1 La musicologie en France Esquisse d'un parcours L'histoire de la musicologie

1 La musicologie en France Esquisse d'un parcours L'histoire de la musicologie reste encore à faire. De plus, la musicologie, contrairement à d'autres disciplines universitaires, l'histoire par exemple ou bien encore la philosophie ou la sociologie, ne propose au commentateur ni tradition intellectuelle facilement lisible, ni "stars" de la pensée1 alors qu'en revanche les virtuoses et les chanteurs occupent une place de choix dans les media. Si une riche réflexion sur la nature même de l'objet musical traverse l'histoire du discours sur la musique, la réflexion épistémologique sur la musicologie en tant que discipline faisant système avec l'ensemble des sciences en priorité humaines est encore embryonnaire et en tout cas très récente. Elle est aussi traversée par un débat interne qui lui est propre : celui du rôle de la pratique et de la maîtrise de la technique musicale comme pré-requis du discours musicologique. Cette ligne de partage entre mélomanes cultivés et musiciens praticiens occupe beaucoup plus les musicologues que leurs relations avec les autres branches du savoir. Elle explique en partie la fermeture de la discipline sur elle même. Il reste qu'en dépit de sa relative confidentialité, la musicologie française existe. Elle a une histoire un peu désordonnée mais bien réelle, des centres de recherche, des départements au sein des universités, des revues, un marché éditorial. I - Du romantisme à la IIIe République. Sans doute est-ce vers Jean-Jacques Rousseau puis Fétis qu'il faudrait se tourner pour risquer, avec les précautions d'usage, les noms de ceux qui pourraient être considérés comme les fondateurs de la musicologie moderne2, en étant conscient du "moderno-centrisme" d'une telle expression. Le Dictionnaire de la musique de Rousseau, auquel il faut ajouter les articles et les planches de l'Encyclopédie ayant trait à la musique, sont exemplaires par leur souci de rigueur informative et leur prétention à l'encyclopédisme. L'œuvre de Rousseau restant toutefois celle d'un génial indépendant et si l'on admet comme présupposé que la musicologie se distingue des autres formes de discours sur la musique, tels que la critique ou encore le commentaire littéraire ou poétique, par l'alliance de règles méthodologiques formalisées et d'une inscription dans des lieux de production et de validation institutionnelle du savoir, Fétis est sans doute, par sa position institutionnelle3 et son souci d'envisager le fait musical d'une manière globale comme langage et phénomène social inscrit dans l'Histoire, le premier musicologue, même si, à ce moment là, le discours sur la musique n'est guère séparé de la musicographie ou de l'enseignement de la composition. 1. Une corporation dispersée. En dépit de quelques jalons tels que la création de la classe d'Histoire de la musique au Conservatoire en 1871, celle de Musicologie en 1952 dans ce même conservatoire, la chaire d'Histoire de la musique de 1 Cet article ne prétend pas à l'exhaustivité, ni à l'objectivité. Il se veut seulement une lecture d'une discipline, la musicologie, dans un espace précis, la France, avec toutes les limites et les déformations qui peuvent être celles d'un regard personnel. Je tiens à remercier chaleureusement mes nombreux amis qui ont lu cet article avant sa parution et m'ont fait part généreusement de leurs suggestions. 2.Sans oublier Chabanon et bien sûr Sébastien de Brossard (Dictionnaire de musique, 1703). 3 Professeur de composition au Conservatoire puis bibliothécaire et enfin directeur du conservatoire de Bruxelles. 2 Combarieu au Collège de France de 1904 à 1910 ou encore de la nomination de Romain Rolland à la Sorbonne en 1904, là aussi comme professeur d'histoire de la musique, le paysage musicologique apparaît, sous la IIIe République, comme assez embrouillé. A la différence d'une discipline comme la sociologie par exemple, la musicologie n'a pas bénéficié du travail d'unification méthodologique et institutionnel d'un Durkheim. Le rayonnement de la musicologie semble plus le fait de fortes individualités dispersées dans différents centres et institutions que le fruit d'une école particulière. Autre facteur de dispersion, la mobilité. Les grands noms de la musicologie du temps passent aisément d'une institution à l'autre. Même si l'on peut retracer à grands traits le système d'oppositions socio-politiques et institutionnelles des années 1875-1940 : opposition des "deux France", du Conservatoire et de l'université, des musiciens praticiens et des hommes de lettre mélomanes, la musicologie se caractérise par un sectarisme idéologique très atténué notamment en ce qui concerne l'opposition entre la France cléricale et anticléricale. C'est ainsi que nous verrons André Pirro (1869-1943), ancien élève de Franck et de Widor au Conservatoire, s'associer dès 1900 aux travaux d'éditions de la Schola Cantorum, donner des cours dans cette même institution, enseigner l'histoire de la musique au collège Stanislas puis prendre la succession de Romain Rolland en 1930 à la Sorbonne, université où il était chargé de cours depuis 1912, maître de conférence depuis 1927. Comme on peut le constater, André Pirro -mais il n'est pas le seul- brouille les systèmes d'oppositions institutionnelles et idéologiques de son temps. En effet, si une institution comme la Schola, un collège comme Stanislas sont partie prenante de la France catholique et antirépublicaine, il n'en est pas de même du Conservatoire, institution issue des décrets de l'an III ou de la Sorbonne qui sans être d'un laïcisme fanatique n'en est pas moins pour autant proche de cet humanisme renanien aussi méfiant envers les églises qu'il est érudit et indéfectiblement libéral. C'est cet humanisme qu'incarne Romain Rolland. Conscient de l'avance de la musicologie allemande, il n'aura de cesse de poser les fondations d'une musicologie spécifiquement française et sa thèse plus historique et littéraire que véritablement musicale a été un jalon essentiel dans la redécouverte de la musique italienne des XVIe et XVIIe siècles. De par son rayonnement et son poste à la Sorbonne, Romain Rolland est véritablement à l'origine de l'institutionnalisation de la musicologie au sein de l'université. Ses successeurs, André Pirro et Paul-Marie Masson, reprendront le flambeau avec panache. On doit à André Pirro L'esthétique de Jean Sébastien Bach4 qui impressionne toujours par la façon dont sont analysés l'organisation des trajectoires motiviques au sein de la forme musicale et l'expressivité du langage de Bach, en particulier dans ses relations avec le texte. La carrière de Paul-Marie Masson (1882-1954) est, comme celle de son collègue André Pirro, symptomatique de cette atténuation des partis pris institutionnels qui caractérise le microcosme musicologique de la IIIe République. Paul-Marie Masson créera en 1952 l'Institut de musicologie de la Sorbonne. Nommé dès 1931 à la Sorbonne pour y enseigner l'histoire de la musique moderne aux côtés de Pirro nommé professeur un an auparavant en 1930 l'auteur du monumental travail sur L'opéra de Rameau est un produit de l'élitisme républicain. Né à Nîmes en 1882, il prépare à Henri IV le concours d'entrée à l'ENS où il est reçu en 1903, quand Lavisse y est directeur, enfin premier à l'agrégation de lettres en 1907. Ce parcours républicain ne l'empêche pas d'être l'élève de Vincent d'Indy à la Schola en contrepoint, fugue et composition. Romain Rolland tout comme Pirro se sont penchés sur le pouvoir expressif de la musique dans ses relations avec le texte (Pirro) en l'inscrivant dans un contexte plus vaste marqué par l'art total romantique (Romain Rolland). A ce titre, ils incarnent une forme d'humanisme romantique qui voit avant tout dans la musique l'expression d'une transcendance spirituelle. La démarche de Paul-Marie Masson est beaucoup plus 4 André Pirro, L'esthétique de Jean-Sébastien Bach, Paris, Fischbacher, 1907. 3 patrimoniale et son érudition plus soucieuse de critique des sources. Exact contemporain de l'école méthodique, il partage avec elle l'ambition de constituer une mémoire nationale en s'appuyant sur une méthodologie fondée sur le document et le raisonnement. Sa thèse sur L'opéra de Rameau5 possède un appareil critique extrêmement élaboré. Sa principale originalité est de transposer sur des catégories musicales tels que les formes, les genres, les procédés d'écriture la démarche de l'école méthodique. Enfin, l'ensemble de ses travaux, sur Rameau, mais aussi sur Berlioz, sur l'humanisme musical en France et en Allemagne au XVIe siècle, de par la nature même de l'objet étudié, l'art et non le politique ou la diplomatie, ouvrent sur l'histoire des représentations dans la mesure où ils s'attachent plus à éclairer les débats intellectuels du passé, à rendre présentes les sensibilités, qu'à rendre compte de l'événementiel au sens strict. La démarche de Jean-Gabriel Prod'homme (1871-1956) est plus tournée vers une histoire-récit tendant à faire du détail érudit le matériau d'une narration animée. Il est vrai que dans le cas du Gluck6 le genre biographique s'y prête. Dans cet ouvrage, publié seulement en 1948, le XVIIIe siècle revit avec ses intrigues de cour, ses caprices de castrats et ses querelles esthétiques. Les principales œuvres de Gluck, sans être véritablement analysées sur le plan musical, sont éclairées par un ensemble d'anecdotes adroitement restituées de façon à faire sens. C'est bien sûr dans le contexte du nationalisme du début du XXe siècle que doivent être mis en perspective les travaux qui, comme ceux de Paul-Marie Masson se sont penchés sur le patrimoine français, et ce quels que soient les lieux et les institutions. La Schola cantorum, la Société française de musicologie, le Conservatoire se sont fortement uploads/Litterature/ histoire-de-la-musicologie.pdf

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