L E RECOURS A LA FICTION PERMET -IL SELON VOUS , DE DENONCER PLUS EFFICACEMENT

L E RECOURS A LA FICTION PERMET -IL SELON VOUS , DE DENONCER PLUS EFFICACEMENT CERTAINS COMPORTEMENTS HUMAINS ? Introduction À son discours de réception du Prix Nobel, en 2000, l’auteur franco -chinois Gao Xingjian expliquait que « c’est la littérature qui permet à l’être humain de conserver sa conscience d’homme ». La littérature apparaissait, dans son propos, comme ce champ de production humain où l’homme peut s’apprécier, se jauger, prendre conscience de lui - même. Nous savons que la fiction littéraire en vient souvent à dépeindre certains comportements humains, les plus nobles et comme les plus méprisables. Mais il est toujours plus aisé de pointer les défauts que les qualités humaines. En ce sens, la fiction donne à voir nos bassesses, nos limites : Faut-il y voir une dénonciation ? La littérature en est-elle une modalité efficace ? Nous commencerons par définir, à l’appui d’ex emples, la littérature comme une dénonciation non idéologique de certains comportements humains. Pour établir sa pertinence, nous poursuivrons en interrogeant : dans quelle mesure cette dénonciation s’adresse à tous ? Enfin, nous montrerons comment cette dénonciation est tout à la fois puissante et impuissante face à la réalité. I. La littérature comme dénonciation a priori non idéologique La littérature n’est pas a priori une idéologie. Elle ne se centre pas sur des concepts, ou des valeurs articulées en un système. Si elle peut s’inscrire parfois dans une ligne idéologique, elle en diffère aussi par la proximité avec cet humain qu’elle arrive à toucher. Pourtant, la littérature est sous bien des aspects une dénonciation qui ne part pas de présupposés idéo logiques, mais du vécu et de la façon singulière qu’elle a de le dépeindre. L’on a voulu souvent faire de La Bruyère un révolté contre son temps, pourtant la lecture des Caractères révèle un auteur qui, malgré une critique des mœurs, respecte les institutions de son temps. De fait, tout écrivain est quelque part un philosophe qui s’ignore. Camus disait « si tu veux être philosophe, écris des romans ». L’écrivain aborde par la littérature les mœurs de l’humanité, les émotions et les valeurs qui l’animent. D e plus, la littérature, comme la philosophie, est un rappel de l’homme à sa propre humanité : « approchez hommes, répondez un peu à Démocrite » écrit La Bruyère. L’homme de lettres qu’est l’écrivain possède ainsi une acuité sur ses congénères, un regard su r un chaos qu’il cherche à restituer – dépasser - dans une forme littéraire, fictionnelle, c’est là l’une de ses principales caractéristiques : « Je ne parle point, ô hommes, de vos légèretés, de vos caprices ». La littérature, si elle n’est pas idéologique, n’en demeure pas moins prise de torpeur face à la bêtise humaine. Elle pointe les comportements de l’homme, cet « animal raisonnable » dont parle La Bruyère, animal qu’Ulysse a bien du mal à ramener à la raison : l’homme échappe toujours au seul esprit, à la seule rationalité. La Fontaine, sur ce point, dépeint avec une vérité saisissante comment l’homme se défend de la raison, comment la mauvaise foi le guette : « est-ce à la tienne à juger de la nôtre ? » répond ainsi l’ours ; alors que le loup s’indi gne « tu t’en viens me traiter de bête carnassière ». Mais la finesse de la littérature se donne à voir dans la réversibilité des mœurs, une réalité qui dépasse un manichéisme angélique entre le bien et le mal. Ce qu’Ulysse reproche au loup, ne l’aurait -il pas fait lui-même ? Et au loup d’interroger : « N’auriez-vous pas sans moi mangé ces animaux que plaint tout le village ? ». De même, c’est une figure ancienne que reprend La Fontaine dans l’image de l’homme comme loup pour l’homme « ne vous êtes vous pas l’un à l’autre des loups » ; on la retrouve entre autres chez Érasme, chez Rabelais, chez Hobbes, ce dernier ayant eu une interprétation originale et ici précieuse : ce n’est pas tant l’homme qui est pour l’autre homme un ennemi, c’est que l’homme regarde toujours ses semblables comme des loups. II. La littérature, un message destiné à tous ? Et pourtant, nous voyons que les extraits se rejoignent pour pointer du doigt le fait que seul un petit nombre passe sa « vie à aimer et à penser ; c’est la véritab le vie des esprits » ; de sorte que les autres ne sont qu’« un assemblage de fous, de méchants et de malheureux ». Voltaire, dans une fiction originale pour l’époque, illustre toute l’autodestruction propre à l’homme, ces morts et ces malheurs qu’apporte l a volonté de gloire, ce désir d’être un « Sultan », un « César ». L’humanité apparaît ainsi comme « une fourmilière d’assassins ridicules » ; une humanité condamnée, « l’épée, la faim, la fatigue ou l’intempérance les emportent presque tous ». Par conséquent, la littérature est à la fois une dénonciation et un témoignage. Nous pourrions probablement, sur la base de ce corpus, penser qu’elle est destinée à quelques âmes éclairées. L’on peut également penser qu’à la manière de la réalité, divisée entre « quelques sages » et « une masse de fous », la littérature s’adresserait aussi à quelques lecteurs peu nombreux, mais à même d’en comprendre l’indignation. Or, ces derniers, par leur sensibilité, seraient paradoxalement ceux qui ont le moins besoin de la dénonciation de la littérature. Au contraire, la littérature nous parle de nous-mêmes, à savoir, de nos mœurs, de nos comportements : elle insiste sur les contradictions de la nature humaine. Ainsi, quand Balzac déploie sa Comédie Humaine , il s’appuie sur ses multiples expériences personnelles. On y retrouve l’argent, l’ambition et l’amour qui ont été des horizons permanents dans l’itinéraire de ce dandy. L’auteur -écrivain n’est pas, à l’opposé du philosophe, dans une posture surplombante : il est pris dans le tableau, dans la composition, tout autant que le lecteur peut l’être. De la même façon, Astolphe de Custine est un écrivain immergé dans cette administration russe, tatillonne, secrète où s’expriment les mille absurdités des hommes qui composent le régime . Enfin, Marcel Proust n’est -il pas autant acteur que spectateur des comportements que l’on retrouve dans son œuvre : la souffrance amoureuse, la jalousie, les « intermittences du cœur » n’entrent -elles pas autant dans l’œuvre que dans la vie de l’écrivain. D’un autre côté, c’est ce même auteur qui ne cesse de nous montrer le rôle intercesseur des arts, de la littérature. III. La littérature entre puissance et impuissance Pour comprendre comment le recours à la fiction peut être pertinent dans la dénonciation des comportements humains il faut donc relativiser une vision réductrice : Au-delà des quelques hommes éclairés, l’humanité grouille de bêtise et d’autodestruction. La dénonciation comme la conçoit la littérature est plus subtile. Si elle parvient à restituer ce tableau avec une justesse particulière, il n’en demeure pas moins qu’elle ne semble pas parvenir à soigner cette même humanité, du moins, dans son ensemble. Est-ce là sa vocation ? Dans La Peste d’Albert Camus, nous voyons en quoi la maladie – littéralement, l’état persistant du mal - n’est pas seulement celle du pestiféré, c’est également celle du sujet qui porte le soupçon de la maladie sur l’autre. La littérature nous montre ainsi que l’autre est potentiellement la source du mal, mais que penser cela, c’est acter de sa propre contamination, c’est déjà se confondre avec l’autre. Les écrivains moralistes ne s’adressaient pas aux lecteurs « éclairés » face à d’autres hommes cherchant à se ruiner, de la même façon, la littérature ne dénonce pas les comportements de certains hommes, mais de nous-mêmes. Mais si la littérature représente une dénonciation efficace de certains comportements, elle n’a pas de possibilité d’agir directement sur l’objet de son indignation. La littérature dévoile, mais ne résout pas ; en tout cas, directement. Ceci faisait dire à Sartre, dans son Qu’est-ce que la littérature ? « à notre certitude intérieure d’être « dévoilants » s’adjoint celle d’être « inessentiels » par rapport à la chose dévoilée ». En dépit d’une apparente impuissance, la littérature ne contribue -t-elle pas à une prise de conscience chez les lecteurs que nous sommes ? La lecture d’une œuvre, lorsqu’elle nous révèle nos propres contradictions, nous conduit à les accepter et par là même, à les dépasser. Car si la littérature n’est pas une idéologie, elle semble nous accompagner dans une recherche existentielle, une volonté d’être, un dépassement de soi. Elle suppose ainsi une certaine verticalité. La littérature modifie dans la mesure où le lecteur auquel s’adresse l’écrivain est modifié par ses lectures. Aussi, l a littérature ne permet pas seulement la dénonciation de certains comportements, elle permet de les comprendre, de les ressentir dans tout ce qu’ils comportent de tensions constitutives. Conclusion La littérature en tant qu’expression durable de l’humanité est le reflet d’une histoire en marche : celle des comportements humains, des sociétés, des mœurs. Dans cette perspective, la fiction littéraire est un moyen efficace pour dénoncer nos limites. Mais comme mouvement, uploads/Litterature/ fiche-litteraire-2.pdf

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