De l'autobiographie Initiatique à l'autobiographie genre littéraire [with Discu
De l'autobiographie Initiatique à l'autobiographie genre littéraire [with Discussion] Author(s): Georges Gusdorf Source: Revue d'Histoire littéraire de la France, 75e Année, No. 6, L'Autobiographie (Nov. - Dec., 1975), pp. 957-1002 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40525445 . Accessed: 28/07/2011 20:30 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at . http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=puf. . 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Il se situe paradoxalement dans une conjoncture intellectuelle où l'on s'accorde pour proclamer la mort de l'homme, dont une conséquence immédiate est la mort de l'auteur en tant que tel. Le concept d'homme, de personnalité, d'individu centré sur lui-même et responsable de ses faits et gestes, des produits en tous genres de ses activités, n'est qu'un fantasme, appelé à se dissoudre, après deux siècles à peine d'une brève exis- tence, dans le néant d'où il était venu. De là résultent toutes sortes de conséquences admirables, en matière de morale, de politique et de législation. Ni en mal, ni en bien, l'être humain n'a à répondre de ses comportements : nous sommes tous des assassins, c'est-à-dire personne n'est un assassin ; la « société », entité mystique, où grouil- lent les « masses » bénies et indéterminées, prend en charge la culpabilité de tous. La fiction ici imite une réalité qui déjà s'annonce. Voici une adresse à Brasilia : S Q 5 415, BL K, Apto 107 ; on peut compléter par le numéro de téléphone et le numéro de sécurité sociale. Les coordonnées des uns et des autres, en cette ville où le futur est déjà arrivé, se ressemblent autant que les fonctionnaires qui y demeu- rent, en des cellules juxtaposées ou empilées les unes sur les autres. L'application de cet esprit nouveau à la littérature suscite l'idée du livre sans auteur, dont Julien Gracq salue l'avènement : Dans un grand journal du soir, à la page des spectacles, on peut trouver la liste des films o en exclusivité » à Paris, classés sous trois rubriques : Films français - Films étrangers - Films d'auteurs. Le premier mouvement est d'en sourire, mais il y a là, même naïf, en somme, un essai de tri qui, transposé dans le domaine de l'imprimé, ne serait pas sans clarifier le commerce de la littérature. La notion utile de livre sans auteur, introduite dans la librairie, en officialisant un secteur de littérature industrielle, permettrait à la clientèle de masse, dans les bibliothèques de gare et de métro, au tourniquet des drugstores, d'aller à l'imprimé comme on va au cinéma du samedi soir, sans se poser de questions de provenance embarrassantes et importunes. Mais - j'y songe - 958 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE c'est déjà fait. Si on parcourt de l'œil l'éventaire d'un libraire de gare, il est clair que le nom de l'auteur n'est aujourd'hui sur la couverture, neuf fois sur dix, que l'équivalent du nombril au milieu du ventre : quelque chose dont l'absence se remarquerait, mais qui ne saurait a priori inciter personne à une quelconque recherche de paternité 1. L'ironie transcendante de Julien Gracq ne croit sans doute pas si bien dire. Les jeunes Turcs de la littérature et de la philosophie nous ont bel et bien fait entrer dans Tage des livres sans auteur, à cela près peut-être qu'on se demande s'ils ont poussé la logique jusqu'à refuser les droits d'auteur qui leur reviennent pour leurs brillants essais. Les philologues du xvnie siècle finissant avaient rayé de leurs catalogues Moïse, auteur de la Bible, et Homère, auteur de Ylliade et de l'Odyssée. Les maîtres-livres de l'Occident étaient censés, désormais, exprimer directement le génie des peuples, la voix des nations, le Zeitgeist d'une certaine époque ; ainsi faisaient, selon les romantiques, les épopées du Nord, de l'Ouest et du Sud, et les chants populaires de tous les pays. Le mot « masses », avec ses riches connotations idéologiques modernes, manquait encore, mais l'idée était déjà là. Or c'est précisément dans ce temps où le thème de la mort de l'homme succède à celui de la mort de Dieu dans l'actualité intel- lectuelle que bon nombre de professeurs et de critiques se prennent d'intérêt pour un genre littéraire dont le caractère fondamental consiste à mettre en honneur la notion d'individu et la notion d'au- teur. L'œuvre autobiographique s'écrit à la première personne : une existence singulière tente de se ressaisir en son ensemble pour mieux se connaître elle-même et se présenter aux autres. L'objet du récit est ensemble l'auteur du récit ; le sujet est son propre objet. L'illu- sion de l'individualité, si illusion il y a, se présente ici à la puis- sance deux. Cette actuelle curiosité pour l'autobiographie pourrait s'expliquer, selon le courant de la mode établie, par une attention malsaine à ce pourrissement de la personne humaine. L'enfant de chœur sonne la clochette, comme disait Heine il y a un siècle et demi ; on ap- porte au mourant le sacrement des agonisants. L'historien de la littérature se plaît à ce rôle de nécromant, ou d'embaumeur ; il ne s'agirait ici que de procéder à l'autopsie du cadavre exquis de l'homme libéral. Mais l'explication inverse est également plausible. Après tout, les universitaires sont, pour la plupart, des humanistes impénitents. L'intérêt présent pour le genre autobiographique serait alors une réaction de défense, instinctive peut-être, qui aboutit à rassembler des preuves de l'existence de l'homme, des preuves de fait, qui attestent, en marchant, l'existence du mouvement. « J'existe, moi, 1. Julien Gracq, Lettrines 2, J. Corti, 1974, p. 91. DE L'AUTOBIOGRAPHIE INITIATIQUE AU GENRE LITTERAIRE 959 puisque celui-ci existe, et celui-ci et celui-là, chacun dans sa propre singularité ». Le moi « haïssable » de Montaigne, l'égotisme de Stendhal, les nostalgies de M. de Chateaubriand seraient ainsi prises à témoin pour apaiser les angoisses suscitées par une civilisation qui menace les uns et les autres de dépersonnalisation. Cette réflexion relative aux spécialistes littéraires, aux profession- nels du genre autobiographique, doit être généralisée, pour s'appli- quer aux auteurs et au public mobilisés par ce type de productions. Le phénomène de la mort de l'auteur ne semble pas avoir décou- ragé les rédacteurs d'autobiographie. La plupart des écrivains s'y mettent, comme si c'était là un point de passage obligé de leur carrière. Et les livres, les plus anciens comme les plus récents, les classiques" comme les modernes, rencontrent auprès du public un accueil assez satisfaisant pour assurer la pérennité de cette produc- tion. L'amateur d'autobiographie tente sans doute d'élargir et d'exal- ter le sentiment de sa propre existence ; il existe en participation avec les héros, plus doués que lui, du récit autobiographique. Sa lecture lui permet de bénéficier d'un exotisme de la personnalité, par décentrements successifs et projection en autrui. Comme le cri- tique spécialisé, il répond aux défis et démentis de la culture am- biante en rassemblant des monstrations et démonstrations de sa propre réalité. De quoi il résulterait que la curiosité autobiographique s'inscrit dans le cadre d'une apologétique à l'usage de notre temps. Lorsque les hommes ignoraient encore la bonne nouvelle de la mort de Dieu, ils s'ingéniaient à démontrer son existence. Ces exercices se trouvent périmés et déclassés, maintenant que la mort de Dieu est un fait acquis, même pour bon nombre d'adeptes des religions tra- ditionnelles ; l'apologétique change d'objet et s'efforce de prouver l'homme, dont l'identité paraît à son tour mise en question. L'au- teur, le critique, l'amateur qui constituent la clientèle du genre auto- biographique, se trouveraient ainsi rassemblés, à des degrés d'ur- gence divers, par la recherche d'une assurance sur la vie. *** Dans la seconde moitié du xxe siècle, l'autobiographie a pris place parmi les genres littéraires reconnus ; elle rassemble producteurs et consommateurs en un marché commun qui paraît jouir d'une pros- périté croissante. La critique, l'histoire littéraire s'en sont mêlées. Employant avec bonheur le jargon de l'époque, elles se sont uploads/Litterature/ gerges-gusdor-l-autobiographie.pdf
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- Publié le Nov 21, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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