Genre et manuels scolaires au filtre des images, par Fanny Lignon, Vincent Porh

Genre et manuels scolaires au filtre des images, par Fanny Lignon, Vincent Porhel et Heri Rakoto-Raharimanana Posted on 04/10/2012 by Muriel Salle L’attention portée aux images des manuels se comprend par la place que tiennent ces dernières non seulement dans les apprentissages, mais également dans les modèles d’identification proposés aux élèves et à leurs parents. Dans ce contexte une approche genrée de cette problématique amène à mettre en évidence un certain nombre d’évidences : d’une part les élèves sont des êtres socialement sexués et notamment par l’école, d’autre part ces rôles sociaux de sexe induisent une posture différenciée des filles et des garçons à l’égard de leur avenir professionnel au travers des stratégies d’orientation, enfin ces stratégies révèlent le poids des stéréotypes de sexe empêchant souvent la libre formalisation d’une orientation professionnelle. Dans ce contexte quel rôle jouent les images des manuels ? Ces dernières participent à l’assignation des rôles de sexe de par leur prégnance tout au long de la scolarité, du statut éminent dévolu, consciemment ou inconsciemment, au manuel scolaire, de la permanence de stéréotypes de sexe en leur sein. L’objet de cet article est donc de replacer une expérimentation originale dans le cadre plus vaste des actions en faveur d’une relecture des manuels scolaires et de proposer des pistes de réflexion et de réalisation pratique, par l’exemple, des modes de déconstruction des images à l’usage des enseignants. 1 – GENRE, STEREOTYPES ET MANUELS SCOLAIRES : HISTOIRE D’UNE DECONS-TRUCTION Les manuels scolaires ont un rôle particulier dans la construction des identités : adoubés par l’institution, cheville ouvrière des relations entre le maître et l’élève, photographie de la société à un moment donné, les manuels s’imposent à l’entendement des enfants comme des enseignants qui hésitent à le remettre en question (surtout quand ils l’ont eux-mêmes choisi). Mais s’ils véhiculent des connaissances, ils sont également porteurs de stéréotypes[1] qu’ils soient raciaux, sociaux ou sexués. De là la nécessité de les repérer afin de poursuivre l’objectif d’égalité des chances. Or percevoir pour déconstruire les stéréotypes de genre nécessite une formation préalable de l’enseignant encore trop rare malgré les initiatives tant de l’université que du ministère. Dans ce contexte, le rôle des images est fondamental. Cette interface attrayante entre l’élève et le texte fascine et, plus que le résumé de la leçon – par ailleurs de plus en plus réduit à l’intérieur des ouvrages –, est le producteur des représentations. La densité croissante de ces images au sein des manuels amplifie encore leur action d’entérinement des stéréotypes aidés en cela par les paratextes qui les accompagnent – qu’ils soient des légendes, des questions ou des titres – et qui le plus souvent taisent – voire avalisent – les stéréotypes en cause. Il est en effet très rare que des images soient introduites ou contextualisées : elles ont une fonction de documents en histoire-géographie, d’illustrations en mathématique et en français mais en aucune manière elles ne sont réellement considérées comme donnant à voir le réel or c’est bien de cette manière qu’elles sont perçues par les élèves, l’accès à la dimension symbolique inhérente aux images restant du ressort de l’enseignant. Des élèves qui ne peuvent donc – et depuis longtemps – manier de façon autonome des manuels de plus en plus complexes. Enfin la profonde intégration sociale des stéréotypes interdit aux auteurs mêmes de repérer sur telle ou telle image les formulation du sexisme dès lors qu’ils ne sont pas formés à cette analyse. Pourtant davantage que le texte, l’image, parce qu’elle provoque la réaction, autorise la déconstruction, en ce sens, elle est le meilleur outil de remise en cause des stéréotypes qu’elle montre à voir. L’enjeu est important. Du modèle assignée aux filles comme aux garçons dépends le processus d’orientation marqué, alors même que les filles réussissent globalement mieux leur scolarité que les garçons, par un choix genré des filières débouchant sur des parcours professionnels hachés pour les filles et le déficit de candidats à des filières scientifiques et techniques[2]. 1-1 Quelques jalons d’une relecture des manuels Transposition des programmes et des documents d’accompagnements, part la plus facilement appréhendable de l’enseignement, les manuels ont donc donné lieu à de nombreuses études depuis la mise en évidence des problématiques féministes au sein de l’éducation. La longue remise en cause des stéréotypes sexués qui en a découlé aboutit aux toilettages de 1975 et 1982 à l’occasion desquels sont extirpés les stéréotypes les plus criants. Cette relecture genrée des manuels est concomitante des avancées et des reculs (« backlash ») de la pensée féministe depuis les années 70 jusqu’à nos jours. En ce sens cette démarche apparaît comme étroitement liée aux débats politiques en cours plus qu’aux avancées de la recherche scientifique. A cet égard trois principaux acteurs vont participer à la prise en compte du sexisme dans les manuels au sein d’une chronologie différenciée : les scientifiques, les responsables politiques nationaux ou européens, les acteurs du mouvement associatif. Cette prise en compte débute par ces années 70 fondatrices marquées par la publication des premiers ouvrages spécialisés sur la question des manuels scolaires et du sexisme et par les premières actions réglementaires en lien avec ce « féminisme institutionnel » incarné par la mise en place des premiers secrétariat d’Etat puis ministère consacré à la cause des femmes. A cette période faste succède une période plus difficile où l’action féministe semble refluer devant l’affirmation du mythe égalitaire avant l’émergence à la fin des années 90 des premières analyses scientifiques et de la reprise du combat pour l’égalité des sexes dans les manuels scolaires à l’initiative notamment d’associations féministes. C’est en 1965 que Marie-José Chombart de Lauwe fait œuvre de pionnière en questionnant les modèles enfantins dans les manuels et la littérature de jeunesse[3], la première elle met en évidence la prégnance des modèles masculins lesquels lui apparaissent dynamiques, indépendants et ruraux. En 1969, Suzanne Mollo aborde à son tour les problématiques sexistes et notamment – mais pas spécifiquement – dans les manuels scolaires[4]. En 1975 le relais est pris au niveau institutionnel par Françoise Giroud, secrétaire d’état à la condition féminine sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, qui impose la nécessité d’une révision des manuels scolaires du primaire alors que la même année Georges Falconnet et Nadine Lefaucheur mettent en évidence les stéréotypes tendant à réduire le féminin à sa stricte nature biologique[5]. Les débuts des années 80 vont voir une accélération de ces remises en cause. La parution et le succès de l’ouvrage d’Annie Decroux-Masson « papa lit, maman coud »[6] montre que la société française est mûre pour une remise en cause drastique des stéréotypes les plus éculés alors que le modèle de la femme au foyer recule devant la visibilité croissante de la femme au travail[7]. Malgré les hésitations des autorités publiques à l’égard de ce qui pourrait apparaître comme une pression sur des éditeurs par ailleurs totalement libres de l’élaboration de leurs manuels, de nombreuses initiatives réglementaires sont prises au niveau national comme au niveau européen. L’arrêté du Bulletin Officiel de l’Education Nationale du 12 juillet 1982 insiste sur la lutte contre la discrimination sexiste et la même année un nouveau toilettage des manuels est effectué. Le relais est alors pris par la communauté économique européenne qui, en 1985, dénonce la présentation stéréotypée des deux sexes et la nécessité d’une révision du matériel didactique[8]. Et puis les productions et initiatives se tarissent à partir du milieu des années 80 sous le poids d’un conservatisme ambiant venu d’Angleterre et des Etats-Unis et de la fin des grandes espérances sociétales. C’est en 1997 que le rapport Rigner, commandé par le premier ministre Alain Juppé, donne un nouvel élan aux études sur les images sexistes dans les manuels scolaires et de 1997 à 2007, trois travaux de synthèse se succèdent autour de la problématique des stéréotypes de genre dans les manuels scolaires[9] alors même que le recul de la dynamique féministe tend à valider dans l’opinion le combat contre les stéréotypes sexistes comme un combat d’arrière- garde sans véritable objet puisque le problème de l’égalité de sexes semblent déjà réglé[10]. Pourtant ces travaux, tout prenant acte des évolutions depuis les années 60, n’en souligne pas moins la persistance des manques à la lueur des progrès des études de genre. D’autres ouvrages publiés pendant la période, tel que ceux d’Eric Bruillard[11] et de Denise Guillaume[12], développent de semblables constats tant pour le primaire que pour le secondaire. Enfin les conventions interministérielles pour « l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif » de 2000 et 2006 rappellent leur objectif d’ « inciter les professionnels de l’édition à renforcer la place des femmes dans les manuels scolaires et écarter tout stéréotype sexiste de ces supports pédagogiques ». Dans le même temps, des associations, telle « du côté des filles » ou bien « la meute », militent contre les stéréotypes sexistes tant dans la littérature enfantine que dans la publicité participant ainsi à faire à nouveau émerger une nouvelle prise de conscience. 1-2 Etat des lieux et uploads/Litterature/ genre-et-manuels-scolaires-au-filtre-des-images.pdf

  • 17
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager