PÉGUY ET DELEUZE, OU "PÉGUY EN MAI 68" Author(s): Marie Gil Source: Revue d'His
PÉGUY ET DELEUZE, OU "PÉGUY EN MAI 68" Author(s): Marie Gil Source: Revue d'Histoire littéraire de la France, 110e Année, No. 4, Jean Anouilh (OCTOBRE-DÉCEMBRE 2010), pp. 979-988 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41061295 Accessed: 28-02-2017 13:09 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue d'Histoire littéraire de la France This content downloaded from 193.54.110.56 on Tue, 28 Feb 2017 13:09:17 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms PÉGUY ET DELEUZE, OU PÉGUY EN MAI 68 Marie Gil* Deleuze a révélé la modernité de Péguy, qu'il considère comme l'écri- vain de l'absolue nouveauté. Il envisage son œuvre selon deux angles : le questionnement philosophique et le style. En réalité, ces deux approches n'en font qu'une : c'est le style de la répétition, ou plutôt de la « varia- tion1 », qui fonde pour Deleuze la pensée du « mouvement-temps » chez Péguy. La plupart des textes qui traitent directement de Péguy chez le phi- losophe concernent ce questionnement. On peut même détecter un effet de « vue dans la lunette », comme si Deleuze n'avait lu que ce passage de Clio dans lequel l'auteur définit son concept de 1'« Internel ». Pour cette raison, on a pu penser que Deleuze s'intéresse à la « pensée philoso- phique » de Péguy, et que celle-ci ne serait qu'« incarnée » par le style, de manière secondaire ou illustrative. Or Deleuze va plus loin : c'est bien en tant qu'écrivain, mais par-delà le style, qu'il appréhende Péguy, et c'est parce qu'il intègre le style à une démarche strictement littéraire, qu'il réussit à maintenir Péguy dans le domaine propre à la littérature : celui du paradoxe, de l'ouverture. Gilles Deleuze va donc en réalité beaucoup plus loin qu'une approche strictement philosophique et « bergsonienne » de Péguy. C'est le para- doxe de l'écrivain qui l'intéresse : Bergson opposait « Nouveau » et « Éternel », Péguy les rassemble. Péguy par son style, par la pensée de la variation, rencontre l'idée de l'Incarnation (la verticalité de l'événement), étrangère à Deleuze - or c'est à travers cette même représentation de * Université de Paris IV-Sorbonne. 1. Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, Presses Universitaires de France, 1993 [1968], p. 373. RHLF, 2010, n° 4, p. 979-988 This content downloaded from 193.54.110.56 on Tue, 28 Feb 2017 13:09:17 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 980 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE l'événement, et en se référant explicitement à Péguy, que Deleuze don- nera sa lecture du mouvement de mai 1968. Deleuze pense-t-il le paradoxe jusqu'au bout ? À travers les écrits fragmentaires et diffractés qu'il consacre à Péguy, de Différence et répéti- tion jusqu'à ses derniers cours et Y Abécédaire, réussit-il à penser 1'« éton- nement » de cette communion entre deux esprits que la mystique devait séparer ? Cette figure d'un « Péguy 1968 » est-elle authentique ou n'est- elle que le produit d'une projection ? Peut-on penser un Péguy lecteur de Deleuze, conformément à la théorie du temps « rétroactif » de ces deux écrivains ? DELEUZE LECTEUR Péguy est, à première vue dans les écrits de Deleuze, une référ d'autorité, un exemplum ou une citation. La communion d'esprit entr deux penseurs et écrivains se lit dans l'allégation constante des im des métaphores de Péguy, du « Paris n'appartient à personne » de Cin 1 au « Tartuffe humanitaire » de Qu y est-ce que la philosophie2 ? Pég sert à penser, et chaque formule, chaque concept, est lui-même répét le long de l'œuvre de Deleuze, comme si finalement l'œuvre du contenait par avance les répétitions de Deleuze. Et en effet, c'est une ture de la répétition que Deleuze donne de l'œuvre de Péguy. Répétition dans la langue et événement : du style à l'événement et réciproquement La répétition chez Péguy est pour Deleuze un retour au fondem poétique, à 1'« Idée » de poésie, et une mise à nue du langage propr poétique. Il rappelle que la spécificité du langage poétique consiste vailler sur le signifiant phonique de la langue et la mesure du rythm répétition littéraire est l'indice qu'il y a une force, irréductible aux n qui permet que le poème s'écrive. La répétition, au-delà de la disti des genres3, ramène tout langage littéraire à son origine musicale ou tique - ramène la littérature à la musique, selon le vœu de Malla Mais le rythme de la répétition ne se réduit pas à un modèle musi 2. « Paris n'appartient à personne » {Cinéma 1. L'image-mouvement, Paris, Édit Minuit, 1983, p. 287) ; « Tout démocrate est aussi "l'autre Tartuffe" de Beaumarchais, le T humanitaire comme disait Péguy » (Qu 'est-ce que la philosophie ?, Paris, Éditions de 1991, p. 102). Voir encore la citation de Francis Bacon, Logique de la sensation, Paris, du Seuil, 1981, p. 67. 3. Différence et répétition, op. cit., p. 373 : « Maintenant il va de soi que les poèmes er n'ont pas à être adéquats à cette Idée de poésie ». This content downloaded from 193.54.110.56 on Tue, 28 Feb 2017 13:09:17 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms NOTES ET DOCUMENTS 98 1 se prétend adéquat au sensible. C'est une puissance à la fiction. Le mot « répétition » n'est pas compris de manière métaphorique mais Péguy tente de l'incarner, d'en faire quelque chose de nouveau dans le style, d'en faire une suspension de la loi morale, une pensée de par-delà le bien et le mal. La répétition, c'est l'inscription du caractère unique de l'événement, c'est l'épiphanie de l'événement pour Deleuze comme pour Péguy. L'événement et le « nouveau » sont synonymes sous la plume du philosophe, ils s'incarnent dans le style de Péguy fondé sur une philoso- phie bergsonienne du temps : Bergson introduit une mutation dans la pensée philosophique. Il dit : la ques- tion n'est plus celle de l'éternel, mais du nouveau. Et Péguy, malgré ou peut-être à cause de sa conversion, incarne par son style ce nouveau. En d'autres termes, la production d'un quelque chose de nouveau, c'est la répétition4. La répétition stylistique est liée à une conception de l'événement. Les reprises de Péguy pour Deleuze donnent aux mots une épaisseur verticale « qui leur fait perpétuellement recommencer l'"irrecommençable"5 ». Deleuze définit ici un lien entre le renoncement à l'histoire et le style qui aura son importance dans sa lecture de mai 1968. Le rapport du style à l'histoire et des mots au temps représente la grande originalité de cette lecture de Deleuze : la technique de répétition de Péguy définit pour lui un « langage auroral » où l'on procède par différenciations minimes pour engendrer l'espace intérieur des mots : « tout débouche sur le problème des morts prématurés et du vieillissement6 ». La répétition touche à la mort parce qu'elle procède d'une conception du langage comme orga- nisme vivant, et elle se fonde sur l'idée que la mort inspire le langage comme elle informe l'histoire. Ce retour à un pré-langage, un langage archaïque qui restitue le lecteur à une expérience historique du temps, Deleuze le nomme aussi « folie grandiose » du langage, et c'est à la lumière de cette folie que l'événement de mai 1968 est analysé dans l'œuvre, en référence à Péguy. Mai 1968 Deleuze ressent les événements de mai 1968 comme le triomphe de l'intempestif. Il y lit que le politique est reconquis comme événement et singularité. Il y lit donc, selon la définition de la répétition péguyenne, Y essence de la répétition. C'est à travers le discours de Péguy dans Clio qu'il tente d'expliquer en quoi mai 1968 établit une distinction entre 4. Gilles Deleuze, Claire Parnet, L'Abécédaire de Gilles Deleuze, « S : Style ». 5. Id., Critique et clinique, Éditions de Minuit, 1993, « Bégaya-t-il... », p. 140. 6. Id., Différence et répétition, op. cit., p. 34. This content downloaded from 193.54.110.56 on Tue, 28 Feb 2017 13:09:17 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 982 REVUE D'HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE l'histoire et son devenir. Mai 1968, c'est par excellence l'événement qui échappe à l'histoire : Dans [...] Clio, Péguy expliquait qu'il y a deux manières de considérer l'évé- nement, l'une qui consiste à passer le long de l'événement, à en recueillir 1 'effec- tuation dans l'histoire, le conditionnement et le pourrissement dans l'histoire, mais l'autre à remonter l'événement, à s'installer en lui comme dans un devenir [...]. Le devenir n'est pas de l'histoire : l'histoire désigne seulement l'ensemble des condi- tions si récentes soient-elles, dont on se détourne pour « devenir », c'est-à-dire pour créer quelque chose de nouveau. [...] Mai 1968 a été uploads/Litterature/ gil-peguy-et-deleuze.pdf
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- Publié le Aoû 05, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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