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•1,60 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO9918 MARDI 2 AVRIL 2013 WWW.LIBERATION.FR PAGES 2­5 EXCLUSIF.LeGoncourt2010sort«Configurationdudernier rivage»,recueildepoèmessurprise.Entretien. BANLIEUE: LE RACKET DE LA SÉCURITÉ DES CHANTIERS PAGES 12­13 ECOFUTUR TRANSITION ÉNERGÉTIQUE: LE VERT COMPLÉMENTAIRE 8 PAGES CENTRALES Le 28 mars, à Paris. PHOTO ROBERTO FRANKENBERG MichelHouellebecq: «Lemonden’estplus dignedelapoésie» IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,30 €, Andorre 1,60 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,70 €, Canada 4,50 $, Danemark 27 Kr, DOM 2,40 €, Espagne 2,30 €, Etats­Unis 5 $, Finlande 2,70 €, Grande­Bretagne 1,80 £, Grèce 2,70 €, Irlande 2,40 €, Israël 20 ILS, Italie 2,30 €, Luxembourg 1,70 €, Maroc 17 Dh, Norvège 27 Kr, Pays­Bas 2,30 €, Portugal (cont.) 2,40 €, Slovénie 2,70 €, Suède 24 Kr, Suisse 3,20 FS, TOM 420 CFP, Tunisie 2,40 DT, Zone CFA 2 000CFA. LIBÉRATION MARDI2 AVRIL2013 Rencontre avec Michel Houellebecq, qui publie ce mois-ci «Configuration du dernier rivage», son nouveau recueil de poésie: «Mieuxvaut s’écouter parler,onest plusheureux» «U n poète mort n’écrit plus. D’où l’importance de rester vivant», prévenait Michel Houellebecq dans son premier livre, simplement titré Rester vivant, publié en 1991. Plus de vingt ans et cinq romans plus tard, tous traduits dans le monde entier, où il est d’assez loin l’écrivain français –vivant donc– le plus connu, Michel Houellebecq sort du silence et de l’exil volontaire quel- ques jours avant la parution de son nou- veau recueil de poésie, Configuration du dernier rivage. Il reçoit à l’étage élevé de son apparte- ment parisien, fenêtre en- trouverte pour laisser s’échapper la fu- mée. De la capitale, qui commence au pied de la tour, on ne voit rien. Nous sommes là pour parler, comme souvent auparavant, de poésie. C’est-à-dire de lui, au milieu du monde. Quelle place occupe la poésie dans l’en- semble de votre œuvre? Beaucoup de mes poèmes offrent, ébau- chées, des situations qu’on trouve dans mes romans. Notamment les plus lyri- ques ou ceux dans lesquels figure un personnage. Mais certains poèmes n’ont pas d’équivalent romanesque. A la fin de la Poursuite du bonheur [recueil publié en 1991, ndlr], par exemple, il y a des poè- mes très science-fiction, or je n’ai pas fait de vraie science-fiction, et je n’en ferai sans doute jamais. Il y a aussi, dans ce nouveau recueil, des poèmes dont je ne sais pas vraiment ce qu’ils veulent dire, et pour lesquels je ne vois pas bien l’équivalent roman. Ma poésie est plus large. Il m’est arrivé, dans mes romans, d’utiliser des transcriptions de rêves, mais tous les rêvesne marchent pas, loin de là; seuls ceux au fort con- tenu émotionnel, positif ou négatif. Les rêves simplement étranges, ces moments où le monde vous paraît juste bizarre, comme un spectacle très curieux duquel on se sent détaché, on ne sait pas quoi en faire dans un roman, car les personnages y ont leurs enjeux propres, une méca- nique se met en place. Le roman com- mande de rester dans son sujet. Votre poésie donne-t-elle à voir une image plus complète de vous? Dans les romans, il manque des facet- tes. En particulier, un côté interdit par rapport au monde. Si l’on considère tous mes poèmes, on s’aperçoit qu’il n’y a pas d’autre unité que moi. Ce qui est déjà important. A supposer qu’il existe des lecteurs qui m’aiment beau- coup, alors ils font comme je fais avec les auteurs que j’aime: ils lisent tout. Car ce qu’on cherche, au fond, c’est le contact avec une personnalité. Vous est-il plus difficile de parler de votre poésie que de vos romans? Plus la conscience intervient, plus c’est facile de parler, en vérité. Le plus cons- cient dans la poésie, c’est la manière dont on place les poèmes les uns à côté des autres. On essaye que ça glisse. Et, par moments, quand c’est plus difficile, on établit une rupture, on change de partie. C’est une opération consciente. Mais il est difficile de parler de l’écriture du poème lui-même. Ça se présente souvent comme un bloc. D’abord parce que c’est, en général, écrit très vite. Et aussi parce que des choses qu’on ne comprend pas très bien soi-même sont intéressantes à garder. La conscience intervient peu. Du coup, il est plus dif- ficile d’en parler. On compose un recueil mais pas un poème? Moi non. Mais certains font des poèmes à partir de vers écrits indépendamment. Leversexiste, indiscutablement.Levers au sens général: quand on décide d’aller à la ligne la première fois. C’est là que se fixe la forme. (Il se lève et va chercher dans sa bibliothèque le grand format Galli- mard d’Un coup de dés jamais n’abolira le hasard.) Ça, je n’imagine pas Mal- larmé l’avoir écrit d’un seul coup. Vous ne retouchez jamais un poème? Enormément la ponctuation. Pour moi, c’est simple: c’est une indication de temps de pause. Il y a toujours un temps, plus ou moins long, à marquer. Cela se marie avec d’autres indications de temps de pause, comme le vers, la strophe. C’est le plus grand intérêt de la poésie, tous ces temps de pause. Quand RecueilliparSYL V AINBOURMEAU PhotosROBERTOFRANKENBERG L’ESSENTIEL Michel Houellebecq publie ce mois­ci «Configuration du dernier rivage», un recueil de poésie. Son premier ouvrage depuis la Carte et le Territoire, prix Goncourt en 2010. j’écris, je grommelle plutôt, et, parfois, une autre lecture, plus forte m’amène à retoucher ces temps de pause. Mais le texte, quasiment jamais. Je ne change pas les mots. C’est bon tout de suite ou jamais. Vous en jetez donc beaucoup? Bah oui, il y en a de pas bons. Il y en a aussi que je garde parce que je ne sais pas où les mettre. Dans ce nouveau re- cueil, j’en ai mis de très anciens, pour lesquels je n’avais jusque-là pas trouvé de place. Celui qui s’appelle «Loin du bonheur» a été écrit en même temps que la Poursuite du bonheur, au début des années 90. Mais il y a des choses nou- velles dans ce recueil. Les deux premiers poèmes, par exemple. Jamais je n’avais fait dans le dépouillement. Je suis assez content, parce que ce n’est pas très fa- cile. Et, en même temps, c’est une voie plutôt suicidaire. A force de dépouiller, on ne fait carrément plus rien. On fait comme Emily Dickinson. Mieux vaut fi- nir comme Victor Hugo, trop ample. Mieux vaut s’écouter parler, on est plus heureux. Mais j’ai connu un moment de vaste doute. Pas grand-chose me plai- sait, sauf ces deux premiers poèmes. Et puis j’ai relu des poèmes antérieurs et me suis rendu compte que beaucoup ne me plaisaient pas non plus. Je me suis dit que je n’avais pas baissé, c’était juste que j’étais devenu plus chiant. V ousécrivezmentalementvospoèmes? Non, toujours avec une feuille de pa- pier. Sinon j’oublie. Je disais que je ne corrige jamais, mais ce n’est pas tout à fait vrai: quand je me souviens d’un texte et que ce souvenir ne correspond A Paris, jeudi. INTERVIEW CONFIGURATION DU DERNIER RIV AGE de MICHEL HOUELLEBECQ Flammarion, 104 pp., 15€. A paraître mi­avril. 2 •EVENEMENT LIBÉRATION MARDI2 AVRIL2013 pas exactement à ce que j’ai écrit, alors je garde la version du souvenir. Je fais confiance à la mémoire. Ce critère ne m’a jamais déçu. Çapeutêtren’importequand,l’écriture d’un poème? Je constate que ça vient, alors j’obéis. Le plus long poème du recueil, celui qui s’appelle «HMT», je me souviens de l’avoir écrit en un quart d’heure. Pen- dant que je travaillais à la Possibilité d’une île. C’est d’ailleurs ce poème qui m’a donné le titre du roman. Je trouvais bien le dernier vers, et ça faisait titre. Il n’est pas surprenant que cela puisse survenir n’importe quand. C’est comme les rêves. Il y a une activité mentale dont on ne sait pas vraiment d’où elle vient. Vous transcrivez souvent vos rêves? C’est comme ça que j’ai commencé à écrire. Je ne le fais plus, mais par flemme, pas par manque d’intérêt. J’ai mis certaines transcriptions dans des romans. Le rêve où Bruno se voit en co- chon, par exemple, avec une machine très aiguisée, dans les Particules élémen- taires, c’est un rêve que j’ai fait, épou- vantable. L ’essentiel est de noter très vite, car le souvenir s’échappe. Commentvivez-vouslefaitqu’ilsemble, en France, n’y avoir aucun ridicule à écrire et publier des romans atroces, alors que le simple fait d’envisager la poésie en fait sourire beaucoup? Je pourrais légitimement considérer cela comme dramatique. Dire –sèchement– que le monde n’est plus digne de la poé- sie. Si l’on veut être plus optimiste, on peut penser que le temps du roman n’est pas terminé, que le roman est tou- jours pertinent parce que la vie se dé- coupe toujours autant en destins indivi- duels plus ou moins réussis. Que les temps démocratiques et libéraux sont plus favorables au roman. Ce n’est pas faux. Et ça ménage l’idée d’un retour à des temps plus favorables pour la poésie. Il faut davantage de courage pour écrire de la poésie? Il faut déjà une maison d’édition qui possède une idée forte de son statut. Reste quand même l’idée uploads/Litterature/ houellebecq 1 .pdf

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