Anna Lowenhaupt Tsing LE CHAMPIGNON DE LA FIN DU MONDE Sur la possibilité de vi
Anna Lowenhaupt Tsing LE CHAMPIGNON DE LA FIN DU MONDE Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme Traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Pignarre 2017 Présentation Ce n’est pas seulement dans les pays ravagés par la guerre qu’il faut apprendre à vivre dans les ruines. Car les ruines se rapprochent et nous enserrent de toute part, des sites industriels aux paysages naturels dévastés. Mais l’erreur serait de croire que l’on se contente d’y survivre. Dans les ruines prolifèrent en effet de nouveaux mondes qu’Anna Tsing a choisi d’explorer en suivant l’odyssée étonnante d’un mystérieux champignon qui ne pousse que dans les forêts détruites. Suivre les matsutakes, c’est s’intéresser aux cueilleurs de l’Oregon, ces travailleurs précaires, vétérans des guerres américaines, immigrés sans papiers, qui vendent chaque soir les champignons ramassés le jour et qui termineront comme des produits de luxe sur les étals des épiceries fines japonaises. Chemin faisant, on comprend pourquoi la « précarité » n’est pas seulement un terme décrivant la condition des cueilleurs sans emploi stable mais un concept pour penser le monde qui nous est imposé. Suivre les matsutakes, c’est apporter un éclairage nouveau sur la manière dont le capitalisme s’est inventé comme mode d’exploitation et dont il ravage aujourd’hui la planète. Suivre les matsutakes, c’est aussi une nouvelle manière de faire de la biologie : les champignons sont une espèce très particulière qui bouscule les fondements des sciences du vivant. Les matsutakes ne sont donc pas un prétexte ou une métaphore, ils sont le support surprenant d’une leçon d’optimisme dans un monde désespérant. L’auteur Anna Lowenhaupt Tsing est professeur d’anthropologie à l’université de Californie, Santa Cruz, et à l’université Aarhus au Danemark. Collection Les empêcheurs de penser en rond Copyright Collection dirigée par Philippe Pignarre Ouvrage initialement publié sous le titre The Mushroom at the End of the World: On the Possibility of Life in Capitalist Ruins. Le traducteur remercie Fleur Courtois-l’Heureux qui a corrigé et amélioré de manière substantielle la traduction de ce livre. © 2015, Princeton University Press. Licensed by Princeton University Press, Princeton New Jersey, USA in conjuction with their duly appointed agent, L’Autre Agence. All rights reserved. No part of this book may be reproduced or transmitted in any form or by any means, electronic or mechanical, including photocopying, recording or by any information storage and retrieval system, without permission in writing from the Publishers. © Éditions La Découverte, Paris, 2017, pour la traduction française. Composition numérique Facompo (Lisieux), août 2017 ISBN numérique : 978-2-35925-139-5 ISBN papier : 978-2-35925-136-4 Photo de couverture : Matsutake mushroom © Fotolia Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénale. S’informer Si vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffit de vous abonner gratuitement à nos lettres d’information par courriel, à partir de notre site www.editionsladecouverte.fr où vous retrouverez l’ensemble de nos catalogues. Nous suivre sur Table Préface par Isabelle Stengers Activer les enchevêtrements Prologue senteurs d’automne Première partie - Que reste-t-il ? 1 - L’art d’observer 2 - La contamination comme collaboration 3 - De quelques problèmes d’échelle Interlude : Humer Deuxième partie - Après le progrès : L’accumulation par captation 4 - Travailler à la marge LIBERTÉ... 5 - « Open Ticket », Oregon 6 - Les histoires de la guerre 7 - Qu’est-il arrivé à l’État ? Deux sortes d’Américains asiatiques ... En traduction 8 - Entre le dollar et le yen 9 - Des dons aux marchandises, et vice-versa 10 - Rythmes résiduels : une atteinte au monde des affaires Interlude : Suivre à la trace Troisième partie - Des débuts mouvementés : Une mise en forme involontaire 11 - La vie de la forêt Remonter au milieu des pins... 12 - L’histoire 13 - Résurgence 14 - Sérendipité 15 - Ruine ... Interstices et patchs 16 - La science comme traduction 17 - Spores aériennes Interlude : Danser Quatrième partie - Au milieu des choses 18 - En croisade pour les matsutakes, ou en attendant l’action fongique 19 - Actifs ordinaires 20 - Pour ne pas finir : À propos de quelques personnes que j’ai croisées en chemin Sur la piste des spores la suite des aventures d’un champignon PRÉFACE Par Isabelle Stengers Il paraît que nous sommes entrés dans l’Âge de l’Homme, l’Anthropocène, et le succès académico-médiatique de cette dénomination n’a d’égal que son ambiguïté. Que certains types d’entreprise humaine soient responsables de la dévastation en cours de la Terre, soit. Mais qu’il s’agisse d’une nouvelle époque géologique ? Tout au plus, comme le remarque Donna Haraway1, il s’agit d’un événement frontière, telle l’« extinction K-T » qui marque la fin du Crétacé, il y a 66 millions d’années. Et, dans ce cas, la question serait plutôt : comment sortir dudit « Anthropocène » aussi vite que possible, avant que les conséquences en cascades de ce que nous avons appelé le « développement » ne détruisent irrémédiablement notre monde. Mais l’Âge de l’Homme, mieux nommé Capitalocène, est aussi celui où se posera la question des « possibilités de vie dans les ruines du capitalisme ». Et cette question se posera, que les ruines dont il s’agit soient celles que le capitalisme nous laissera ou celles qu’il continuera à provoquer. C’est aux ruines qu’Anna Tsing demande que nous nous intéressions d’ores et déjà, sans nous laisser sidérer par la grande alternative à laquelle tout semble suspendu – un monde libéré ou non de l’emprise capitaliste. Lorsque l’on pense ruines, on pense souvent à des bâtiments calcinés où errent des habitants sinistrés, hébétés. Face à cet imaginaire tragique et désespéré, la question posée par Anna Tsing peut fonctionner comme un véritable antidote. S’intéresser aux ruines ne signifie pas contempler un paysage désolé mais apprendre à saisir ce qui, discrètement, s’y trame. Dans les ruines, il peut se passer bien des choses, des choses intrigantes, surprenantes ou effrayantes mais qui, le plus souvent, échappent à l’approche détachée de celui qui jauge et mesure une réalité offerte à ses entreprises. Les ruines appellent un mode d’observation qui a été délaissé par ceux qui ont exigé que la réalité se soumette à leurs propres catégories et réponde à leurs propres questions. Elles demandent ce que Tsing appelle l’art d’observer (art of noticing). Et elles demandent l’art du récit, qui nourrit l’imagination et la sensibilité, par-delà ce qui pourrait être « classé sans suite », comme réactionnaire, dérisoire ou insignifiant. Chaque ruine raconte une histoire particulière, mais ce livre n’est pas une collection d’histoires disparates. Les champignons qu’Anna Tsing a appris à suivre avec l’attention qu’ils réclament voyagent et font voyager, et ces voyages créent, comme les champignons eux-mêmes, des connexions qui mettent au défi les classifications de nos savoirs. Suivant la piste du matsutake, à l’arôme si particulier, ce n’est pas seulement l’écologie des forêts où une boursouflure discrète indique sa présence au cueilleur expérimenté, qu’elle nous fera penser et sentir, mais aussi, car elles ne sont jamais loin, les métamorphoses contemporaines du capitalisme. Disons-le tout de suite, les champignons matsutakes offrent une double particularité. Ils trouvent dans les ruines la possibilité de vivre et de créer la possibilité pour d’autres vivants, y compris humains, de vivre. Et ils sont hautement appréciés au Japon, où ils ont pourtant quasiment disparu. En tant que tel ce champignon traverse donc les grandes dichotomies, entre organisme et environnement, entre nature et culture, entre objectif et subjectif, et il pose et repose la question des ruines dans cette traversée. Anna Tsing ne nous dira pas comment, dans les ruines, « la nature reprend ses droits » après un ravage dont sont responsables des entreprises humaines, mais elle ne fera pas non plus des ruines une catégorie anthropocentrique à propos d’un paysage qui ne répond pas à nos attentes. Les matsutakes ne respectent pas de telles oppositions. Ils demandent des histoires qui, toutes, enchevêtrent des protagonistes aussi variés qu’actifs, depuis les pins à qui ils permettent de pousser sur des sols effectivement appauvris, épuisés, dévastés, jusqu’aux Japonais amoureux de leur arôme, qui sont prêts à les acheter à des prix exorbitants. Nul n’est passif dans ces histoires mais toute activité y est précaire, ne persiste que sous le signe d’une interdépendance foncière. Les champignons matsutakes pouvaient sembler appartenir à une immémoriale tradition japonaise, mais ils ont été les victimes collatérales de l’urbanisation du Japon – ils dépendaient de l’utilisation quotidienne des forêts par les paysans, et celles-ci ont été laissées à l’abandon. Les cueilleurs de matsutakes de l’Oregon qu’Anna Tsing nous fera rencontrer n’existeraient pas sans le goût nostalgique des Japonais pour le passé, mais ils ont en commun un attachement déterminé à une uploads/Litterature/ le-champignon-de-la-fin-du-monde-anna-lowenhaupt-tsing.pdf
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- Publié le Mai 20, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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