Le Fonds Ferdinand de Saussure Izabel VILELA Après la mort de F. de Saussure (1
Le Fonds Ferdinand de Saussure Izabel VILELA Après la mort de F. de Saussure (1857-1913), sa famille lègue à la Bibliothèque publique universitaire de Genève (BPU), actuelle Bibliothèque de Genève (BGE), un premier lot de ses manuscrits. Quarante cinq ans plus tard, en 1958, les deux fils de Ferdinand, Jacques et Raymond de Saussure, y déposent une nouvelle caisse de documents. Grâce à l’intervention de R. Jakobson, une des bibliothèques de l’université de Harvard (Houghton Library) achète à Raymond de Saussure 638 feuillets (995 pages) de manuscrits appartenant au linguiste. Finalement un dernier lot de documents est venu enrichir le fonds de la BGE suite à la découverte, en 1996, d’une partie précieuse de textes autographes dans l’orangerie de la maison familiale des Saussure à Genève. Le fonds constitué d’ébauches, plans, brouillons d’articles et de lettres personnelles, notes de toute sorte ayant trait ou non à ses diverses recherches (linguistique, mythographie, anagrammes, versification française, etc) a été estimé à 10.000 feuillets1. *** Personne à notre connaissance ne travaille les manuscrits de Saussure faisant recours au savoir de la génétique des textes. En raison de la grande diversité des recherches de F. de Saussure nous ne mentionnons ici que trois parmi les principales : 1. Cours de linguistique générale (1916) Après la publication, par Robert Godel (1957) et Rudolf Engler (1967), du contenu des notes des étudiants ainsi que de quelques notes de Saussure lui-même dont Charles Bally et Albert Sechehaye, assistés par Albert Riedlinger, se sont servis pour éditer le CLG, la presque totalité des chercheurs ne se penchent plus sur les cahiers originaux. Ainsi les commentaires et notes de Tullio de Mauro, par exemple, pour la traduction italienne du CLG (1967), font mention des sources à partir de l’édition critique de R. Engler. Saussure détruisait au fur et à mesure la majorité des notes de cet enseignement et il n’est resté aux éditeurs que d’essayer de compiler les cahiers des étudiants. Publié en 1916, le livre porte la mention « publié par C. Bally et A. Sechehaye, avec la collaboration de A. Riedlinger » et le nom de F. de Saussure comme « auteur ». Pendant 40 ans ce Cours de linguistique générale fut reçu et considéré comme la version fidèle de l’enseignement saussurien, jusqu’à ce que Godel publie et analyse une grande partie des notes des étudiants. 2. Recherches sur les anagrammes Ces manuscrits de Saussure constituent la partie la plus énigmatique de ses recherches. D’un total de plus de 100 cahiers notés entre 1906 et 1910, un très petit nombre seulement a été publié jusqu’aujourd’hui. Dans cette recherche Saussure se livre à un exercice fantasmatique. Examinant attentivement la poésie ancienne, mais aussi la néo-latine ou 1 Cf. Johannes Fehr, « Saussure : cours, publications, manuscrits, lettres et documents. Les contours de l’œuvre posthume et ses rapports avec l’œuvre publiée », in Histoire, Epistémologie, Langage, « L’esprit et le langage », tome XVIII, fascicule 2, 1996, p. 180. 2 2 contemporaine il y trouve des anagrammes les plus variées. Obsédé par découvrir l’origine du procédé anagrammatique, il propose nombre d’hypothèses souvent en pleine contradiction les unes avec les autres. Désireux de trancher la question – s’agissait-t-il d’un procédé intentionnel de l’auteur ou de simple coïncidence l’afflux d’anagrammes rencontrés – Saussure n’arrive néanmoins à aucune conclusion, abandonnant abruptement cette recherche à laquelle il avait consacré une incroyable somme de temps et d’énergie. Jean Starobinski a été le premier à rendre publique cette étrange entreprise dans une série d’articles publiés à partir de 1964, réunis dans son célèbre ouvrage Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure (Gallimard, 1971). Quelques manuscrits y sont édités. Le sujet est traité aussi dans les travaux suivants : Peter Wunderli, Ferdinand de Saussure und die Anagramme. Linguistik und Literatur (Tübingen, Niemeyer, 1972) ; Francis Gandon, De dangereux édifices. Saussure lecteur de Lucrèce. Les cahiers des anagrammes consacrés au De rerum natura (Peeters, 2002) ; n° 16 de la revue Recherches/Semiotext(e), « Les deux Saussure » (CERFI, Fontenay-sous-bois, 1973). Ces manuscrits saussuriens se prêtent par excellence à l’étude des rapports entre l’inconscient et le langage. En outre, pour certains auteurs (J. Fehr, A-M. Houdebine) c’est le passage par les recherches anagrammatiques qui a permis à Saussure de poser par la suite les trois postulats des cours de Genève: les axes associatifs et syntagmatiques de la langue, la linéarité, l’arbitraire du signe, etc. 3. Recherches sur les légendes « Ces études portent, d’après Béatrice Turpin, sur la transmission orale des légendes et sur les transformations qui en découlent. Socialité et historicité sont là indissociables ; elles engendrent une pluralisation du discours qui fait que, comme pour une langue donnée, les origines d’une légende sont multiples, entrelacées, chaque légende étant en fait constituée d’un entrecroisement d’autres discours (chroniques, autres légendes, contes ou mythes). La tâche du sémiologue est alors de tenter de déterminer les règles de variation du discours et les éléments sur lesquels portent la variation ». Ayant travaillé vraisemblablement sur ce thème entre 1904 et 1911, les manuscrits comprennent un total de 814 feuillets conservés à la Bibliothèque de Genève. « Ils sont répartis comme suit : - 8 cahiers consacrés aux légendes germaniques, particulièrement aux Nibelungen et aux rapports de ces légendes avec l’histoire (cahiers 1 à 6) ou avec le mythe (cahier 7 et 8) : 383 feuilles inscrites au total, ceci le plus souvent sur les deux faces (cote Ms. fr. 3958/1 à 8) ; - 10 cahiers contenant des notes consacrées également aux légendes germaniques, ainsi qu’à la légende de Tristan (pour cette dernière, principalement les cahiers 2, 3, 8 et 10 : 228 pages inscrites recto et verso pour la plupart (cote Ms. fr. 3959/1 à 10) ; - 4 enveloppes contenant 203 feuillets écrits pour certains sur les deux faces. Beaucoup de ces pages sont également consacrées à des recensions d’équivalences 3 3 possibles entre légendes, entre légendes et histoire ou entre légendes et mythes (cote Ms. fr. 3959/11) ». « Saussure n’a guère fait mention de ces recherches, laissées à l’état de chantier. Deux communications seulement … témoignent de celles-ci. - La première est une intervention devant la Société d’histoire et d’archéologie de Genève sur « Les Bourgondes et la langue bourgonde en pays romans », le 15 décembre 1904. …. - La seconde est en fait un témoignage posthume dans un écrit de Paul E. Martin (publié en 1915) intitulé « La destruction d’Avanches dans les sagas scandinaves ». L’auteur indique en sous-titre : « d’après des traductions et notes de Ferdinand de Saussure » et fait état d’une correspondance avec le linguiste au sujet des textes norrois et de leur degré d’historicité ». (Saussure, Cahier de l’Herne (2003), p. 351 et sv). Quelques travaux fondés sur les manuscrits La bibliographie concernant l’exégèse saussurienne est immense. A partir de la publication, en 1957, des Sources manuscrites du Cours de linguistique générale, par Robert Godel, la plupart des travaux portant sur la linguistique saussurienne tiendront compte d’une façon ou d’autre de ce livre. D’autres se reporteront aux manuscrits tels que publiés par Rudolf Engler dans son édition critique. Certains auteurs traiteront les manuscrits de plus près, c’est le cas de S. Bouquet (1997, 2002), de Cl. Normand (2006) dans sa recherche sur les blancs chez Saussure. D’autres y puisent exclusivement comme c’est le cas des travaux sur les anagrammes, légendes, en grande mesure jusqu’à aujourd’hui inédits. Les Cahiers Ferdinand de Saussure, publiés à Genève, ont édité certains de ces manuscrits tout comme le Cahier de l’Herne consacré à Saussure. Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, édition critique par Rudolf Engler, tome 1 et 2. Wiesbaden, Otto Harassowitz, 1967 (1989); 1974(1990). Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, édition critique par Tullio de Mauro (1967), Payot, 1972… Simon Bouquet, Introduction à la lecture de Saussure, Payot, 1997. Simon Bouquet et Rudolf Engler (éd.), Ecrits de linguistique générale, Gallimard, 2002. Simon Bouquet (éd.), Leçons de linguistique générale, Gallimard, à paraître. Johannes Fehr, Saussure entre linguistique et sémiologie, PUF, 2000. Francis Gandon, Des dangereux édifices. Saussure lecteur de Lucrèce. Les cahiers d’anagrammes consacrés au De rerum natura, Peeters, 2002. Robert Godel, Les sources manuscrites du Cours de linguistique générale de F. de Saussure, Droz, 1957. Ana Marinetti et Marcello Meli, Ferdinand de Saussure. Le leggende germaniche, Zielo, Este, 1986. Claudine Normand, « Les blancs des manuscrits saussuriens », in Allegro ma non troppo. Invitation à la linguistique, Ophrys, 2006. Jean Starobinski, Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure, Gallimard, 1971. Béatrice Turpin, Légendes et récits d’Europe du Nord : de Sigfrid à Tristan, présentation et édition par B. Turpin, in « Saussure », Cahier de L’Herne n° 76, dir. Simon Bouquet, 2003, pp. 351-429. 4 4 Izabel Vilela, « …Freud, des linguistes et philologues dans les années 1885-1915 : le cas de F. de Saussure », in Topique 98, 2007, pp. 181-195. Izabel Vilela, « Le mal sous les mots ou le silence de l’oracle », in Freud et le langage, colloque Cerisy, uploads/Litterature/ fonds-saussure.pdf
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- Publié le Aoû 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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