Revue des Études Grecques Sur le texte de la « Poétique » d'Aristote André-Jean

Revue des Études Grecques Sur le texte de la « Poétique » d'Aristote André-Jean Festugière Citer ce document / Cite this document : Festugière André-Jean. Sur le texte de la « Poétique » d'Aristote. In: Revue des Études Grecques, tome 67, fascicule 314-315, Janvier-juin 1954. pp. 252-258; doi : https://doi.org/10.3406/reg.1954.3353 https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1954_num_67_314_3353 Fichier pdf généré le 17/04/2018 VARIÉTÉS SUR LE TEXTE DE LA « POÉTIQUE » D'ARISTOTE La Poétique est l'un des écrits les plus difficiles d'Aristote. La suite des idées- y est souvent peu claire, la phrase est chargée d'incidentes qui semblent rompre- le développement logique, quelquefois même la construction grammaticale paraît impossible à établir. Il est donc normal que cet ouvrage soit l'un de ceux sur lesquels se soit le plus exercée la sagacité des philosophes. Un jeune savant suisse, M. Daniel de Montmollin, lui a consacré en 1951 une étude critique (1) qui s'est ajoutée à une longue série de travaux dus à d'autres chercheurs. La bibliographie de M. de M. compte 42 éditions et traductions, et 105 études,- dont un très grand nombre vise à la critique du texte. La discussion n'est pascloser car le présent ouvrage, d'un vif intérêt, appellera à son tour des réponses et àug- gérera d'autres solutions. - La méthode de M. de M. est radicale. Ayant pris en mains la Poétique pour y examiner ce qui a trait aux origines du théâtre, l'auteur a constaté, après biei* d'autres, le peu de cohérence de certains passages. Il a cru pouvoir y remédier en supposant l'existence dans le traité d'Aristote, non seulement de « notices marginales, insérées ultérieurement dans leur contexte », mais encore d' « exposés et même de chapitres entiers qui n'ont été rédigés que plus tard » (p. 1). Poussant à bout cette hypothèse, M. de M. reconstitue ainsi un texte primitif, qui à son avis se tient, puisqu'il a été dégagé du fouillis des additions ultérieures- qui le contaminaient II faut dire tout de suite le très grand mérite de ce livre. C'est qu'il offre une analyse minutieuse de la forme grammaticale et syntaxique du texte (2), phrase par phrase. On ne reprochera pas, certes, à M. de M. de pallier les difficultés : il les multiplierait plutôt, puisqu'elles vont à confirmer sa thèse. Quoi qu'on pense de l'idée directrice de son travail, cette analyse restera et rendra service. Elle obligera à lire la Poétique, comme M. de M. l'a fait lui-même, avec une extrême acribie; et là où l'on ne sera pas d'accord avec lui, ce sera au contradicteur à faire la preuve. Aussi bien M. de M. offre-t-il tous les moyens de contrôler la véracité de l'hypothèse. Après l'avoir développée en 166 pp. suivies d'un tableau synoptique (je laisse ici le ch. Ill, plus général : « Place de la Poétique dans l'œuvre d'Aristote »), il donne en appendice un texte de la Poétique où les éléments supposés- ajoutés ont été séparés du contexte par des parenthèses — et doivent donc être (1) MONTMOLLIN {Daniel de). La Poétique d'Aristote, Texte primitif et additions ultérieures. Neuchâtel, H. Messeiller, 1951. (2) Non pas de. tout le texte, mais des passages controversés. SUR LE TEXTE DE LA « POÉTIQUE » d'aRISTOTE 253 considérés comme exclus du texte — , puis un apparat critique très soigné. Suivent les notes — dont je déplore, pour ma part, le rejet à la fin — et la bibliographie. . Pour rendre compte, de façon complète, de cet ouvrage, il faudrait le suivre pas. à pas-, ce qui est évidemment impossible. Je me bornerai donc à quelques «xemples, et j'essaierai de montrer par ces exemples que l'application trop stricte de la méthode éveille des doutes. Mais il convient tout d'abord de rappeler deux faits. Le premier est en faveur de l'hypothèse de M. de M. Les écrits acroama- tiques d'Aristote sont des cours. Certains de ces cours ou, pour mieux dire, certaines parties de ces cours, notamment les introductions, ont été rédigées avec soin et paraissent toutes prêtes pour la publication : M. Jaeger l'a montré, il y a. longtemps déjà, pour plusieurs chapitres du π. ουρανού et des Métaphysiques. D'autres parties se présentent manifestement comme des notes de cours. Dans ce dernier cas, il est a priori possible, sinon même probable, qu'Aristote, relisant son cours, y introduise corrections et additions. 11 en résultera des inconséquences. Et, si ces inconséquences devaient être aplanies dans l'exposé oral, elles n'en subsistent pas moins dans le manuscrit en son état dernier, tel que l'ont trouvé les éditeurs des écrits acroamatiques. Pour éliminer ces inconséquences, Aristote eût dû rédigera nouveau son cours, ce qu'il n'a pas fait. Ma seconde observation, en revanche, va à rencontre de l'hypothèse. Les anciens ne connaissaient pas nos notes au bas de la page. Prenons un exemple, Poét. 3, 1448 a 28 ss. Aristote vient de rappeler les résultats des ch. 1-2 (cf. 1, 1447 a 16/8). La -ποιητική est imitation, et les diverses formes de cette ποιητική comportent trois sortes de différences, en fonction soit de l'instrument qu'elles emploient (discours, danse, musique etc.), soit des sujets qu'elles traitent, soit de la manière dont elles le traitent. Sous un aspect donc. Sophocle « imite » comme Homère (tous deux représentent des êtres nobles), sous un autre il « imite » comme' Aristophane (tous deux représentent des êtres en action, καΐ δρώντας άμφω 48 a 28). « De là vient qu'au dire de certains, leurs ouvrages sont appelés drames (δράματα), puisqu'ils imitent des êtres en action (μιμούνται δρώντας). C'est pourquoi aussi les Doriens se posent comme créateurs et de la tragédie et de la comédie — de la comédie en effet les Mégariens, tant ceux de Mégare, en raison de ce que la comédie a pris naissance sous la démocratie qu'ils avaient fondée, que ceux de Sicile (1), car c'est de là-bas qu'était Épicharme, qui est bien antérieur à Chionidès et à Magnés; de la tragédie, certains des Doriens du Péloponnèse — et ils en donnent pour preuve les noms mêmes : car ils disent, ces Doriens, qu'ils appellent les bourgades environnantes kômés, tandis que les Athéniens les appellent dèmes, en sorte que les comédiens n'ont pas reçu leur nom du fait de kômazéïn, mais à cause de leur vagabondage à travers les kômés, hors de la ville où on les méprisait ; et, quant au fait d' « agir » (τα ποιεΐν), eux disent qu'ils le nomment drân, mais les Athéniens prattéïn ». Il y a ici deux affirmations, l'une relative à la revendication des Doriens, l'autre à la preuve que les Doriens allèguent. Ces deux affirmations, Aristote, qui déjà travaille comme nous, les appuie sur des références. Pour ce faire, il n'a qu'à consulter ses amples collections sur la politique, les mœurs etc. des cités grecques ; nous pouvons déjà dire qu'il a ses fiches. Première référence à οί Δωριείς, où nous mettrions un appel de note : les Mégariens de Mégare et de Sicile revendiquent les origines de la comédie, certains Doriens du Péloponnèse celle de la tragédie. Cette référence, que nous mettrions au bas de la page, Aristote est bien obligé de l'insérer dans le texte, pour re- . (1) Cf. Mégara Hybléa. 254 . A. J. FESTUGIÈRE prendre ensuite ποιούμενοι τά ονόματα «τημεΐον (a 35), qui se rapporte à oi (a 36), Tentre-deux étant généralement imprimé entre tirets ou parenthèses. La seconde référence non seulement ne rompt pas- le texte, mais doit s'y insévev comme je le montrerai bientôt. Ne raisonnons donc ici que sur la première, qui, en fait, brise la suite normale οί Δωριείς -ποιούμενοι κτλ. Or il y a ici deux problèmes, l'un de technique d'éditeur, l'autre de psychologie. M. de M. refuse les parenthèses (n. 4, p. 269) : « Nous nous trouvons en effet en face du dilemme suivant : si la digression peut être perçue à ta lectare, l'emploi de la parenthèse est inutile; mais si elle ne peut être perçue, nous n'avons pas le droit de la marquer par un procédé artificiel que les anciens ignoraient ». Le malheur est qu'il ne s'agit pas d'une digression, mais d'une preuve. Quand un auteur sérieux avance un fait, son souei premier est de le fonder. C'est 1« cas ici, comme le prouve manifestement της μέν γάρ, ce premier γάρ étant suivi lui-même d'un second (εκείθεν γαρ) qui légitime la revendication des Mégarieasde Sieife (1). Une teekure attentive du texte montre aussitôt comment cette preuve s'insère dan» la suite oi Δωριείς... ποιούμενοι, cette preuve peut donc « être perçue à la lecture », et c'est uniquement pour faciliter la lecture courante que l'éditeur moderne introduit tirets ou parenthèses. En fait, rien n'empêche d'imprimer οί Δωριείς · της μεν γαρ... έχ Σικελίας * εκείθεν γαρ... έν Πελοποννήσψ, ποιούμενοι κτλ., bien qu'il y ait risque alors que le lecteur moins attentif rapporte à tort ποιούμενοι (a 35) à fviot (a 34) et non pas à οί. Δωριείς (a 30). Dans un ouvrage moderne, cette preuve, répétons* le, serait en note au bas de la page, selon un procédé que uploads/Litterature/ festugiere-sur-le-texte-de-la-poetique-d-x27-aristote.pdf

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