérieur des langues Département de français Niveau : 3 ème année L F Module : Civilisation Matière : T.D Question de littérature du XX ème siècle Durée : 2h Semestre II Thématique : « L’écriture féminine au XXe siècle » Simone de Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée Explication linéaire Extrait : « Nous suivîmes la route de corniche » jusqu’à « une grande sœur consolante ». pp. 195-196. Introduction « On ne nait pas femme on le devient », écrivait Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe en 1949 ; phrase maintenant devenue cliché, mais à son époque, emblématique de la pensée féministe, du désir d’émancipation et la femme, et du scandale qui a entouré l’œuvre. De l’alliance entre le genre autobiographique et les réflexions sur le féminin est née l’œuvre mémorielle de Simone de Beauvoir. Commencée à la cinquantaine, cette œuvre correspond au désir de sauver le passé. La volonté de vivre et l’entreprise d’écrire sont si liées chez l’auteure, que le passage à l’autobiographie, après qu’elle se soit affirmée comme romancière, était inévitable. L’autobiographie, en effet, est le terrain privilégié pour transcrire le réel : l’auteure peut s’y dévoiler « dans toute la vérité de sa nature », pour reprendre l’expression de Rousseau. Les Mémoires d’une Jeune fille rangée (1958) racontent les étapes d’une émancipation intellectuelle et morale, la naissance et la confirmation d’une vocation d’une femme écrivain, entre présentation de soi et image fabriquée, dans le but de dépasser la simple histoire individuelle, pour atteindre l’universel comme représentation du féminin et d’une pensée en train d’émerger. Au sein du récit, Simone de Beauvoir intègre sa propre construction : quatre parties structurent l’œuvre, comme quatre moments décisifs de sa construction : l’écolière, la lycéenne, l’étudiante, puis la dernière étape vers son émancipation, son « dérangement », pourrait-on dire. Ces quatre étapes de sa vie sont toutes traversées par des rencontres, certaines capitales et décisives, d’autres passagères. Mais cette évolution de soi se fait par confrontation à la présence d’autrui. Nous sommes ici dans le deuxième acte de la vie de la jeune Simone, acte qui marque le début de la transformation et de la rupture : transformation du corps, perte de la foi, conscience de la mort, et surtout acceptation du fait que grandir, c’est faire le deuil du passé pour se préparer un nouvel avenir. Comme chaque été, la narratrice se rend dans les propriétés familiales et visite des amis. Ici, c’est à Meulan qu’elle est invitée avec sa sœur chez les Gendron, famille « fortunée et très unie », un « paradis » dit-elle. Explication L’extrait, commencé dans la joie, présente un portrait de Clotilde, la fille ainée des Gendron, âgée de 20 ans, admirée par Simone et se termine dans la prise de conscience d’une rupture douloureuse, mais nécessaire avec le milieu familial, préfigurant l’émancipation à venir. La deuxième partie du roman est d’ailleurs traversée par une isotopie de la rupture, et c’est sous ce rapport qu’il faut envisager cet extrait. Pourquoi Simone de Beauvoir a-t-elle choisi de raconter le souvenir de Clotilde ? Cette dernière l’a certes marquée, mais de façon passagère, et Simone l’oubliera bien vite. Aussi, ce qui reste à la fin de l’extrait n’est pas le souvenir de l’anecdote, mais la prise de conscience d’un changement réel. L’anecdote n’est ici que prétexte, et le texte sert de révélateur. « La conscience de soi n’est possible que si elle s’éprouve par contraste », affirmait Benveniste. Clotilde est précisément ce matériau de contraste. Alors, dans quelle mesure le souvenir - forcément sélectif - élève l’anecdote au rang de souvenir essentiel, car révélateur de soi ? Les quelques lignes qui précèdent l’extrait préparent le lecteur à une vision idyllique : « des sourires, des prévenances », un véritable « paradis ». C’est donc tout naturellement que nous nous préparons à entrer dans un souvenir heureux. Les enfants Gendron, Simone et sa sœur sont en taxi vers Vernon ; d’où le « nous » qui inaugure le texte : « nous suivîmes la route de la corniche qui domine le fleuve ». Ce détail référentiel, qui situe le lieu du souvenir, est très vite oublié, puisque du « nous » nous passons au « je » de la narratrice, avouant que le sujet du passage ne sera pas le paysage mais Clotilde : « je fus sensible aux charmes du paysage, mais plus encore à la grâce de Clotilde ». Nous remarquons ici l’opposition entre le « charme » et la « grâce », et continuité, puisque le chant prépare à la grâce. Le paysage est comme une incantation, un chant ; la grâce est ce qui brille, ce qui réjouit. Au sens biblique du terme, la grâce est une aide donnée par Dieu pour les hommes. Clotilde prend déjà un statut particulier ; elle est l’élue de Simone, et la suite du texte en est l’explication. La ballade en taxi sur la corniche oubliée, nous sommes maintenant au cœur du souvenir. L’attirance de la narratrice pour Clotilde révèle son goût pour les rencontres intimes : « Elle m’invita, le soir, à venir dans sa chambre et nous causâmes. » Clotilde est l’élue de Simone, de même que cette dernière s’est sentie élue par Clotilde puisqu’elle « invita ». Les phrases qui suivent sont un résumé de leur discussion nocturne, un discours narrativisé : « elle avait passé ses bachots, lisait un peu, étudiait assidûment le piano ». N’oublions pas qu’au moment où se déroule cet extrait, la narratrice a quinze ans et demi et elle est en classe de seconde. C’est donc en jeune fille encore « rangée » qu’elle agit. Clotilde est présentée par l’emploi de l’énumération d’objets qui peuvent retenir l’attention de l’héroïne : les bachots, signe que Clotilde va vers sa liberté – ce dont Simone a hâte : « je me tournai vers l’avenir » ; lecture et musique, signes que Clotilde est intellectuelle et en plus passionnée, d’où l’adverbe « assidûment ». Le texte se poursuit par un rétrécissement du champ de vision sur le « secrétaire », « empli de souvenir », dont nous avons la liste : « des liasses de lettres, entourées de faveurs, des carnets – sans doute des journaux intimes », des programmes de concerts, des photographies, une aquarelle que sa mère avait peinte ». L’énumération de ces objets posés sur le secrétaire obéit à un certain ordre. Nous allons d’abord d’objets en rapport direct avec le réel (lettres, journaux intimes) a des objets où le réel est filtré : photos, peinture. Pourquoi l’auteure focalise-t-elle sur les objets ? En fait, ce n’est pas pour donner de l’authenticité aux propos, mais plutôt parce que chaque objet remarqué sur le secrétaire est une façon de dire quelque chose d’elle-même. Les liasses de lettres entourées de faveur ont le coté suranné de la chevalerie ou des correspondances amoureuses. Les carnets sont identifiés par la jeune fille émerveillée comme étant des journaux intimes, ce qu’elle pratique elle-même. Les programmes de concerts sont l’ouverture sur l’extérieur auquel elle aspire fortement. L’écriture se veut phénoménologique ; d’ailleurs, elle procède par asyndète et énumération pour décrire les faits avec précision et dans leur immédiateté, sans lyrisme si subjectivité. Ainsi, de cette énumération sur le mode de l’exagération : « il me parut extraordinairement enviable de posséder un passé à soi : presque autant que d’avoir une personnalité. » Cette phrase est un commentaire de Simone adulte, qui examine la jeune fille qu’elle était. Elle se moque de sa naïveté de jeune fille de quinze ans, moquerie présente dans l’exagération « extraordinairement enviable. » Mais en même temps, c’est un trait de caractère de Simone qui se révèle : rappelons nous l’entrée au cours Désir (partie 1 p.32) : « l’idée d’entrer en possession d’une vie à moi m’enivrait ». Aussi, la possession et la personnalité sont mises sur le même plan ; jusque-là la narratrice se croyait un pur esprit, mais elle découvre la matérialité qui serait témoignage d’une vie vraiment vécue. Comme si les choses devaient témoigner de l’existence. La première partie de notre texte se conclut par le commentaire sur cette amitié de jeunesse dans laquelle l’utilisation des verbes est subtile et finement choisie : « je m’engouai d’elle. Je ne l’admirai pas comme Zaza ». Nous assistons là à une sorte d’épanorthose par laquelle elle corrige son ressenti. S’engouer, étymologiquement, signifie s’étouffer sous la force de l’enthousiasme. Il y a effectivement enthousiasme pour Clotilde et le propre de l’enthousiasme est d’être passager. Aussi, on peut lire dans ce verbe « engouer » les défauts de Clotilde qui apparaîtront après le passage. L’admiration, plus durable, demeure pour Zaza. Un premier défaut de Clotilde est reconnu : « elle était trop éthérée », c’est-à-dire de nature céleste, rejoignant la grâce évoquée au début du texte. Par contre, sa plus grande qualité reste son côté typiquement « romanesque. » Clotilde est donc la jeune fille pittoresque, singulière, celle qui excite vivement l’imagination, espace de tous uploads/Litterature/ explication-de-texte-simone-de-beauvoir.pdf
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- Publié le Sep 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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