ECOLE NATIONALE SUPERIEURE DES BIBLIOTHEQUES A*tf> h6> CORPS ET LECTUEE CHEZ RO
ECOLE NATIONALE SUPERIEURE DES BIBLIOTHEQUES A*tf> h6> CORPS ET LECTUEE CHEZ ROLAED BARTHES Mimolre prdsenti par Claude TASSERIT Sous la direction de M. Michel BOULANGER 22feme Promotion 1986 Dans le texte, seul parle le lecteur. H.B. I LE LIEU DE LA LECTURE 1. LA MORT DE L1ADTEUR Cet exergue (1 ) pour dire d.' embl£e qu'il aura fallu que meure 1'Auteur pour que naisse le lecteur. Impossible en effet de faire de la lecture un acte plein sans que soit tombee 1'Autorite qui pretendait la rdgir. Rien la de bien nouveau puisque Valery ddj^L reagissait contre la tentation de faire du signataire de 11oeuvre le detenteur unique du sens : "L* oeuvre dure en tant qu'elle est capable de paraltre tout autre que son auteur 1'avait faite" (2) . Or si celui-ci n'est plus un propriitaire et si le texte ne demeure plus un objet fig£, c'est la lecture elle-m§me qui devient la seule et viritable scene, 1'espace ou se d^ploient les signifids multiples et qui se perdent a 1'infini : "celui qui agit le texte, c'est le lecteur 5 et ce lecteur est pluriel (...) 5 pour un texte il y a une multitude de lecteurs : non pas seulement des individus diff^rents, mais aussi dans chaque corps des rythmes diffSrents d'intelligence, selon l e jour, selon l a page" (3) . Ce renversement est celui de notre modernite (depuis Mallarm£). Car pendant des sifecles ont perdurd le mythe de 11 auctor (seul a pouvoir ajouter) et ce 5 qui en est le corollaire : le sens eternel (4), riduisant le lectexir k n' §tre qu'un heritier (5) • Ce n'est donc pas un hasard si l'on a tant tard£ a s'in- t&resser a ce dernier (encore ne 1'a-t-on fait souvent que dans une perspec- tive pedagogique), et si 1'on commence seulement a saisir les enjeux multi- ples de cet acte en apparence banal : lire. Barthes remarquait ainsi dans un article de 1975 5 "Depuis cinq ans, le probleme de la lecture vient au premier plan de la scfene critique" (6) . Nous n'en donnerons pour preuve que les travaux de 1'ecole de Constance et de ce que l'on a appele l1esthdtique de la reception, puisque cette perspective phenomenologique modifie la notion d'oeuvre meme en la d£finissant, selon les mots de Wolfgang Iser dans L'acte de lecture, comme "la constitution du texte dans la conscience du lecteur" (7) . C'est donc a un veritable dSplacement de 1'oeuvre que l'on assiste, a un changement radical des positions respectives de 11Auteur et du lecteur. L'acte de lire se trouve ainsi singuliferement grandi, au point de devenir le lieu m§me ou tout se joue : "un texte, ecrit Roland Barthes, est fait d'ecritures multiples, issues de plusieurs cultures et qui entrent les unes avec les autres en dialogue, en parodie, en contestation ; mais il y a un lieu ou cette multiplicit^ se rassemble, et ce lieu, ce n'est pas 1'auteur, comme on l'a dit jusqu*a pr£sent, c'est le lecteur" (8). 2. LA LECTURE COMME PRODUCTION Pr^cisons toutefois que ce qui meurt de cet Auteur c'est son Autorite j mais ce n'est que cette Autoriti. Car nous verrons ulterieurement et par le biais de la thdorie du Texte (9) » qu'auteur et lecteur se trouvent reunis dans une m§me pratique signifiante, hors de toute instance precisdment et dans une vdritable "co-existence" (10) . II y a en effet chez Barthes un "retour amical de 1'auteur" (11) , rendu possible par une notion qui conjoint l'un et 1'autre partenairejdans le jeu infini du sens J le plaisir du texte. Cette conjonction n'est dvidemment pas r^alisie dans n'importe quel type de lecture. Celle qui nous int£resse ici place le sujet lisant non dans la contemplation de ce qui s'est constitud avant lui mais bien dans la n£cessit£ de conqudrir le texte et de se 1'approprier. A ce propos, dans un court texte intituld Poiir une th^orie de la lecture et qui ne connut malheureusement pas de developpement organisd, Barthes fait la distinction suivante : "il y a des lectures mortes (assujetties aux stiriotypes, aux rdp^titions mentales, aux mots d1 ordre) et il y a des lectures vivantes (produisant un. texte int6- 7 rieur, homeg&ne a une ecriture virtuelle du lecteur)" (12). A travers cette differenciation, c1est le statut de la litterature elle—mSme qui est pose. En effet, contrairement au texte informatif dont le r^firent demeure present, une oeuvre litteraire, quand elle est lue, reste abstraite des conditions de son enonciation : elle n'a d'autre caution que son propre texte. Maurice Blanchot le souligne : "le livre qui a son origine dans l'art, n'a pas sa garantie dans le monde, et lorsqu'il est lu, il n'a encore jamais ete lu, ne parvenant a sa presence d'oeuvre que dans 11espace ouvert par cette lecture unique, chaque fois la premiere et chaque fois la seule" (13) . C'est pour- quoi la litterature condamne en quelque sorte son lecteur a une pratique active, toujours inaugurale. Le texte seul n1existe pas : le sens pour naltre et s'ebrouer demande a chaque fois une conscience singuliere. Redisons-le : a 1'encontre de la communication habituelle qui se fonde sur une situation referentielle commune, 11oeuvre, elle, ne repose que sur 11absence ; elle ne peut pour se r^aliser que demander au lecteur la production de sens qui seule comblera ce vide initial. Sans doute, 1'oeuvre est toujours structur^e en vue de produire certains effets. Mais il y a toujours r^fracffcLon entre son code interne et la percep- tion qu'on en a : c'est precisement dans cet espace vacant que s'instaure la lecture. Comme 1'ecrit Volfgang Iser, "un texte litteraire formule des directives verifiables sur le plan intersubjectif en vue de la constitution de son sens, mais celui—ci, en tant qu'il est un sens constitue, peut produire les ^motions les plus diverses et susciter des jugements trfes diffdrents" (14). Cela seul suffirait a justifier la lecture plurielle dlaboree par la cri- tique moderne et mise en oeuvre par Barthes dans S/Z i texte important puis- qu'il nous montre un lecteur (id^al il est vrai dans la mesure ou a son tour il devient ^crivain) en train d'ilaborer son sens et, par 1'exercice de la connotation, de le d£velopper et de le ramifier. Cette connotation, rappelons— le, est le propre de toute lecture car elle est le propre de tout langage1, 8 lequel rend impossible toute application mecanique d'un mot a une chose. Merleau-Ponty le pr^cise s "Le langage signifie quand au lieu de copier la pensde, il se laisse difaire et refaire par elle" (15) • On comprend mal dans cette perspective comment Maurice Blanchot, dans xin autre passage de L'espace litt&raire. en vient k affirmer que la lecture "ne fait rien, n'ajoute rien" et qu'elle n'est pas une "activite produc- trice" (16) . Cette position, si elle peut surprendre, n'en a pas moins sa coherence en regard de 11^criture telle que Blanchot nous la presente j faire de celle—ci 1'acte d'une solitude essentielle et le lieu d'une angoisse in— finie amene bien dvidemment k accorder k la lecture une "legerete" qui temoi- gne, par antithfese, de cette vision tragique de la pratique litteraire. On est la aux antipodes de la conception ludique d'un Barthes (ou d'un Sollers) : celle de la signifiance (que nous ivoquerons plus loin), laquelle met fin non pas a la difference entre gcriture et lecture mais bien a leur opposition radicale, 1'utopie de Barthes etant, nous le verrons, de rapprocher l'une et 11autre activit£s. Q,uoi qu'il en soit, c'est singulierement r^duire 1'acte de lire que d'en faire un pur acquiescement a 11oeuvre ; cet angelisme ne rend guere compte de ce qui se joue 1h et que nous tenterons d'approcher par la suite ; c'est supposer aussi que 1'oeuvre ait un sens intangible et que le lecteur ait pour seule t&che de le retrouver. Or ce sens s'est perdu avec le corps qui en tragait les signes. II incombe donc au lecteur de le crier : lire est bien une "activit^ productrice". Comme le souligne Jean-Marie Goulemot, lire, "ce n'est pas retrouver le sens voulu par un auteur, ce qui impliquerait que le plaisir du texte s1origine dans la colncidence entre le sens voulu et le sens pergu, (...) c'est donc constituer et non pas reconstituer un sens" (17) . On est tout k fait 1& dans la perspective barth^sienne j "lire, c'est lutter pour nommer" (18) . 9 NOTES DE LA PREMIERE PARTIE REMARQUE LIMINAIRE s les titres sans nom d.'auteur precise sont de Barthes. L1identification complete de chaque ouvrage se trouve dans notre biblio- graphie. ( 1 ) S/Z, p . 157. (2) Cite par Vincent Jouve dans La litterature selon Barthes, p. 75• Voir aussi Susan Sontag : L'ecrit\ire mgme : a propos de Barthes, p. 57• (3) Sollers ecrivain, p. 75• (4) Cf. Critique et verit^, p. 76—77- (5) Cf. Le bruiasement de la langue, p. 34• (6) Le grain de la voix, p. 189. (7) Wolfgang Iser : L'acte de lecture : uploads/Litterature/ corps-et-lecture-chez-roland-barthes.pdf
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- Publié le Jul 16, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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