IBN ARABÎ LA DEMEURE DU CŒUR DE L'INVOCATEUR ET LES SECRETS QUI LUI SONT PARTIC
IBN ARABÎ LA DEMEURE DU CŒUR DE L'INVOCATEUR ET LES SECRETS QUI LUI SONT PARTICULIERS Traduction et notes de MICHEL VÂLSAN Publiés dans les n° 389-390 des Études Traditionnelles, 1965 Sache1, mon fils, – et qu’Allâh te mentionne à ceux qui sont auprès de Lui de même que tu Le mentionnes2 – que lorsque le Cœur est habité par « la sincère adoration de l’Unique » (al-Ikhlâç), par la renonciation en faveur du Commandement divin, par l’observance de ce qui découle des règles sacrées, et par la rémission de toute affaire à Allah en tout état où Il place l’être, ce Cœur est pur dhâkir (mentionnant, invocateur), même si la langue est silencieuse, et non pas seulement si elle répète : Allâh, Allâh ! Le dhikr avec la langue, dans tous les espèces de dhikr, est indispensable quand on fait les premiers pas vers le maqâm (condition spirituelle) d’invocateur. Ainsi l’un s’y engage avec le dhikr de Sahl ben Abdallah al-Tustarî : Allâhu ma’aya, Allâhu nâzirun ilaïya, châhidun ‘alaïya = « Allâh est avec moi, Allâh me regarde, Il est témoin sur moi » ; l’effet de ce dhikr consiste en ceci que « celui avec lequel Allâh est, qu’Allâh regarde et au sujet duquel Il est témoin » ne peut être désobéissant à Allâh. Un autre s’engage avec le dhikr de l’Essence (dhikru-dh-Dhât), c’est-à-dire le Nom divin Allâh ou encore le pronom divin Huwa (= Lui), selon la méthode de l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî et de toute une classe de maîtres spirituels que j’ai rencontrés et qui étaient appliqués à cette pratique et me l’ont enjointe à moi-même. Le dhâkir ne cesse d’observer cette pratique verbale initiale de l’incantation jusqu’à ce que son intérieur soit habité entièrement par son dhikr, et qu’il ne reste en lui 1- Ce texte est un extrait du livre du Cheikh al-Akbar Muhyuddîn Ibn Arabî, intitulé « Couchants des Étoiles et Levants des Croissants lunaires des secrets et des sciences » (Mawâqi’u-n- Nujûm wa Matâli’u Ahillalil-asrâri wa-l-‘ulûm. Texte arabe imprimé au Caire 1325 M, t= 1907). 2- Cf. le hadith : « Que des êtres siègent pour invoquer Allâh et aussitôt les anges les enveloppent, la Miséricorde les recouvre, et la Sakinah (la Paix de la Présence divine) descend sur eux et Allah les mentionne à ceux qui se trouvent auprès de Lui ». aucune particule qui ne prononce la parole incantatoire. C’est ainsi que l’état d’incantation domine l’être ; celui-ci ne voit alors dans tout ce que son regard peut rencontrer dans l’existence, rien qui ne proclame le même dhikr que le sien ; dans un tel moment, même s’il y avait mille personnes présentes récitant chacune un dhikr différent, cet être par l’effet de l’emprise totale exercée sur lui par son dhikr personnel, voit que chacun des êtres du monde articule le même dhikr que lui. Il ne cessera jamais d’invoquer depuis le commencement des maqâmât (stations) de ce « voyage » jusqu’à ce qu’il arrive au 7e maqâm qui est pour lui l’extrême limite du dhikr, au-delà duquel il n’y a plus de cible à atteindre. Sache qu’Allâh – qu’Il soit exalté – a des « secrets » (asrâr, sing. sirr) thésaurisés chez Lui « dans les mains de Messagers nobles et purs »3 qui s’appellent les Témoins (ach-Chuhadâ, sing. ach-Châhid). Lorsque le serviteur obtient une « ascension » (taraqqi) dans ce 7e maqâm invocatoire dont nous avons parlé, Dieu – qu’Il soit glorifié et exalté – lui envoie, comme don (tuhfah) de Sa part, chaque jour 70.000 « secrets » se rapportant soit au domaine extérieur soit au domaine intérieur, mais ceci par l’intermédiaire de ces anges qui sont les Témoins d’Allâh au sujet du Cœur du serviteur. Quand ceux-ci passent sur son Cœur, le serviteur entend les incantations (tasbîh) du Plérôme Suprême (al-Mala’u-l-A’la) en son âme. Une moitié de ces anges arrivent par la porte du Monde Invisible (‘âlamu-l-Malakût) avec les « secrets » relatifs au domaine extérieur, et traversent l’espace du cœur, pour sortir ensuite par la porte du Monde Visible (‘âlamu-ch- Chahâdah). L’autre moitié entre par la porte du Monde Visible avec les « secrets » du domaine intérieur pour sortir ensuite par la porte du Monde Invisible. Après cela, tous ces anges ne reviennent plus jamais4. Ou, pour mieux dire, Allah – qu’Il soit exalté – amène d’autres « témoins » porteurs d’autres « secrets », et qui viennent de la même manière. C’est ainsi qu’Allah « montre (à ce Cœur) de Ses signes »5 et de l’immensité de Son Malakût, des réalités qui augmentent la louange de la Majesté divine et la Connaissance dans l’âme. Si le Cœur prend appui sur ces anges et se familiarise avec eux en les prenant comme compagnons de séance, les anges restent avec lui et lui avec eux. Ils servent aussi de « témoins » que le Cœur s’est arrêté avec eux : ainsi, s’il convoite un plus haut maqâm que celui où il se trouve, et qu’on lui dit : « Pourquoi n’élèves-tu pas alors ton aspiration (himmah) vers ce qui est plus haut, car tu sais pertinemment que l’Arrivée (al-Wuçûl) ne se réalise que par l’énergie des aspirations (al-himam) ? Hélas, tu t’es laissé voiler par ta récréation dans le Monde du Malakût ! », et si alors le Cœur proteste contre ce reproche, et en mode nécessaire il proteste en pareille circonstance, des anges qui étaient venus chez lui avec les dit « secrets », et qui lui ont été compagnons, témoignent contre lui, et témoignent également contre lui les secrets 3- Cf. Coran, 80, 15-16. 4- Ce qui est dit ici du Cœur l’est dans les termes d’un hadith concernant la Maison Visitée (al-Baïtu-l-Ma’mûr) qui se trouve au 4e Ciel ; cette homologie est une conséquence de l’analogie constitutive entre microcosme et macrocosme. 5- Allusion au Coran 17, 1 : « Gloire à Celui qui a fait voyager la nuit Son serviteur depuis le Temple Sacré jusqu’au Temple Éloigné dont Nous avons béni l’alentour, pour lui montrer de Nos Signes. » mêmes reçus par lui, auxquels il s’est attaché et dans lesquels il s’est immergé. Le témoignage porté par les anges en cette circonstance est exprès (nutqiyah), celui porté par les secrets l’est par l’état de fait spirituel (hâliyah). Alors le Cœur est confondu par ses preuves. « Et (de toute façon) à Allah appartient la preuve décisive » (Cor. 6, 150) à l’encontre de quiconque. Réfléchis sur ces choses, pauvre être, et rend-toi compte quel est le regard de ton propre cœur, alors que tu vois ce qu’il en est de ces cœurs (situés à des degrés si élevés) ! Juge de ton niveau de contemplation par rapport à celui de ces Cœurs, et vois où est ton « breuvage » par rapport à leurs Breuvages ! Allah a vivifiés ces Cœurs et par ceux-ci Il a vivifiés d’autres cœurs ! Qu’Allah nous place nous et vous parmi ceux dont l’aiguade est rafraîchissante et dont la contemplation est toujours exaltante ! La Demeure de celui qui n’invoque plus par suite de son extinction dans l’Invoqué (Manzilu-l-fânî ‘ani-dh- dhikrî bi-l-Madhkûr). Sache, mon fils – et qu’Allah te détache de toute condition mondaine et te couvre de l’aile de la jalousie et de la claustration divines – que le Cœur visité par les secrets des anges témoins, et instruit de l’immense valeur de ces êtres malakutéens, voyant que ceux-ci sont, comme lui-même, soumis à l’autorité du Dominateur divin, ne les aborde pas pour s’y arrêter, mais pour y trouver secours afin de parvenir à Celui qui l’inspire lui-même, auquel ces êtres mêmes sont attachés et vers lequel eux-mêmes montent. Si le Cœur persiste dans cette attitude, et si les anges qui le convient de rester en leur compagnie le trouvent constamment occupé à atteindre au plus haut, alors, Dieu voyant la sincérité du chercheur et sa constante orientation, l’enlève par-dessus les choses générées extérieures à soi et l’installe avec les choses qui lui correspondent, et le chercheur atteint ainsi son lot : en cet état il est dans une « station intervallaire » (barzakhiyyu-l-mawqif). S’il ne s’y arrête pas, et se comporte à l’égard des nouveaux compagnons comme il s’est comporté avec les précédents, le chercheur est enlevé par-dessus les choses générées que porte son âme même, et ainsi il ne voit plus rien de ce qui est chose générée. Ce maqâm est celui qu’a désigné l’auteur des Mawâqif 6 en disant : « En toute particule du Monde, il y a un Voile (qui m’empêche de voir le Monde) ». Quand le Cœur réalise et s’envole d’une façon totale en s’éteignant par l’Invoqué (al-Madhkûr) à l’égard de l’invocation (adh-dhikr), et que les secrets mêmes renoncent à l’atteindre, les anges du Plérôme Suprême s’éprennent de son incantation. Alors 70.000 voiles divins sont dressés entre cet être et les anges épris de lui qui s’arrêtent alors. Si l’être s’arrête là, c’est là que se situera son maqâm dont il ne bougera pas. La Demeure de celui qui uploads/Litterature/ ibn-arabi-la-demeure-du-coeur-de-l-x27-invocateur-et-les-secrets-qui-lui-sont-particuliers-par-michel-valsan-pdf.pdf
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- Publié le Mar 17, 2021
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