Alexandre Grandazzi La Roma quadrata : mythe ou réalité ? In: Mélanges de l'Eco

Alexandre Grandazzi La Roma quadrata : mythe ou réalité ? In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 105, N°2. 1993. pp. 493-545. Résumé Alexandre Grandazzi, La Roma quadrata : mythe ou réalité?, p. 493-545. Notion complexe et apparemment dépourvue de sens précis, la Roma quadrata est très généralement considérée comme le produit d'une élaboration tardive. L'examen philologique des sources aboutit d'abord à montrer que celles-ci sont plus nombreuses qu'on ne le pense communément, tandis qu'on ne peut expliquer leurs divergences apparentes par l'hypothèse d'une prétendue évolution. La polysémie de l'expression Roma quadrata s'explique en réalité parce qu'elle désigne à la fois l'étendue (quadripartite) des auspicia urbana et l'autel (carré) consacrant le processus de la fondation, autel qui a pu être interprété par les Anciens comme marquant le lieu de l'auguraculum primordial : quant à l'ubiquité d'une Roma quadrata attestée tantôt sur le Palatin, tantôt au Comitium, elle ne fait que refléter le passage de l'Urbs palatine à la ville «refondée» sous l'ère tarquino-servienne. Citer ce document / Cite this document : Grandazzi Alexandre. La Roma quadrata : mythe ou réalité ?. In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité T. 105, N°2. 1993. pp. 493-545. doi : 10.3406/mefr.1993.1813 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_0223-5102_1993_num_105_2_1813 ROME ALEXANDRE GRANDAZZI LA ROMA QUADRATA : MYTHE OU RÉALITÉ? À la mémoire d'André Magdelain Roma quadrata, la «Rome carrée»1 : une tradition littéraire bien incer taine, à laquelle viennent s'ajouter quelques éléments topographiques et épigraphiques ténus, place aux origines mêmes et au centre de la Ville de Romulus un lieu et une cérémonie qui, au jugement actuel - et pour une fois unanime (le fait est assez rare pour être noté) - de la recherche, tiennent plus du mythe que de la réalité, du rêve et de là fantaisie des éru- dits (fussent-ils anciens ou modernes) que de l'histoire sérieuse. C'est que celle-ci, à juste raison, n'en doutons pas, se méfie des origines. Les origines attirent, fascinent l'esprit qui s'y attache et en même temps, sans doute, l'é- garent. Et à en juger par la prolifération, sur un sujet comme le nôtre2, des interprétations, des hypothèses, des reconstructions toujours divergentes tentées à son propos, il a paru souvent plus sage, plus prudent et plus utile de tourner la critique historique vers d'autres horizons. C'est ainsi que le double et grand mouvement qui s'observe actuellement, dans l'érudition sur les primordia Urbisi, de retour vers le site même de Rome et de revalori- 1 Cet article a pour point de départ une conférence prononcée le 31 janvier 1992 à l'Institut de Droit Romain de l'Université de Paris II : je remercie son directeur, Mi chel Humbert, ainsi que Pierre Grimai, pour l'intérêt qu'ils ont bien voulu porter à cette étude et pour de précieuses suggestions. Je remercie également Adam Ziolkow- ski, de l'Université de Varsovie, pour avoir relu, avec son acribie coutumière, et dis cuté avec moi les résultats de cette recherche. Une première version de ce travail bé néficia de l'aide et des conseils d'André Magdelain, au souvenir duquel ces pages sont dédiées. 2 Outre les considérations générales exposées par W. Müller dans sa synthèse, Die heilige Stadt, Stuttgart, 1961 (p. 9-52), et par J. Rykwert dans The Idea of a Town : the anthropology of urban form in Rom, Italy and the ancient world, Londres, 1976 (p. 97-99), la Roma quadrata a suscité de très nombreuses études de détail : voir les bibliographies données par F. Castagnoli, «Roma quadrata», dans Studies presented to D. M. Robinson, I, Saint-Louis, 1951, p. 388-399, et par D. Musti (art. ci té infra, n. 4), ainsi que les indications qui suivent. 3 Pour une analyse d'ensemble des recherches sur ce thème, on nous permettra MEFRA - 105 - 1993 - 2, p. 493-545. 494 ALEXANDRE GRANDAZZI sation raisonnée de la légende des origines, n'a, en ce qui concerne la Roma quadrata, nullement abouti à une remise en cause d'une doctrine uniformé ment acceptée, à l'exception seulement d'un article de Domenico Musti consacré à l'examen des traditions littéraires prévarroniennes. Il reste qu'aujourd'hui comme hier, on continue de penser que la tradi tion antique faisant état d'une mystérieuse Roma quadrata (dont on ne sait s'il s'agit d'un petit sanctuaire de forme carrée, ou du Palatin, ou encore de la ville tout entière) n'est pas autre chose qu'une tradition artificielle, réani mée sinon fabriquée par des érudits aussi imaginatifs que complaisants vis-à-vis du Prìnceps Auguste, qui avait choisi d'établir sa résidence sur le Palatin, lieu «romuléen» par excellence; Dans cette hypothèse, il y a peut- être l'hommage de notre corporation à nos lointains prédécesseurs, mais en l'occurrence, l'hommage me semble excessif et sans doute immérité. Il est vrai que certains iront volontiers jusqu'à concéder que les traditions, tant topographiques que mythographiques, sur la Roma quadrata, aient pu contenir un «noyau»4 de souvenirs authentiques, que néanmoins l'état à la fois lacunaire et contradictoire de la documentation interdirait de préciser davantage. Au risque cependant de paraître bien imprudent, je crois qu'il est pos sible de considérer la Roma quadrata autrement que comme une forgerie délibérée, et de s'orienter vers une solution qui puisse prétendre, sinon à une vérité définitive, du moins à une meilleure prise en compte de l'e nsemble des éléments dont nous disposons. Non pas qu'il faille, pour cela, battre en brèche toutes les hypothèses antérieures et les acquis de travaux récents, aussi bien du point de vue philologique que topographique, puisque ce sont précisément ces recherches (meilleure édition de textes très difficiles, celui d'Ennius, par exemple; meilleure connaissance d'en droits extrêmement denses à la fois mythographiquement et archéologi- quement - je pense au Palatin et à l'identification désormais acquise du temple d'Apollon -; meilleure connaissance aussi de la survie des légendes) qui m'ont paru rendre possible un nouvel examen de cette tradition. En effet, sur des points essentiels, l'hypothèse communément reçue d'une fabrication artificielle ne me convainc pas, tout simplement pour de renvoyer à notre ouvrage, La Fondation de Rome. Réflexion sur l'histoire, Paris, 1991 (lre partie). 4 D. Musti, Vairone nell'insieme delle tradizioni su Roma quadrata, dans Gli sto- rìografiìatini tramandati in frammenti, Atti del convegno di Orbino 1974, 1975, p, 297- 318 (Stud. Urb. (Ser. B), 1), dont la conclusion est la suivante : «Lasciamo spazio alla possibilità di riconoscervi nuclei di memorie autentiche». LA ROMA QUADRATA : MYTHE OU RÉALITÉ? 495 cette raison qu'elle laisse en suspens les difficultés qu'elle prétend résoudre. Ces difficultés sont connues et je les rappellerai d'un mot : que désigne l'e xpression Roma quadrata ? Un lieu dit, de surface très restreinte et de forme carrée, situé sur le Palatin, comme semblent le suggérer certains textes5, ou au contraire l'ensemble de la colline palatine6, selon une autre valeur que paraît avoir aussi l'appellation Roma quadrata? Que faire également de cet autre texte de Plutarque, de bon aloi pourtant7, qui situe la fosse de fondat ion8 sur le Forum9 et non pas sur le Palatin, lui donnant une forme ronde10 et non plus carrée? Quant au personnage, mythique plutôt qu'historique, dit-on, qui serait responsable de l'établissement de cette Roma quadrata, là encore les textes divergent. Tantôt il s'agit de Romulus, le plus souvent à vrai dire, tantôt de Servius Tullius11. Contradiction donc d'un auteur à un 5 Festus 310 L qui parle d'un locus, en contradiction, semble-t-il, avec le vers, de sens plus large, d'Ennius, qu'il cite dans ce même lemme; peut-être Solin, Mir. 1, 17, invoquant l'autorité de Vairon, et Pap. Oxyr. 2088; l'inscription CIL VI, 32327 des jeux Séculaires de 204. Cf. aussi (même si le nom de R.q. en est absent) : Ovide, Fastes IV, 822 et s. et Trist. Ill, I, 32; Plutarque, Rom. 11, 2; peut-être Fest. 318 L, Romanam portant; ajouter les deux documents décrits infra à la n. 12. 6 Ennius {Ann. 157 V2 = 150 Sk.), où le toponyme paraît désigner la ville de Rome tout entière, sans que rien ne dise explicitement que celle-ci soit limitée au seul Palatin sinon, précisément, le commentaire de Festus (Verrius Flaccus) qui, lui, semble donner à la formule une acception plus restreinte; Dion. Hal., Ant. Rom. I, 88 (et II, 65); Αρριεν, Frg. la, 9; Tzetzes ad Lycofr. 1232; cf. aussi Zon. 7, 3 (= Cass. Dio I, p. 8 Boiss.); Plut., Rom. 9, 4 [?]; le sens du Pap. Oxyr. 2088 est incertain (cf. infra); Solin [?] (cf. infra, n. 54); bien que l'appellation R.q. n'y apparaisse pas, on ajoutera : Lrv. I, 43, 13; Tac, An. XII, 24; Gell., N.A. 13, 11; Excerpt. Plan. (Mai, Script, vet. η. coll. II, p. 527). Tzetzes et Zonaras présentent la R.q. comme une «pet ite Rome», qui ne comprend pas la totalité de la colline. 7 Cf. Musti, op. cit., p. 306 et C. Ampolo, Vite di Teseo e di Romolo, Milan, 1988, p. 299. 8 Mais sans lui donner alors le nom de Roma quadrata, ce qui explique que F. Castagnoli n'ait retenu de Plutarque que le chap. 9 de la vie de Romulus. La loca lisation comitiale de la fosse romuléenne uploads/Litterature/ grandazzi-la-roma-quadrata.pdf

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