Aurélien Dubuisson [Guide de lecture] La lutte armée en France et en Europe rev

Aurélien Dubuisson [Guide de lecture] La lutte armée en France et en Europe revueperiode.net/guide-de-lecture-la-lutte-armee-en-france-et-en-europe/ Pour appréhender l’histoire des groupes armés apparus en Europe après Mai 68, il convient avant tout de considérer leur hétérogénéité et la variété des trajectoires militantes. Pour illustrer cette idée, je partirai des propos recueillis auprès d’une membre d’Action Directe (AD) qui insiste sur la dimension kaléidoscopique des parcours des militants du groupe : 1/10 Quand la cause est humaine on doit se donner à cent pour cent. Il n’y a rien qui a de la valeur dans ce monde, rien. On peut se faire plaisir quand on a les moyens, mais quand on n’a pas les moyens c’est impossible. Quand on a les moyens financiers on peut s’enfermer dans un petit monde, un petit monde artistique, faire de la peinture, des structures, de la sculpture, des tas de choses. Et se donner entièrement à ces choses-là. Mais ce sont des tous petits milieux qui sont complètement individualistes, égocentristes. Or le monde c’est pas ça. Ça fait partie du monde mais ça n’en est pas représentatif. C’est un point en particulier dans une multitude de points qui constituent le monde. Tous ces points doivent être liés entre eux. Sur une main tu as cinq doigts qui sont autant de sphères différentes constituant la société. Fermons notre main, levons le poing, réunissons le monde. Réunir des militants aux traditions politiques et aux histoires différentes c’est ce que certains ont essayé de faire à l’image d’AD. Pour comprendre l’émergence d’une telle organisation, il faut s’écarter de la littérature grise ou des visions journalistiques qui réduisent généralement le phénomène à quelques lieux communs. Il est donc nécessaire de se doter d’une bibliographie qui joue sur les échelles, parte du général au particulier, de l’international au local et qui considère la mémoire comme un enjeu central dans la constitution de l’identité combattante de ces organisations. Dès la fin de la décennie 1960, des ouvrages clefs qui mettent en avant la nécessité de la violence révolutionnaire sont publiés en Europe. Certains promeuvent une stratégie nécessaire à la guérilla pour l’emporter. C’est le cas par exemple du livre de Régis Debray, Révolution dans la révolution ? 1 paru en 1967 en France aux éditions Maspero. Il met en avant l’efficacité de la guérilla telle qu’elle a été pratiquée par les révolutionnaires cubain à travers le foquisme. L’ouvrage rencontre un certain succès auprès d’une génération de jeunes révolutionnaires inspirés par Fidel Castro et Ernesto Guevara. L’engouement provoqué par ce texte est intensifié par l’hostilité du pouvoir qui perçoit la littérature importée d’Amérique latine comme un instrument de subversion2 Parallèlement les éditeurs mettent aussi l’accent sur la pratique à travers la publication de manuels de guérilla qui sont autant d’abécédaires permettant aux européens d’étayer leur pratique. Ainsi, dès 1962, François Maspero publie la Guerre de guérilla3 d’Ernesto Guevara dans lequel on trouve un descriptif de l’ensemble des méthodes à appliquer pour qu’une guérilla triomphe. L’auteur s’attarde notamment sur un certain nombre de points tactiques permettant tour à tour de fuir puis d’attaquer efficacement l’ennemi. On retrouve aussi tout un volet pratique où l’on apprend par exemple comment fabriquer un lanceur de cocktails Molotov. 2/10 3/10 Suivant cette trame, il faut citer un autre ouvrage dont le succès découle très largement de la censure du ministre de l’Intérieur d’alors Raymond Marcellin : le Manuel du guérillero urbain 4 du brésilien Carlos Marighella. Publié une première fois par François Maspero en 1970, il tombe sous le coup de la censure. En réaction, vingt-et-un éditeurs décident de le publier collectivement, ce qui participe largement à sa médiatisation. L’ouvrage provoque l’enthousiasme et inspire quelques groupes de lutte armée en Europe à l’image du Movimiento Ibérico de Liberación (MIL) comme l’indique Jean-Marc Rouillan : […] Le manuel de Carlos Marighella est toujours sur la commode du salon. Son texte résonne encore à mon insomnie. Les membres du MIL l’ont lu et relu. Quelquefois on en cite un extrait, qui se plaque alors sur l’instant comme une citation en noir et blanc dans un film de Godard. […] 5. La circulation de ces textes joue un rôle très important dans la construction de l’identité combattante des militants soixante-huitards. Le corpus idéologique et pratique des groupes européens est enrichi par la littérature latino-américaine mais aussi asiatique notamment à travers les publications des Éditions en langue étrangère de Pékin. Contrairement aux ouvrages précédemment cités, ces éditions n’encouragent pas les européens à constituer des groupes armés. Néanmoins certains militants, dont les dirigeants de la Gauche Prolétarienne (GP), s’appuient sur ces textes pour produire une littérature d’inspiration maoïste et adaptée à la situation française. Ces textes syncrétiques, mêlant références au maoïsme et à la Résistance6, entendent ainsi justifier le rôle fondamental que doit jouer la lutte armée dans une révolution. À ce sujet il est intéressant de se reporter à l’ouvrage d’Alain Geismar, Serge July et Erlyn Morane, Vers la guerre civile, et particulièrement à la partie traitant de la lutte armée7. D’autres brochures de l’époque révèlent ce fonctionnement. On peut évoquer ici le premier numéro des Cahiers Prolétariens de la GP dont le positionnement au sujet de l’illégalisme est sans ambiguïtés : Appliquant la pensée Mao Tsé-Toung à la réalité française, nous avons défini et appliqué une pratique politico-militaire originale, une guérilla originale que nous avons appelé lutte violente de partisans. Cette lutte violente, du point de vue politique, s’attaque à l’autorité de l’État et du syndicalisme, dans la mesure où cette autorité impose aux masses une idéologie étrangère, le légalisme, c’est-à-dire la soumission à l’ordre bourgeois 8. Si des documents extra-européens ont eu une importance majeure, il faut aussi souligner la centralité d’autres textes produits cette fois-ci en Europe. Ceux publiés par la RAF en 1971 et diffusés en France dès 1972 par les éditions Champs Libre 9 sont révélateurs de cette tendance. L’organisation allemande bénéficie alors d’une aura importante et ses thèses influencent particulièrement les militants engagés dans la lutte armée. Dans cet ouvrage, le texte Sur la lutte armée en Europe Occidentale insiste sur la dimension transnationale de la guérilla et dessine déjà les contours du projet d’unification de groupes armés européens développé par la RAF et Action Directe au 4/10 début de la décennie 1980. Si la situation allemande est attractive, il faut aussi mentionner le rôle joué par les italiens en Europe. Les thèses et la pratique italienne influencent les militants français et l’Autonomie joue un rôle prépondérant en France dès 1974. Les thèses d’Antonio Negri et de Mario Tronti sont diffusées dans l’hexagone par l’intermédiaire de Yann Moulier-Boutang et de sa revue Camarades. Le supplément du numéro 4 diffusé en mai 1977 et intitulé Autonomie et Autodéfense 10, illustre le rôle qu’a joué cette revue dans la mise en relations des différents groupes armés français de la fin de la décennie 1970 : […] La violence n’est pas un phénomène isolé : il y a sans cesse des luttes qui l’expriment en continuité avec des initiatives politico-militaires (NAPAP, GARI, FRI, FLNC, FLB, ETA). […] Nous sommes nombreux à penser qu’il ne suffit plus d’être des francs-tireurs, et à éprouver le besoin de lieux et de moments où toutes nos forces se rencontrent, s’épaulent, s’additionnent ; le besoin d’aller vers quelque chose comme un camp politique commun où chaque réseau, chaque groupe, chaque bande mènera ses initiatives, prendra ses décisions sur son terrain de préoccupation tout en discutant et agissant avec les autres sur des terrains choisis en commun. […] Cet appel formulé par Camarades et consistant à additionner toutes les forces se concrétise peu de temps après par la formation d’Action Directe et la réalisation de son premier attentat le 1 mai 1979. Une transition très bien décrite dans un ouvrage11 qui met en évidence la confluence de nombreux vecteurs permettant à un groupe comme AD d’apparaitre sur la scène politique française à la fin des années 1970. L’organisation va commettre quelques attentats mais plusieurs de ses membres se font rapidement interpeller. Arrive alors l’élection de François Mitterrand en 1981 et l’espoir d’une amnistie généreuse. À l’intérieur comme à l’extérieur des prisons une mobilisation débute en vue d’obtenir la libération de tous les militants politiques. 5/10 En octobre 1981 la majorité des membres d’Action Directe et des NAPAP sortent de prisons, tout comme un bon nombre d’Autonomes. S’ouvre alors une période d’intenses discussions entre ces militants donnant lieu à la publication de plusieurs textes et 6/10 revues. La période allant des libérations de 1981 à la fin de l’année 1982 représente une séquence clef dans la redéfinition stratégique des groupes armés français et européens. Pour en prendre la mesure, on peut lire les deux brochures rédigées par Action Directe12 en 1982 et compléter cette lecture par les entretiens présents dans les annexes de l’ouvrage Le baptême du feu : la genèse d’Action Directe, les premières arrestations et l’amnistie de Mitterrand. (1979-1982) 13 Certains envisagent dès lors d’agir localement comme les militants issus d’Action Directe réunis au sein de l’Assemblée du 1 aout. D’autres décident quant à eux uploads/Litterature/ guide-de-lecture-la-lutte-armace-en-france-et-en-europe.pdf

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