-1- -2- Mathieu Gaborit Cœur de Phénix Les Chroniques des Féals – livre premier

-1- -2- Mathieu Gaborit Cœur de Phénix Les Chroniques des Féals – livre premier Bragelonne -3- Collection dirigée par Stéphane Marsan et Alain Névant © Bragelonne, 2000-2003 3e tirage : août 2003 Illustration de couverture : © Michael Whelan / via Thomas Schlück GmbH ISBN : 2-914370-00-8 Bragelonne 35, rue de la Bienfaisance 75008 Paris E-mail : info@bragelonne.fr Site : http ://www.bragelonne.fr -4- À la mémoire de Renée Gaborit Au travers de ce roman, je voudrais remercier les personnes suivantes : Laure, chat doré. Stéphane Marsan et son travail inestimable sur ce livre. Mes parents, que j’aime tant. Capucine, petite sœur chérie. Suzanne Gandouin, très chère grand-mère. Simone Dix-Neuf, qui me pardonnera l’excès d’opium. Fabrice « Random » Diez et Samuel « Hyperion » Jacques, amis et complices de mes insomnies… Alexandre Briand, l’ami de pleine lune. Tof, si loin et si proche. Charles Maisonneuve, et ses pages tournées. Fabrice et son talent, Katia et sa douceur. Isabel, Jean-Pierre, leurs enfants et petits-enfants. Petit clin d’œil à Alice la conteuse. Tarcisius et Agnès, qui m’ont cédé bien plus qu’un nom. Barbara, Alain, Dave, Manu, Henri, toute l’équipe de Bragelonne. L’équipe d’Appeal et Carlo « Why ? » Fabricatore pour m’avoir accordé une liberté précieuse. Guillaume, enfin, dont le souvenir est éternel. M.G. -5- -6- Prologue Les dernières lueurs du jour incendiaient la ligne d’horizon. L’enfant observait avec mélancolie le spectacle du brasier mourant. Déjà, une brise légère et froide coulait le long de la plaine, entraînant des lambeaux de brume puisés à la rivière proche. Réprimant un frisson, le jeune garçon, penché à la lucarne de la roulotte, pouvait presque entendre le cours d’eau en contrebas… — Il commence à faire froid, souffla une voix douce. L’enfant ne se retourna pas, devinant que le regard tendre de sa mère s’était levé des pages de son livre pour se poser sur lui. Enveloppée dans une couverture de laine, elle lisait à l’éclat vacillant d’une bougie, scrutant l’usure de la cire comme le compte à rebours de la nuit. Assise dans un fauteuil de cuir brun qu’elle tenait d’un vieil échevin, elle lui signalait, fidèle, l’instant où il fallait se mettre au lit. Mais son fils préférait continuer à observer le crépuscule. Peu à peu, l’ombre naissante révélait les éclats lumineux d’une bataille qui se déroulait au-delà des collines de Norsdoth. Le brouillard grimpait rapidement vers le lieu du massacre qu’il recouvrirait, bientôt, tel un linceul pudique. Le garçon écarquilla les yeux pour tenter de distinguer l’agonie de la confrontation, mais en vain. De si loin, une bataille n’avait pas plus d’ampleur qu’un feu de broussailles. Le cœur serré, il pensait aux hommes qu’il connaissait, engagés dans cette lutte fratricide. — Je suis sûre qu’il reviendra, il sait se battre, reprit doucement sa mère, répondant à sa question muette, comme si elle lisait dans ses pensées… L’enfant esquissa un sourire et poussa délicatement le panneau de corne qui aveuglait la lucarne. Sa mère referma son grimoire, se leva et s’allongea en silence sur le lit de chêne. Elle déplia la couverture, invitant son fils à se blottir contre elle. Faute de cheminée, ils se serraient l’un contre l’autre pour -7- repousser le froid. L’enfant se glissa sur la couchette et posa la tête au creux de son épaule. — Il fera comme les autres… osa le jeune garçon. Sa mère se pencha à son oreille : — Que veux-tu dire ? — Il ne reviendra plus, lâcha-t-il dans un soupir. La jeune femme posa un baiser sur son front et ferma les yeux. — Attendons l’aube pour savoir, on ne sait jamais ce que le destin nous réserve… La mère ne put voir l’expression de dépit se peindre sur le visage de son fils. Il s’attarda sur les reliefs du mobilier sommaire que contenait leur roulotte. Une table basse et deux chaises sur lesquelles reposaient des vêtements usés, une bassine de cuivre rongée par la rouille et un simple coffre. Sa mère y gardait ses lectures, de la poésie surtout. Il lança un dernier coup d’œil en direction de la fenêtre et surprit un rayon rougeoyant à travers les linteaux. L’agonie du jour balayait l’intérieur de la roulotte, à la façon d’un pinceau sanglant. Ce mauvais présage n’empêcha pas l’étrange couple de s’endormir rapidement. L’enfant se mit à rêver… Dans son sommeil, il se sentait plus léger. Il se vit sortir de la roulotte en planant comme font les oiseaux. Il se sentait bien. Une douce chaleur l’envahissait tandis qu’il évoluait au-dessus de la plaine, en direction des collines de Norsdoth. Quand il survola le champ de bataille, il eut la sensation de briller comme une étoile. L’affrontement était loin d’être fini. De part et d’autre, des milliers de soldats se déchiquetaient en hurlant, fracassant leurs carapaces et leurs lames de métal. Le garçon fut saisi d’horreur par la violence qui éclatait sous ses yeux. Le sang et les membres coupés maculaient le sol en motifs anarchiques. Les corps à corps opposaient les armures aux cottes de mailles, les archers aux lanciers, les cavaliers aux fantassins. Les chevaux piétinaient, de leurs sabots couverts -8- d’acier et de pointes, des hommes à terre. L’enfant observait le combat mais n’entendait rien. Il imaginait les cris déchi-rants des blessés, les claquements des fouets et le vacarme métallique des épées. Soudain, une volée de flèches traversa le ciel et le transperça. Il perçut un souffle mais rien de plus. Les carreaux continuèrent leur vol funeste jusqu’à leurs cibles. Il chercha en vain à reconnaître, parmi ces nouvelles victimes, l’un de ceux qui venaient régulièrement profiter des services de sa mère. Ou abuser d’elle, il ne savait pas bien. À la place, un visage apparut tout près du sien. — Maman ? s’étonna le garçon. Elle ne répondit pas mais posa sur lui un regard triste. Elle semblait inquiète, affichant cette expression qu’il lui avait déjà vue, une nuit, pendant son sommeil. L’enfant l’avait contemplée avec affection, ignorant comment la réconforter. Elle avait murmuré quelques phrases, un filet de prophéties à peine audibles. Elle rêvait, elle aussi… Mais elle ne tenait pas à effrayer son fils, celui sur qui reposait tant d’espoir. Son rôle à elle dépassait l’enjeu de cette guerre. En apparence, elle n’était qu’une fille à soldats. Comment son fils aurait-il pu comprendre qu’elle faisait cela pour lui ? Sous les assauts de ces pauvres garçons promis à la boucherie des batailles, elle se rendait invisible aux yeux de ses ennemis. Cette fois encore, en se glissant dans le sillage de cette bataille entre seigneurs rivaux, elle ne cherchait qu’à disparaître, à se fondre dans le chaos pour échapper à ceux qui étaient lancés à leur poursuite. Le danger ne s’était pas encore manifesté, mais il planait. Il les poursuivait et les pourchasserait sans répit. Et s’ils le retrouvaient… Pourrait-elle tenter de stopper ceux qui les traquaient ? Elle n’était rien, comparée à ce que pouvait un jour devenir l’enfant. Lui ne savait rien, il n’avait pas besoin de savoir. Pas pour l’instant, du moins. Chaque soir, elle s’endormait la peur au ventre, car, s’ils devaient la retrouver, ce serait durant la nuit. Depuis que l’enfant -9- était né, elle fêtait chaque nouvelle apparition du soleil. Ses premiers rayons avaient la valeur d’une promesse : il n’arriverait rien ce jour-là. Mais chaque soir, dès le crépuscule, tout recommençait. Et ce soir, ils partageaient le même rêve… Leurs esprits flottaient au ras des lances brandies par les derniers combattants qui s’engouffraient dans un tourbillon mortel. Un tourbillon hérissé de lames qui ondulaient tels les piquants d’un Dragon en furie. L’enfant ne distinguait plus qu’un gouffre agité et coloré. Son attention l’appelait ailleurs, en amont du combat. Là, il remarqua une chose étrange : une flamme semblait danser au- dessus de la mêlée, progressant rapidement au milieu des soldats. Quand elle parvint à son niveau, il constata que le brasier n’était, en fait, qu’une série de torches dressées par un groupe de silhouettes noires, serrées les unes contre les autres. Elles avançaient avec détermination, sans porter la moindre attention à l’enfer qui se déchaînait autour d’elles. Le garçon les suivit. Inexplicablement, les adversaires placés sur leur chemin baissaient la garde pour leur ouvrir le passage. Un mauvais pressentiment l’envahit. Le groupe se trouvait maintenant dans la plaine. Le temps semblait s’accélérer. Les silhouettes laissaient derrière elles les simples mortels se massacrer. Leur objectif était ailleurs. Cela ne faisait plus aucun doute : elles recherchaient quelque chose, ou quelqu’un. Leur démarche était coulée, leurs flambeaux légèrement penchés vers l’avant, déchirant les ténèbres, alors qu’elles-mêmes portaient de longues capes couleur charbon. Quand elles franchirent la rivière d’une seule enjambée, l’enfant comprit que cette escouade nocturne se dirigeait vers lui… lui et sa mère. Il ne savait pas pourquoi, mais il en était persuadé. Il était aussi convaincu d’une chose : ces hommes venaient les tuer ! Les assassins se confondaient avec la nuit. Au nombre de -10- treize, ils se glissaient jusqu’à la roulotte et l’encerclaient à pas lents. uploads/Litterature/ gaborit-mathieu-les-chroniques-des-feals-1-coeur-de-phoenix-2000-ocr-french-ebook-alexandriz.pdf

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