83 Jacob Pardo La condition féminine au miroir des Menus Visages De Jacob Pardo

83 Jacob Pardo La condition féminine au miroir des Menus Visages De Jacob Pardo, rabbin à Split et à Raguse (Venise 1797) Gérard Nahon Ecole Pratique des Hautes Etudes, Sorbonne, Paris Introduction La personnalité et l’œuvre du rabbin Jacob ben David Pardo (1740-1819), étaient tombées dans l’oubli le plus profond: les travaux sur Dubrovnik l’ignoraient et l’ignorent encore. La notice de l’Encylopædia Judaica mentionne ses œuvres principales mais se montre aussi imprécise que brève sur sa biographie: Pardo, Jacob (18ème siècle), rabbin. Fils R. David Pardo, il naquit à Spalato (Split) et fut rabbin à Raguse. Il devint un talmudiste de renom, également versé dans la Kabbale. Il mourut à JérusalemÆ1 La troisième conférence du Centre d’études méditerranéennes (Université de Zagreb): “L’histoire sociale et culturelle des Juifs de la côte est de l’Adriatique au XVIIème 1 Arie-Loew Frumkin, Livre de l’histoire des rabbins de Jérusalem depuis l’an 5250 [1490] jusqu’à l’an 5630 de la Création [1870], Jérusalem, Imprimerie Salomon, 1929, réimpr. Tel Aviv 1969 [en hébreu]. vol. III p. 98; courte notice sur Jacob Pardo dans Spomenica 400 godina od polasko jevreja u Bosnie i Hercegovinu 1566-1966, s.l.n.d., p. 274; Tovia Preschel, “Pardo, Jacob (18ème siècle)”, Encyclopædia Judaica 1970, t. 13 col. 94; Moshe- David Gaon, Yehude ha-Mizrah be-Eretz-Israel (Les Juifs d’Orient en Palestine) [en hébreu], Jérusalem 1937, 20003 pp. 540-541, Shlomoh Zalman Halkin, “Pardo, David Samuel ben Jacob 1718-1748” [le petit fils du nôtre], Encyclopædia Judaica, nouvelle édition. Thomson Gale 27, vol. 15 pp. 633-634 écrit encore à propos de notre rabbin: “Jacob devint le Grand Rabbin de Raguse et mourut à Jérusalem”. Il est vrai que dans la même Encyclopædia Judaica, nouvelle édition, vol. 6 pp. 38-39, Daniel Furman et Zvi Loker (que j’avais informé de ma découverte) ajoutent à propos des sépultures du cimetière de Dubrovnik: “y compris le Rabbin Jacob Pardo qui décéda en 1819”. La condition féminine au miroir des Menus Visages 84 siècle”, tenue à Dubrovnik du 27 au 30 août 2000 m’a permis de compléter ces maigres données. A cette occasion, le regretté président de la communauté juive, M. Bruno Horovitz, m’accorda l’autorisation de visiter le cimetière juif de Boninovo.2 Lors de ma première visite in situ, le 4 septembre 2000, je découvris à ma grande surprise une magnifique sépulture que j’identifiai comme celle de Jacob Pardo. Les rares auteurs mentionnant Jacob Pardo plaçaient son décès à Jérusalem. Deux années plus tard, lors de la quatrième conférence internationale: “L’histoire sociale et culturelle des juifs de la côte Est de l’Adriatique au XVIIIème siècle”, tenue à Dubrovnik du 18 au 21 août 2002, dans une communication intitulée “Épigraphie et littérature: Jacob Pardo rabbin à Raguse (1740-1819)”, j’ai présenté l’épitaphe jusqu’alors inédite du rabbin qu’il m’avait été donné de transcrire.3 Cette épitaphe très élogieuse d’un maître spirituel, d’un auteur fécond, d’un savant kabbaliste m’a incité à aborder son œuvre littéraire et à en rechercher les exemplaires manuscrits et imprimés d’une extrême rareté à la Bibliothèque Nationale et Universitaire et à l’Institut Ben Zvi à Jérusalem ainsi qu’à la Bibliothèque Nationale de France et à la bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle à Paris. Il s’agit d’une œuvre d’une grande richesse, d’une grande Science et particulièrement attentive à la vie et à l’histoire de la communauté juive de Raguse: elle comprend notamment une ré-édition en 1798 d’un livret intitulé Sefer ma‘asseh nissim de Aaron b. David ha-Cohen relatant le procès pour meurtre rituel intenté en 1622 à Isach Jesurun4 et, surtout, la publication en 1800 à Venise du Sefer Tehila ba-aresh, un recueil liturgique et commémoratif du terrible tremblement de terre survenu le 6 avril 1667.5 Les 2 Sur le cimetière, cf. Zusta Efron, “Jevrejski Nadgrobni spomenici u Dubrovniku”, dans Zbornik 1 Studije i Grada o jevrejima Dubrovnika, Jewish Studies 1, Studies and documents about the Jews in Dubrovnik, Belgrade 1971 pp. 337-352. Cet article comprend un historique du cimetière et plusieurs photographies de sépultures mais ignore celle de Jacob Pardo. Pour un aperçu sur la communauté juive de Dubrovnik, cf. Bernard Stulli, Zidovi Dubrovniku, Jews in Dubrovnik, Zagreb 1989, qui ne dit rien de notre rabbin. 3 Ma transcription de l’épitaphe se trouve dans un article en cours de publication. 4 Sur l’épisode tragique de 1622, cf. Aaron b. David Cohen, Zeqan Aharon we-Shemen tov, suivi de Ma‘asseh Yeshurun, Venise 1657 [en hébreu], Ivan-August Kasnacic, Processo di Isach Jesurun Israelita di Ragusa nel 1622, Raguse, Giuseppe Flori 1882, Jorjo TADIC, Jevreji u Dubrovniku do polovine XVII stoljeca, Sarajevo 1937 pp. 119-134. 5 Je dois au Professeur Moises Orfali la communication de l’unique exemplaire de ce livre à ma connaissance, conservé à la bibliothèque de l’Université Bar Ilan, celui catalogué à la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Jérusalem ayant disparu de la Réserve. 85 Jacob Pardo recensements de la communauté conservés aux Archives de Dubrovnik qualifient Jacob Pardo de maître d’école – en 1782, il demeurait à Vetraniceva Ulica, dans la maison de Ivo Guskamais, et aquittait un cens annuel de 62 ducats.6 Ses ouvrages permettent de lui rendre la justice qui lui est due et même de le placer au tout premier rang des rabbins de Dubrovnik, une justice que son propre père, dans son approbation à son Sefer qehilat Ya‘aqov (Venise 1784), lui rendait en ces termes: “Entre sept et huit ans, il exposait la Mishna, commençant par le traité Berakhot pour finir sur le traité ‘Uqtzin, et il restait éveillé de jour comme de nuit ...”.7 Jacob Pardo consacra un de ses livres à commenter la partie dite Even ha-‘ezer (Pierre d’assistance, cf. I Samuel, VII,12) du code classique de la loi juive, le Shulhan Arukh, (La Table mise) de Joseph ben Ephraïm Caro (1488-1575)8 paru à Venise en 1551, partie traitant de thèmes matrimoniaux et, plus généralement, des relations avec la femme, sous le titre de Sefer Appe Zutre (Livre des menus visages). Il semble intéressant de rechercher les motivations de notre rabbin dans son expérience personnelle. En 1795, lorsqu’il termine son livre, il a cinquante cinq ans. Son épouse, Bellina Campos, fille du maître d’école Isaac Campos, vient enfin de lui donner un fils, David, apparemment leur unique enfant, né en 1791 après une bien longue attente. Le couple ajouta à son prénom David celui de Samuel, parce que c’était le deuxième nom de son grand père, mais aussi à l’instar de Hanna et d’Elkana en I Samuel, I, 20 (“Parce que, dit-elle, j’ai demandé cet enfant au Seigneur ”). En 1795, ce fils longtemps espéré a quatre ans. Dans son Introduction, Jacob Pardo souhaite que soit donné à son épouse “avec l’amour de ses fiançailles”, ahavat kelulot (cf. Jérémie 2:2), de voir ce fils grandir, étudier la Torah et mériter le titre rabbinique. Le livre paraît à Venise en 1797. La même année, toujours à Venise, Jacob Pardo publie un deuxième livre intitulé Sefer Pitre Rahamim (Premiers nés des matrices) [le terme hébreu Rehem signifie matrice, cf. Exode, XIII, 12, et pour l’expression au pluriel passim, cf. Berakhot 32 b], un livret traitant des préceptes religieux propres à la femme juive, de la pûreté conjugale, de la confection des pains et de l’allumage des lumières du Shabbat.9 La condition féminine intéresse donc notre rabbin, à tel point qu’il lui consacre un commentaire érudit et un manuel pratique. 6 Vesna Miovic, The Jewish Ghetto in the Dubrovnik Republic (1546-1808), Zagreb- Dubrovnik 2005, p. 121. 7 Premier et dernier traité de la Mishna, Bénédictions et Pédoncules des fruits. 8 Cf. l’ouvrage classique de R.-J. Werblowsky, Joseph Karo Lawyer and Mystic, Philadelphie 1980. 9 Cet opuscule m’est resté inaccessible tant à Paris qu’à Jérusalem. La condition féminine au miroir des Menus Visages 86 Le Sefer Appe zutre: manuscrit et édition La troisième section du Shulhan Arukh, Even ha-‘Ezer -selon Genèse, II, 18, Dieu médita de créer pour Adam ezer ke-negdo, “une aide digne de lui”- comprend essentiellement les lois régissant les rapports juridiques entre l’homme et la femme: mariage, biens, divorce. Les Juifs étant régis, avant leur émancipation, par leur statut personnel, les lois et la jurisprudence le complétant ont une portée pratique d’une importance considérable. A ces aspects juridiques s’ajoutent des aspects concrets touchant les relations sexuelles, la conception des enfants, le recours éventuel à des produits contraceptifs. Sous le couvert d’une érudition rabbinique confondante, le Sefer Appe zutre contient des passages traitant de sujets réputés aujourd’hui encore comme sensibles, voire troublants, pour des étudiants de Yeshiva. Le Sefer Appe zutre est représenté par le manuscrit Hébreu 1377 de la Bibliothèque Nationale de France (= Jérusalem, Institute of Microfilmed Hebrew Manuscripts 15.736), manuscrit de 131 feuillets de 26,5 x 18,5 cm, acquis le 25 juillet 1896, que j’ai consulté grâce à l’amabilité de M. Laurent Héricher, conservateur des manuscrits orientaux. Ce manuscrit avait été décrit en ces termes: “Commentaire sur le Even ha-‘ezer par Jacob Pardo, auteur du début de ce siècle qui a publié une explication du prophète Michée”.10 Cette notice ne fait aucune mention de l’œuvre de notre auteur et lui attribue indûment un commentaire de Michée composé en fait par uploads/Litterature/ gerard-nahon-pdf.pdf

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