Anthropologie économique Pierre Bourdieu Anthropologie économique Cours au Coll

Anthropologie économique Pierre Bourdieu Anthropologie économique Cours au Collège de France (1992-1993) Édition établie par Patrick Champagne et Julien Duval, avec la collaboration de Franck Poupeau et Marie-Christine Rivière Postface de Robert Boyer Raisons d’agir/Seuil Les éditeurs remercient Bruno Auerbach, Johan Heilbron, Thibault Izard pour leur collaboration. ISBN 978-2-7578-8819-3 (ISBN 978-2-02-137596-1, 1re publication) © Éditions Raisons d’agir / Éditions du Seuil, 2017 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. NOTE DES ÉDITEURS Ce livre s’inscrit dans l’entreprise de publication des cours de Pierre Bourdieu au Collège de France. Quelques mois après son ultime leçon dans cette institution en mars 2001, Bourdieu avait publié, sous le titre Science de la science et réflexivité1, une version resserrée de sa dernière année d’enseignement (2000-2001). Après sa disparition ont paru Sur l’État en 2012, puis Manet. Une révo- lution symbolique en 2013, qui correspondaient aux enseignements qu’il avait donnés, respectivement, dans les périodes 1989-1992 et 1998-20002. La publication du « cours de sociologie géné- rale » que Pierre Bourdieu a donné durant ses cinq premières années d’enseignement au Collège de France, entre avril 1982 et juin 1986, a ensuite été engagée, avec un premier volume, paru en 2015, qui rassemblait les leçons dispensées durant les années universitaires 1981-1982 et 1982-1983, puis un second, en 2016, réunissant les trois années suivantes3. Le présent cours, prononcé en 1992-1993 et auquel Bourdieu avait donné pour intitulé « Les fondements sociaux de l’action économique », se compose de neuf séances, d’une durée d’environ 1 h 20 chacune, qui eurent lieu à un rythme hebdomadaire le jeudi en fin de matinée, entre avril et juin 19934. 1. Paris, Raisons d’agir, 2001. 2. Sur l’État. Cours au collège de France 1989-1992, Paris, Seuil/Raisons d’agir, 2012 ; rééd. « Points Essais », 2015 ; Manet. Une révolution symbolique. Cours au Collège de France 1998-2000, suivis d’un manuscrit inachevé de Pierre et Marie-Claire Bourdieu, Seuil/Raisons d’agir, 2013 ; rééd. « Points Essais », 2016. 3. Sociologie générale, Paris, Seuil/Raisons d’agir, vol. 1, 2015 ; vol. 2, 2016. 4. Les deux interruptions (entre les séances des 8 et 29 avril, puis entre les séances des 13 et 27 mai) sont respectivement liées aux vacances de Pâques et au jour de l’Ascension. NOTE DES ÉDITEURS L’édition de ce volume se conforme aux choix éditoriaux qui ont été définis lors de la publication du cours sur l’État et qui visent à concilier fidélité et lisibilité1. Le texte publié correspond à la retranscription des leçons telles qu’elles ont été données. Dans un cas (la leçon du 29 avril 1993), faute d’enregistrement au début du cours, le propos de Pierre Bourdieu a été reconstitué à partir des notes d’un auditeur. Comme dans les précédents volumes, le passage de l’oral à l’écrit s’est accompagné d’une réécriture légère qui s’est attachée à respecter les dispositions que Bourdieu appliquait lorsqu’il révisait lui-même ses conférences et séminaires : corrections stylistiques, lissage des scories du discours oral (répétitions, tics de langage, etc.). De très rares passages qui étaient peu ou pas audibles ont été signalés par des points de suspension entre crochets. Quelques mots ou fragments de phrases ont été ajoutés au moment de l’édition du texte pour faciliter la lecture ou éclaircir des formulations elliptiques ; n’ayant pas été prononcés par Bourdieu, ils ont été placés entre crochets. Le découpage en sections et en paragraphes, les intertitres, la ponctuation sont des éditeurs. Les « parenthèses » par lesquelles Bourdieu s’écarte de son propos principal sont traitées de façons différentes selon leur longueur et le rapport qu’elles entretiennent avec ce qui les entoure. Les plus courtes sont placées entre tirets. Quand ces développements acquièrent une certaine autonomie et impliquent une rupture dans le fil du raisonnement, ils sont notés entre parenthèses et, lorsqu’ils sont trop longs, ils peuvent devenir l’objet d’une section à part entière. Les notes de bas de page sont, pour la plupart, de trois types. Les unes indiquent, chaque fois qu’il a été possible de les iden- tifier, les textes auxquels Bourdieu fait explicitement (ou parfois implicitement) référence ; quand cela a paru utile, de courtes citations de ces textes ont été ajoutées. D’autres visent à indiquer au lecteur les textes de Bourdieu qui, antérieurs ou ultérieurs aux cours, contiennent des développements sur les points abordés. Un dernier type de notes fournit des éléments de contextualisation, 1. Voir la note des éditeurs dans Sur l’État, op. cit., p. 7-9. A N T H R O P O L O G I E É C O N O M I Q U E 8 par exemple au sujet d’allusions qui pourraient être obscures à des lecteurs contemporains ou peu au fait du contexte français. En annexe a été reproduit le résumé du cours, tel que publié en son temps dans L’Annuaire du Collège de France – cours et travaux. Le volume comprend également, outre une situation du cours dans l’œuvre de Bourdieu, un texte de Robert Boyer qui met le cours de 1992-1993 en perspective, en particulier par rapport à la théorie de la régulation dont il est l’un des fondateurs et par rapport à la science économique aujourd’hui. N O T E D E S É D I T E U R S 9 COURS DU 1er AVRIL 1993 Préambule : reposer les problèmes de l’économie. – La théorie de l’action rationnelle. – La déshistoricisation des conduites et des univers économiques. – Le cas du don. – L’approche phénoménologique du don (Derrida). – L’analyse anthropologique du don. – Réintégration de l’expérience vécue, faire la théorie de la pratique. – La destruction du temps dans la science. – Le point de vue scolastique. Préambule : reposer les problèmes de l’économie J’ai proposé cette année un sujet un peu démesuré et je suis un peu effrayé au moment de l’aborder devant vous. Je vais tout de suite définir les limites de mon ambition. Il ne s’agit évidemment pas pour moi de faire une critique de l’économie, c’est-à-dire l’une de ces agressions un peu prétentieuses qui n’a pas d’autre base que l’ignorance. Cela n’aurait aucun sens, bien que cela se fasse très couramment chez les sociologues. Ce que je voudrais, c’est essayer, en m’appuyant sur les discussions qui se déve- loppent au sein même de l’économie, de dégager des fondements cohérents de la conduite économique. En effet, l’économie est une science extrêmement avancée, très complexe, très diversifiée et l’agressivité des sociologues à son égard s’explique en partie par cet avancement réel ou apparent : la plupart des reproches qu’on peut faire à l’économie en général – comme la plupart des reproches qu’on peut faire à la sociologie en général – n’ont aucun sens dans la mesure où, presque toujours, un économiste les a déjà faits à d’autres économistes ou se les a faits à lui-même. Pour autant qu’on pratique un peu le discours économique, on y trouve donc toutes les réflexions les plus fondamentales qu’on peut faire à propos de l’économie. (Par procuration, je parle aussi de la sociologie et il arrive très souvent que le sociologue s’impa- tiente d’entendre ce que les non- sociologues disent à propos de la sociologie. Les philosophes, en particulier, pratiquent volontiers l’amalgame et lancent des reproches globaux qui n’ont aucun sens – c’est déjà moins faux lorsqu’ils disent « la sociologie » en pensant à un sociologue en particulier, mais, encore en ce cas, il est fréquent qu’ils s’adressent à un homme de paille beaucoup plus qu’à la réalité d’une pratique scientifique.) Je mets donc en garde contre cette attente : ce n’est pas du tout cela que je vais essayer de faire. Je vais essayer de prendre l’économie comme elle est et de prendre les problèmes qu’elle pose comme elle les pose pour essayer de les poser de manière plus rigoureuse et peut-être plus systématique. Si je peux apporter quelque chose par rapport à cette réflexion inhérente à la discipline économique, c’est peut- être une réintégration de la conduite économique dans l’univers des conduites humaines ; je voudrais essayer de montrer comment cette conduite économique, que l’on considère comme un datum, comme un objet, comme un point de départ, est en fait une construction historique. Une autre difficulté de la discussion avec une discipline aussi complexe et aussi diversifiée que l’économie est qu’elle est, comme toutes les disciplines actuelles, constituée en champ : elle forme un espace de relations objectives entre des producteurs qui ont des positions différentes dans l’espace social constitutif de la discipline et qui ont des prises de position différenciées en relation avec les différences constituées dans l’espace des positions. Autrement dit, lorsqu’on a un tout petit peu de culture concernant une disci- pline, on mesure le fait qu’affronter une discipline en tant que telle n’a aucun sens. Une uploads/Litterature/ extrait-extrait-0.pdf

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